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[CRITIQUE] : Nayola



Réalisateur : José Miguel Ribeiro
Avec les voix de : Elisângela Kadina Rita, Marinela Furtado Veloso, Feliciana Délcia Guia, …
Distributeur : Urban Distribution
Budget : -
Genre : Animation, Drame
Nationalité : Portugais, Belge, Néerlandais, Français
Durée : 1h23min

Synopsis :
Angola. Trois générations de femmes dans une guerre civile qui dure depuis 25 ans : Lelena (la grand-mère), Nayola (la fille) et Yara (la petite-fille). Le passé et le présent s’entrecroisent. Nayola part à la recherche de son mari, qui a disparu au pire moment de la guerre. Des décennies plus tard, le pays est enfin en paix mais Nayola n’est pas revenue. Yara est maintenant devenue une adolescente rebelle et une chanteuse de rap très subversive. Une nuit, un intrus masqué fait irruption dans leur maison, armé d’une machette. Une rencontre qu’elles n’auraient jamais pu imaginer…


Critique :


Le 8 mars, date de la journée internationale pour la sensibilisation et la mobilisation autour des droits des femmes, tombe un mercredi en 2023, jour de sortie de films. Les distributeurs jouent le jeu et sortent leur film les plus propices pour accompagner cette journée de lutte militante. C’est le cas d’Urban Distribution avec Nayola, premier long métrage du réalisateur portugais José Miguel Ribeiro. Adapté de la pièce de théâtre A Caixa Preta (la boîte noire en français), le film, écrit par Ribeiro et son scénariste, Virgilio Almeida, nous emmène en Angola, sur deux époques. En 1995, quand la guerre civile faisait rage. En 2011, quand la paix est fragilisée par des actions militaires contre la liberté d’expression.

Copyright Urban Distribution


La mère (Nayola) et la fille (Yara) se servent des mots pour sonder leurs maux. L’une écrit dans un carnet des contes folkloriques et ses pensées intimes. L’autre écrit des paroles de rap et cherche à redessiner sa liberté en critiquant les actions du gouvernement. Cette écriture souligne en filigrane la notion de résilience du film et renvoie à la genèse du récit, cette pièce de théâtre écrite par les deux dramaturges, José Eduardo Águalusa et Mia Couto. Leurs œuvres respectives sondent les horreurs de la guerre et se servent d’un imaginaire fertile et baroque pour raconter ce passé douloureux. José Miguel Ribeiro est fasciné par la dimension poétique de la pièce de théâtre et voit en ce récit une occasion rêvée d’utiliser tous les outils de l’animation pour créer un univers unique et coloré.

Le réalisateur entrecroise ces deux temporalités par une mise en scène fluide mais les marque de différences flagrantes. En 1995, l’animation joue sur une symbolique visuelle colorée forte, au diapason avec l’imagination active de l’héroïne, Nayola, embrigadée dans la guerre à contrecœur pour y retrouver son mari disparu. En 2011, les couleurs se font plus sombres, le cadre urbain enferme les personnages dans des lieux étriqués, pour mieux signifier le manque de liberté des autochtones. Alors que Lelena, la grand-mère, reste statique et ne quitte jamais son chez-soi, les deux autres personnages féminins conquièrent l’espace du cadre. Les trois générations représentées n’ont pas le même comportement face à la guerre. Celle de Lelena s’enfonce dans la résignation et préserve le peu qui lui reste. Celle de Nayola se prend de plein fouet la violence et ne peut revenir dans le présent. C’est la génération qui doit “vomir” (comme le montre une séquence saisissante) l’horreur, qui ne peut rentrer à la maison sans ramener avec elle les conséquences de la guerre. Celle de Yara subit quand même ces conséquences et doit se battre pour que les sacrifices de l’ancienne génération ne soient pas vains.

Copyright Urban Distribution

Mais ce qui marque la rétine c’est le portrait sans concession de la guerre et l’expérience féminine entourant le récit. Malgré le ton onirique de Nayola, la violence contamine l’imaginaire du film. Le sang est omniprésent, la tension ne se relâche jamais et les victimes se succèdent sous les bombes. Parce qu’il prend le point de vue de ses héroïnes, le film représente la guerre sous toute son absurdité. Les allers/retour entre les deux temporalités sont d’autant plus douloureuses car la souffrance montrée lors de la guerre civile ne sert qu’à asservir un peuple sous une fausse liberté. Toute cette violence, tous ces corps meurtris, tous ces sacrifices, inutiles. José Miguel Ribeiro va jusqu’au bout de son ambition visuelle et utilise à bon escient les outils de l’animation. Que ce soit le dynamisme et la profondeur que permet la 3D ou les traits plus anguleux de la 2D, véritables tableaux magnifiques et macabres. Nous rentrons à l’intérieur de la psychée de Nayola dans un univers allégorique. La symbolique autour du masque et des silhouettes longilignes renvoie à l’univers magique de Miyazaki, où vient se greffer le travail sur les couleurs de l’art contemporain africain. Le masque devient le seul moyen de contenir les blessures pour ne pas contaminer les autres et laisser un infime espoir de guérison.

Beau et cruel, Nayola est un portrait de femmes courageuses dans un contexte de guerre et d’injustice sociale. Un ambitieux travail d’animation accompagne un imaginaire coloré et onirique, qui marquera longuement les spectateur⋅ices.


Laura Enjolvy