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[CRITIQUE] : Aftersun


Réalisatrice : Charlotte Wells
Avec : Paul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall, Sally Messham,…
Distributeur : Condor Distribution
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Britannique, Américain
Durée : 1h42min

Synopsis :
Avec mélancolie, Sophie se remémore les vacances d’été passées avec son père vingt ans auparavant : les moments de joie partagée, leur complicité, parfois leurs désaccords. Elle repense aussi à ce qui planait au-dessus de ces instants si précieux : la sourde et invisible menace d’un bonheur finissant. Elle tente alors de chercher parmi ces souvenirs des réponses à la question qui l’obsède depuis tant d’années : qui était réellement cet homme qu’elle a le sentiment de ne pas connaître ?



Critique :


Dans un aéroport, une petite fille dit au revoir à son père. Cette scène, tournée au caméscope, donne l’impression d’un souvenir de famille. Avec Aftersun, Charlotte Wells construit son premier long métrage autour de ces souvenirs. Des souvenirs de vacances qui portent le lourd fardeau d’être aussi un moment important, un moment charnière dans la vie de Sophie. Des souvenirs qui hantent le personnage dans sa vie d’adulte, alors qu’elle est devenue parent à son tour.

Calum (Paul Mescal), tout juste trente ans, emmène sa fille de onze ans, Sophie (Frankie Corio), en vacances en Turquie. L’âge et l’apparence ne trompent pas, Calum a eu sa fille très jeune et ensemble, le duo passe pour être un grand frère et une petite sœur. Ce moment père/fille, que l’on devine rare, se passe calmement dans cet hôtel balnéaire. Entre bronzage à la piscine, partie de billard, baptême de plongée en mer, ces vacances ont tout pour être idylliques. Et elles le sont. Pourtant, Aftersun ne possède pas une atmosphère insouciante. Plus le film se déroule et plus une lourdeur s’insinue entre les séquences, comme si Charlotte Wells essayait de nous pousser à lire entre les plans, à comprendre les silences.

Copyright Sarah Makharine

La langueur de l’été, qui donne le ton au long métrage, fait office d’illusion. S’exerce alors une fascination pour l’immobilité des corps et du mouvement, des vacances tranquilles et paradisiaques. Mais si on prête attention, comme les spectateurs vigilants que nous sommes, on se rend compte que les personnages ne sont pas si immobiles que cela malgré le peu d’action dans le cadre. C’est toujours Calum qui entraîne le mouvement, cherchant à faire profiter sa fille le plus possible. Il essaie de les enfermer dans une bulle parfaite qui finit par se fissurer à mesure que le film avance. Une part d’ombre sort de ce personnage et Sophie comprend au fur et à mesure que son père ne va pas si bien que cela. Ses blessures psychologiques font surface et ressemblent à un gouffre que Calum refuse d’ouvrir tant qu’il est avec sa fille, la protégeant le plus possible de son mal être, qu’elle voit sans forcément le comprendre.

Aftersun joue de cette dichotomie, où réside toute la fragilité de son récit. Le film glisse tout seul et se pare d’une douce nostalgie grâce à son image “vintage” de caméscope qui nous donne l’impression de regarder un film de famille. Sous cette nostalgie se cache la vérité. Souvent le cadre nous refuse cette vérité en se concentrant sur le reflet des personnages (reflet sur une télévision éteinte, sur une table en verre, sur l’eau de la piscine) lors de leur conversation, nous cachant ainsi leur visage et les possibles émotions qui s’établissent sur leurs traits. Charlotte Wells veut aussi nous montrer la tendresse que Calum et Sophie ont l’un pour l’autre et use de gros plans sur les visages, quand ceux-ci ne montrent que la tendresse et rien d'autre.

Copyright Sarah Makharine

Les séquences s’enchaînent telles des puzzles que reconstitue la Sophie adulte, réminiscence d’un passé enfoui qu’elle déterre à ses propres fins. Peut-on faire confiance à ce que nous montre les images si celles-ci sont la projection de ses souvenirs ? Peut-être pas. C’est la force de ce film. De nous questionner, de nous bousculer avec une infinie douceur. Car la tendresse père/fille et l’insouciance de l’été percutent la souffrance latente. Calum et Sophie se trouvent tous deux dans une phase de transition. Sophie, onze ans, n’est plus vraiment une enfant et pas encore une ado. Calum, trente ans, voit sa jeunesse s’envoler. Ces vacances encapsulent plus que des souvenirs, elles encapsulent le temps également. Un espace sans responsabilité, sans peur. Un espace mémoriel, sûrement un peu fantasmé, que l’on peut faire surgir quand on en ressent le besoin. Un moment suspendu dans la course du temps où Sophie et son père sont réunis et passablement heureux.


Laura Enjolvy


Copyright Sarah Makharine

Dans une chambre d'hôtel, Sophie 11 ans utilise un caméscope pour filmer son père Calum 30 ans. Le point de vue subjectif ne montre que le père, faisant quelques pas de danses devant la porte ouverte du balcon. Après un court échange, surgit une autre scène de danse. Une femme seule et immobile, au milieu de plusieurs personnes, apparaissant à l'écran comme un mirage : dans le noir de la pièce, elle n'apparaît que brièvement avec les jeux de lumières. La cinéaste Charlotte Wells pose déjà le rapport entre la mémoire et l'imaginaire, qui va suivre durant tout son film. Sophie et son père Calum sont en vacances en Turquie, dans une station balnéaire très ensoleillée. Leur séjour est conté par fragments, ceux issus des souvenirs de Sophie adulte. Elle apparaît quelques fois tout au long du film, dévoilant qu'il s'agit d'une plongée dans sa mémoire. Elle se refait le film de ses vacances avec son père, comme une mosaïque dispersée. Chaque moment est telle une apparition où des humeurs s'activent à nouveau, entre nostalgie et mélancolie. La psychologie de ce retour dans le passé se loge entièrement dans ces fragments, où Sophie se remémore des faits mais aussi des sensations.

Copyright Sarah Makharine

Ces vacances se déroulent comme un temps charnière, aussi bien dans la relation entre Sophie et son père, qu'individuellement. Calum est entre une rupture amoureuse et un projet professionnel pas encore abouti, à la recherche d'un but à accomplir. Sa fille est entre deux années scolaires et un premier émoi amoureux, en plein apprentissage – jusqu'à hésiter à traîner avec les jeunes de son âge ou des adolescents plus âgés qu'elle. Dans cet entre-deux, père et fille passent beaucoup de temps ensemble, à profiter des activités et du soleil de ce paysage solaire. La mémoire de ces fragments de vacances seraient donc des preuves de joie et de bonheur. Tandis que l'imaginaire, soit la complexité des émotions intériorisées, se logerait dans les silences, les ellipses, les coupes entre les plans. Une ambiguïté se situe dans ces jonctions, et même en dehors du cadre. Le rapport entre la mémoire et l'imaginaire serait donc la dualité entre le chaos intime et l'euphorie des vacances. Pour cela, il suffit d'avoir une croyance envers les souvenirs, tout en faisant confiance au pouvoir évocateur des images.

Toutefois, il faut accepter de ne pas tout savoir sur les personnages. Notamment sur le père Calum, qui semble cacher quelque chose dans ses yeux, dans ses moments de solitude, dans sa tristesse et son désespoir. Charlotte Wells a compris que la part d'ambiguïté qui constitue l'imaginaire va de paire avec la mémoire. Les images de souvenirs montrent seulement ce qu'elles peuvent montrer, et le reste appartient à l'incertitude. Ainsi, le récit se déroule très naturellement – par fragments et sans chronologie définie, au gré de l'existence des images et des souvenirs. Il n'y a aucun artifice ni aucune tentative de fiction supplémentaire, qui irait au-delà de ce qui existe déjà. Dans un temps pourtant limité (celui des vacances, même s'il n'est pas daté), chaque moment est un écho des précédents. La forme mosaïque des fragments illustre une quête d'émotions, à laquelle il ne faut pas toucher, ni exercer un quelconque contrôle. Sans jamais répondre à la recherche de compréhension de ces émotions, la cinéaste les présente comme une abstraction permanente. Ces vacances se déroulent dans une fausse tranquillité, avec des douleurs qui se tapissent dans l'obscurité et dans le hors-champ. La volonté est de mettre en avant l'optimisme et le bonheur, comme une illusion dont la perspective ne peut être atteinte.

Copyright Sarah Makharine

À de nombreux moments, les deux protagonistes regardent dans la distance mais sont écartés d'attitudes et événements. Le moindre espace perturbe les sens de Sophie et son père, les renvoyant dans une mélancolie silencieuse. Que ce soit la liberté dans le ciel, l'amour naissant dans une piscine, la récréation d'une soirée musicale, la solitude d'un karaoké, et tant d'autres. Charlotte Wells y met en scène les non dits et les regards perturbés, en laissant le danger du basculement dans le hors-champ. Telle une interférence entre tout ce qui est vu, touché, entendu et ce que le cœur ne révèle pas de douloureux ou de ressentiment. Chaque image laisse planer que la fin de quelque chose est à venir : que ce soit les vacances (l'évidence), mais aussi un bonheur, une proximité, une tendresse. L'énergie qui s'exerce au sein de ce paysage chaleureux est sur le point de se terminer, comme si la gravité hors-champ est sur le point de prendre le relais. Parce que dans les interférences, dans les perturbations mélancoliques, il y a les mystères du monde adulte. Ce qui donne une importance à la moindre scène de tranquillité (lors d'un repas, allongés sur le lit, se prélassant au bord de la piscine, etc), où les rêves fragiles trouvent une place fugace dans ce décor chaleureux. Cette mélancolie interroge ainsi ce qui constitue le vrai cœur de l'image : est-ce la réalité des émotions entre père et fille, ou est-ce la fiction obscure qui se fait silencieuse dans les interstices ?

Dans les deux cas, Charlotte Wells met en scène une douceur vis-à-vis des corps, et un envoûtement vis-à-vis des décors. Avec une photographie chaleureuse, le film se trouve dans un croisement entre l'hyperréalisme et l'onirisme. L'ambiance est certes chaleureuse et exotique, car elle permet de construire un paysage de partages et de proximité. Alors qu'une mélancolie baigne face à un avenir incertain et des émotions cachées, la cinéaste préserve les sentiments de ses personnages en les baignant dans un paysage qui les englobe. Les parts d'ombre qui se dessinent parfois sur les visages et le corps des personnages n'est qu'un indice, celui d'une douleur intériorisée. Ce qui est sur le point de se perdre pour toujours, à la suite de ces vacances, ne peut que rester dans ces images que l'on (se) fabrique. Alors que l'obscurité tend à dévorer progressivement la lumière, et que l'énergie tend à diminuer au fur et à mesure que la mélancolie dévore les esprits, les images gardent cette attraction des paysages. Les couleurs saturées et la proéminence de nuances permettent de distinguer la chair, à la fois dans l'innocence des fragments via la jeune Sophie, et la (re)construction d'une image mystérieuse via l'adulte Sophie.

Copyright Sarah Makharine

La cinéaste met en scène ce que le paysage a de captivant et de dynamique, en s'érigeant devant toute la souffrance. Parce que la mélancolie se cache aussi bien dans les interstices du montage et dans le hors-champ, que dans des recoins du décor (une plage la nuit, un isolement dans la chambre, un regard fuyant lors d'un karaoké, etc). L'attraction de ces espaces, entre douceur et envoûtement, illustre une liberté insouciante et vulnérable. D'où l'importance de la musique : Charlotte Wells l'utilise pour révéler le manque de spontanéité des personnages, mais surtout pour prendre le relais sur les émotions et les paroles que les personnages n'arrivent pas à exprimer. Parce que Calum garde ses zones obscures cachées, pour être un rempart à la douleur afin de protéger sa fille, pour lui laisser l'illusion de la beauté et du bonheur. Entre la mémoire et l'imaginaire, il s'agit d'appliquer la crème solaire des images envoûtantes, pour éviter d'être brûlé par la mélancolie et la douleur qui s'y dissimulent.


Teddy Devisme



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