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[CRITIQUE] : Variety


Réalisatrice : Bette Gordon
Avec : Sandy McLeod, Will Patton, Luis Guzman, Nan Goldin, …
Distributeur : Les Films du Camelia
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Américain
Durée : 1h40min

Synopsis :
New York, 1983. Christine cherche désespérément du travail et finit par se faire engager comme ouvreuse dans un cinéma porno de Times Square.
Elle devient peu à peu obsédée par les sons et les images des films qui l’entourent. Puis, fascinée par un des spectateurs, un homme d’affaires du nom de Louie, Christine commence à le suivre...


Critique :


Les lumières néons de sa devanture attirent les hommes comme des mouches. Au cinéma Variety, près de Times Square, des films pornographiques sont diffusés toute la journée pour seulement deux dollars le ticket. La façade est devenue célèbre en 1976, dans le film multi-primé de Martin Scorsese Taxi Driver, où Robert De Niro apercevait pour la première fois le personnage de Jodie Foster. Ce même cinéma prête son nom et son décor dans le premier long métrage de Bette Gordon, Variety, sorti en 1983 aux États-Unis mais resté longtemps inédit en France. Présenté une première fois lors du dernier Festival Lumière en octobre dernier, voici venu l’occasion de découvrir en salle un fascinant objet de cinéma.

Copyright Les Films du Camélia

Regarder, être regardé sont le propre du cinéma qui enferme dans un cadre, et dans une mise en scène, des personnages en proie au bon vouloir du cinéaste. Le film passe un pacte avec le public, qui se transforme le temps du récit en voyeur, et les personnages (acteur⋅trices) en exhibitionnistes. Mais ceux et celles qui ont lu les théories de Laura Mulvey sur le regard savent que le cinéma consacre souvent ce pouvoir voyeuriste aux hommes, sur les femmes. Bette Gordon renverse cette tendance dans Variety et donne à son personnage principal (interprété par Sandy McLeod) les pleins pouvoirs.

Pour mieux mettre le regard au centre du récit, la réalisatrice forme un cadre bien précis où se placent ses différents personnages. La première fois que nous rencontrons Christine, c’est son corps que nous voyons tandis qu’elle nage dans une piscine. Un corps morcelé par son maillot de bain, découpé dans le cadre. Ensuite, elle nous apparaît en plein-pied, dans un miroir. La séquence s’étire, en un seul plan, tandis que Christine se prépare et partage à son amie sa recherche de boulot, pour l’instant infructueuse. Elle lui propose alors ce poste d’ouvreuse au Variety. Le job en lui-même devient vite redondant. Enfermée dans sa petite bulle, Christine vend ses tickets, la mort dans l’âme. Jusqu’au jour où un client récurrent attise sa curiosité par son comportement plutôt suspect. Variety se transforme alors en film noir, et Christine en détective obsédée par sa proie.

Copyright Les Films du Camélia

Ce nouveau boulot et ce nouveau hobby prennent place dans la vie de Christine et jouent comme un miroir déformant de sa vie d’avant. Qu’était le personnage alors ? Une jeune femme au chômage, coincée dans une relation peu passionnée avec un homme, Mark, qui n’écoute pas le désir de sa petite-amie et préfère se mettre sans arrêt en avant. Une jeune femme avec des dettes, une vie (trop) rangée et une mère étouffante. Le film emprunte à la pornographie l’imaginaire du désir pour libérer Christine de ses carcans. Elle commence par être hors de la sphère, dans sa petite bulle protectrice. Puis elle entre dans le temple de la sexualité, écoute les gémissements, épie les clients, regarde les images dans la fenêtre du projectionniste. Elle accepte l’invitation de ce client mystérieux, Louie et ce faisant, accepte totalement de basculer, sans retour en arrière possible. Le personnage s’ouvre au désir, comme un jet continu, intarissable. Elle distribue ses fantasmes, lors de deux monologues qu'elle débite à des hommes qui ne font pas partie de ces scénarios érotiques. Des histoires sexuelles, dites de façon monotone, qui sortent soit de son imagination ou qu’elle a emprunté aux films projetés dans son cinéma. Ces histoires font presque tâche dans les environnements où Christine les raconte : dans la voiture de Mark, ou dans dans un bar. Pourtant, en s’appropriant ces récits, elle se réconcilie avec son désir et exprime, comme elle le veut, sa sexualité.

Bette Gordon bouleverse les codes à une époque où ceux-ci, bien ancrés, ne pouvaient se libérer que dans un cinéma underground et indépendant. Variety met en lumière ces femmes stigmatisées car elles se mettent au service des fantasmes sexuels. Loin de la volonté suprême de faire un film seulement subversif, la réalisatrice signe ici un objet cinématographique qui devient un voyage dans le temps, dans un New York des années 80 marqué par le chômage et la corruption.


Laura Enjolvy

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