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[INSTANT LITTÉRATURE] : #6. La Fille de la plage (Manga - Inio Asano)


" Quoi, un site centré sur le cinéma qui papote littérature, mais quelle hérésie ! ".Voilà une manière polie de dire " qu'est-ce qu'on est en train de foutre ", mais à une heure ou la littérature n'a jamais autant été liée au septième art (ah, Hollywood et son manque d'originalité...), nous avons trouvé de bon ton, en temps que media, de voir un petit peu plus loin que le bout de notre plume, et d'élargir notre prisme de partage culturel en papotant littérature donc, sans pour autant que cela soit lié au cinéma - même si cela arrivera certainement souvent.

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#6. La Fille de la plage (Manga) de Inio Asano


L’histoire se déroule dans une petite ville perdue, au bord de la mer, qui ne vend pas beaucoup de rêves aux adolescents. Koume, encore collégienne, s’est éprise d’un garçon un peu plus âgé qui a sexuellement abusé d’elle. En retour, elle prend l’étrange décision de proposer à Kosuke, un de ses camarades, de découvrir les plaisirs charnels avec elle. Kosuke est amoureux de Koume mais cette dernière ne lui cache jamais ses intentions : elle ne l’aime pas, elle ne veut pas sortir avec lui. Leur relation passe vite de découvertes d’adolescents à un spectacle troublant, dans lequel Koume se lance à corps perdu, en cachant tout à sa meilleure amie.

La Fille de la plage raconte donc ce que l’on pourrait vulgairement appeler « les histoires de cul des adolescents ». Il n’est cependant ni une œuvre destinée aux adolescents, ni une romance érotique qui s’adresse à un public pédophile. Le manga est un drame autour de deux vies brisées par un traumatisme. Kosuke a un cadre familial trouble, il vit renfermé sur lui-même, dans l’ombre d’un grand frère décédé, alors que ses parents noient leur deuil dans leurs carrières. Koume vient de comprendre que son prince charmant, avec lequel elle se réjouissait tant d’avoir un rendez-vous galant, ne comptait que se servir de sa naïveté. Elle se lance dans une quête désespérée pour reprendre contrôle sur sa sexualité. Elle tente d’utiliser Kosuke pour répondre à toutes ses envies et le garçon n’est franchement pas rebuté par cette idée, mais la tristesse des personnages ne disparaît pas pour autant. Ils sont enfermés sur eux-mêmes, comme l’illustre littéralement Kosuke qui consacre la majeure partie de son temps à tenir un blog, dans lequel il ne parvient pas à exceller. Dans ces problèmes relationnels, les personnages attestent également d’un culte du faux-semblant : si Kosuke se fait passer pour quelqu’un qu’il n’est pas pour répondre à une tragédie intime, Koume est, sous son apparence de collégienne sérieuse, obsédée par ses rapports charnels avec son ami.

©Inio Asano.IMHO

Koume, qui cache, dès les premières cases, son traumatisme en prétendant à ses amies que le garçon qui a abusé d’elle a été tout à fait respectueux, peine à faire cohabiter deux identités incomplètes : l’adolescente fleur bleue et la personne motivée uniquement par ses désirs physiques (même si on se questionne souvent sur ses véritables désirs). Elle peine à se sentir acceptée par un garçon et ne sait plus si ce qu’elle recherche est en elle ou autour d’elle. Koume est, comme Kosuke, remplie de solitude. Dans ce sens, La Fille de la plage évoque un désespoir japonais face à l’identité et aux liens sociaux. Le manga traite aussi de la difficulté d’une jeune fille à vivre en accord avec ses envies et ses actes. Si c’est Koume qui est sur la couverture, la fameuse « fille de la plage » fait d’abord référence à un fantasme : à la photo d’une jolie fille. Cette image est à la fois une rupture dans la trame narrative et le symbole fort d’une féminité idéalisée comme d’une force qui se construit. Ce symbole reste cependant très discret. Il en tire sa finesse mais également une interrogation, une imprécision qui fait écho à celles des personnages.

On arrive bien vite aux questions de la représentation des relations sexuelles entre les adolescents. C’est le sujet du manga mais c’est aussi un tabou plutôt justifié. Inio Asano ne pouvait passer à côté des longues scènes de sexe, autour de ces organes génitaux qui fascinent tant ses personnages. Il les représente donc frontalement. La Fille de la plage n’aurait certainement pas pu être un film pour des raisons évidentes et les mots, dans un roman, auraient sonné trop crus, trop vulgaires. Ici, les traits épurés permettent une sexualité presque clinique, à travers des gros plans qui morcellent les corps des personnages pour les réduire à leur seul désir. Lorsque le mangaka représente à nouveau ses personnages avec plus de recul, il ne fait que mettre en avant le vide qui subsiste autour de ses figures adolescentes. Toutes les scènes ne sont pas faciles à regarder mais leur longueur est toujours nécessaire puisqu’elle témoigne de l’épuisement vain des personnages, comme elle essore le lecteur.

© Nicolas Cailleaud/CNEWS


Le langage des adolescents ou du moins la traduction est également à souligner. Les mots sont crus, les tournures très familières. Fidèles à leur âge, les personnages peinent à s’exprimer. L’association entre ces quelques phrases abruptes et les images de pratiques adultes est dérangeante puisqu’elle témoigne d’une incertitude dans chaque action.

La Fille de la plage est une passion douloureuse, sur fond d’hypersexualité de la dépression. C’est aussi l’histoire d’une amitié étrange, d’une relation sociale ratée. L’intimité – c’est le cas de dire, fait écho avec la représentation d’un problème dans notre société moderne. On n’est pas forcément indemne lorsque l’on referme le livre, ce dernier est strictement réservé à un public averti, la tornade émotionnelle est violente, et si belle.


Manon Franken

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