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[CRITIQUE] : La Légende du Roi Crabe


Réalisateurs : Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis
Avec : Gabriele Silli, Maria Alexandra Lungu, Severino Sperandio,…
Distributeur : Dullac
Budget : -
Genre : Drame, Historique, Aventure.
Nationalité : Italien, Français, Argentin.
Durée : 1h39min

Synopsis :
De nos jours, dans la campagne italienne, de vieux chasseurs se remémorent la légende de Luciano. Ivrogne errant dans un village isolé de Tuscie, Luciano s’oppose sans relâche à la tyrannie du Prince de la province. La rivalité grandissante entre les deux hommes, alimentée par les passions et la jalousie, pousse Luciano à commettre l’irréparable. Contraint à l’exil dans la lointaine Terre de Feu, à l’extrême sud de l’Argentine, l’infortuné criminel, entouré de chercheurs d’or cupides, se met en quête d’un mystérieux trésor enfoui qui pourrait bien être sa seule voie vers la rédemption. Mais sur ces terres arides, seules l’avidité et la folie prévalent.



Critique :


La Légende du Roi Crabe de Matteo Zoppis et Alessio Rigo de Righi - dont c'est le premier long-métrage - a tout d'un Racconto dei racconti de Giambattista Basile qui aurait été passé à la moulinette des cinémas de Matteo Garrone, d’Ermanno Olmi et de Sergio Leone, tout en incarnant une histoire savoureusement unique, vrai morceau de cinéma italien contemporain biberoné par un amour sincère à la culture et aux légendes médiévales locales - sacré programme en somme.
Suspendu dans un cadre intemporel et somptueux entre les paysages du Latium et de la Tuscia, un champ de bataille que les deux cinéastes arpentaient déjà dans leur précédent moyen-métrage, Il Solengo; le film incarne une expérience profondément singulière, sorte de conte de fées surréaliste, errant et excentrique tissé autour d’une légende ayant traversé les siècles.

Copyright Shellac Sud

L'histoire suit les atermoiements d'un héros qui n'en est pas vraiment un : Luciano, un anarchiste/ivrogne immortel (tué deux fois et ressuscité deux fois) et aventurier par la seule volonté divine qui, à la fin du 19ème siècle, après avoir défié la tyrannie du Prince de Tuscie et perdu la femme qu'il aime (seul être capable de lisser son caractère débridé et cynique), fut catapulté dans le " trou du cul du monde ", la Terre de feu argentine, où il se lança dans la quête d’un trésor enfoui (symbole de sa rédemption) et devenant ainsi Don Antonio, prisonnier cryptique d'une caravane de parias.
Scindée en deux chapitres bien distincts, un récit loufoque et atypique dans une Italie bucolique et rocheuse, puis un wanabe western maritime à la lisière du monde et de la conscience; la péloche sonde l'étroitesse d'esprit humaine dans un discours déviant entre chansons populaires et principes despotiques, au coeur d'une nature sauvage ou l'alcool enflamme les âmes - corrompus - sans étancher la soif des pulsions, qui deviennent facilement incontrôlables.
Une nature aussi belle qu'hostile où l'on peut doucement se perdre dans la déchéance existentielle d'une réalité hallucinée, fondée sur les croyances obscures d'instincts animaux et le rêve fantomatique d'un retour impossible du bonheur passé; un royaume de l'inconnaissable, fait de fantômes et d'espoirs secrets.

Copyright Shellac Sud

Avec leur histoire aussi irréelle qu'elle peut être vraie (partant de la transmission orale d'une légende pour mieux voguer vers un apologue moral sur la corruption puis vers la fable surréaliste sur le pouvoir de l'amour) et leurs personnages semblant prendre vie à partir d'une peinture de Van Gogh, tous unidimensionnels et ne percevant jamais la profondeur dramatique de leur misère (excepté un Luciano qui, dans ce malheur, voudrait réécrire son destin de fond en comble); Matteo Zoppis et Alessio Rigo de Righi intiment la nécessité de ne jamais fermer la porte de l'imaginaire et de l'ouverture d'esprit, de se laisser brûler furieusement par la douce folie que peut convoquer une aventure poétique et dépaysante.
Ce que doit être, au fond, le septième art quand il est à son meilleur.


Jonathan Chevrier