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[COEURS D♡ARTICHAUTS] : #36. Bright Star

Copyright Laurie Sparham

Parce que l'overdose des téléfilms de Noël avant même que décembre ne commence, couplé à une envie soudaine de plonger tête la première dans tout ce qui est feel good et régressif, nous a motivé plus que de raison à papoter de cinéma sirupeux et tout plein de guimauve; la Fucking Team vient de créer une nouvelle section : #CoeursdArtichauts, une section ou on parlera évidemment de films/téléfilms romantiques, et de l'amour avec un grand A, dans ce qu'il a de plus beau, facile, kitsch et même parfois un peu tragique.Parce qu'on a tous besoin d'amour pendant les fêtes (non surtout de chocolat, de bouffe et d'alcool), et même toute l'année, préparez votre mug de chocolat chaud, votre petite (bon grande) assiette de cookies et venez rechauffer vos petits coeurs de cinéphiles fragiles avec nous !


#36. Bright Star de Jane Campion (2009)

Après une décennie très chargée (quatre films en dix ans), Jane Campion lève un peu le pied. Entre In the cut (2002) et le film qui nous intéresse Bright Star (2009), la cinéaste néo-zélandaise prend le temps de revenir à son premier amour, le court métrage. En 2006, elle réalise The Water Diary, court métrage inséré dans le film 8, une campagne sur les objectifs du millénaire pour le développement. Un an plus tard, à la demande de Gilles Jacob pour les soixante ans du Festival de Cannes, elle réalise un segment de trois minutes dans Chacun son cinéma, appelé The Lady Bug, où elle livre une satire sur le comportement des hommes envers les femmes au cinéma. Si Jane Campion ne s’est jamais positionnée comme une réalisatrice féministe, elle prouve par ce film qu’elle n’est pas aveugle pour autant.

Dans la continuité de ces questionnements, même si montrés beaucoup plus subtilement, Bright Star est un biopic au cœur du romantisme anglais, sur l’amour platonique du poète John Keats et de Fanny Brawne. Au travers de cette histoire d’amour, que la mort prématurée de Keats viendra contrariée, elle esquisse la place des femmes au sein de l’espace d’une maison dans une mise en scène privilégiant la nature et le toucher. Considéré à tort comme un film mièvre, sans substance, par la critique de l’époque, le film est pourtant un long métrage purement “campionnien”, d’une beauté folle qui ironiquement se refuse à la mièvrerie au profit de la sensualité.

Copyright Laurie Sparham

Après deux films bien contemporains, Jane Campion repart vers le film d’époque en costume, sur les traces d’un biopic bien particulier : l’histoire entre John Keats et Fanny Brawne. La littérature a toujours fait partie de sa filmographie. Un ange à ma table rassemble trois livres de l’autrice Janet Frame. La leçon de piano est inspiré de la romance gothique et plus particulièrement de Emily Brontë et son chef-d'œuvre Les hauts de Hurlevent. Portrait de femme est l’adaptation de l’oeuvre éponyme de Henry James. Les joutes verbales de Harvey Keitel et Kate Winslet dans Holy Smoke se forment autour de nombreuses citations littéraires. Et dans In the cut, Meg Ryan est une professeure de lettres, qui écrit un livre sur l’argot. Est-il si étrange de la voir se tourner vers la poésie ? Ce genre littéraire est propice aux déclarations d’amour déclamées avec passion, aux muses féminines du poète torturé par les affres de ses sentiments trop profonds. Au contraire de la vie de Janet Frame, il n’y a qu’un seul élément qui intéresse la cinéaste dans l’histoire de John Keats : ces étranges lettres qu’il écrivait à une jeune femme de dix-huit ans. Une passion amoureuse brève mais qui, à l'image de ses poèmes, est marquée par l’intensité. La façon dont il la décrit dans sa correspondance fascine la réalisatrice, tant et si bien qu’elle décide de faire de Fanny sa protagoniste principale, perpétuant ainsi son cycle du point de vue féminin qu’elle a toujours pris dans ses récits (The Power of the Dog voit cette tradition se briser). Bright Star est un semi-biopic mais aussi une adaptation, celle de la biographie du poète par Andrew Motion, où il suggère comment le couple s’est rencontré.

Copyright Laurie Sparham

Jane Campion place l’ouvrage avant les mots. Bright Star s’ouvre sur un gros plan d’une aiguille perçant le tissu, déplaçant la délicatesse de la broderie féminine en quelque chose de plus violent. Fanny aime la couture, aime la mode, aime s’apprêter pour une simple sortie chez les voisins. C’est un motif de moquerie pour Monsieur Brown, ce voisin fortuné et poète, qui voit la passion de Fanny comme tout ce qui est typiquement féminin : inférieur. Mais Jane Campion ne le voit pas de cet œil. Elle s’emploie, tout le long de son film, à placer sur un pied d’égalité la recherche du phrasé d’un poème au toucher de l’étoffe parfaite pour une robe. Sa caméra se déplace dans les différentes pièces de la maison. De la cuisine, pièce exclusivement féminine à la pièce des écrivains, où ils pensent, déclament et expriment leurs idées sur du papier. La cinéaste s’amuse à déplacer les personnages d’une pièce à l’autre. Les hommes se trouvent parfois dans cette cuisine, avec les femmes et les domestiques, tandis que Fanny s’installe de son propre chef dans cette pièce masculine, amenant même ses travaux de couture. La démarcation genrée se fait trouble dans la mise en scène, apportant tous les éléments pour que John Keats et Fanny Brawne développent des sentiments.

Le romantisme, chez Campion, retrouve toutes ses lettres de noblesse. Terme chargé de ridicule et de kitch aujourd’hui, il est cependant beaucoup plus sombre. S’il privilégie les thèmes de l’amour et de la nature, le romantisme porte souvent les marques de la souffrance, de la mélancolie et de la solitude. Le mouvement comporte à sa base une opposition au classicisme et une volonté de s’affranchir des règles établies. Exactement comme les héroïnes de la cinéaste et comme Fanny en particulier. Celle-ci ne laisse ni son genre, ni sa classe sociale lui dicter ce qu’elle doit faire. Emportée par sa passion pour Keats, on a l’impression qu’il n’y a que la mort qui l’empêchera de l’épouser. Leur histoire d’amour comporte alors un sentiment d’éphémérité, que la mise en scène prend à bras le corps pour établir une image magnifiée de la nature. Bien que platonique, la sensualité de leur histoire est bien présente. Une sensualité liée aux paysages floraux qui les entourent, par le toucher de la feuille de papier où est couchée leurs sentiments profonds l’un envers l’autre. Fanny lit une lettre d’amour dans un champ de fleurs sauvages, John rêve d’elle au sommet d’un arbre en fleur. Leur premier baiser a lieu dans une prairie et leurs discussions se placent lors de promenades sous une lumière mordorée. La mise en scène de Jane Campion place le regard et le toucher comme élément essentiel à leur histoire. Les corps ne peuvent se rejoindre, éloignés par les conventions victoriennes, mais les esprits se touchent, par leur baiser et l’effleurement de leurs mains. Étendu⋅es sur un lit, la veille du départ de Keats pour l’Italie, alors malade et fragile, le couple fait l’amour par les mots. Cette sensualité formée par d’autres images que par celles dont on a l’habitude fait écho à Portrait de la jeune fille en feu, film de Céline Sciamma, sorti en 2019. La cinéaste française n’a jamais caché l’inspiration qu’à pu avoir Jane Campion sur ce film. On y retrouve la volonté de placer le regard et la création artistique au cœur d’une histoire d’amour.

Copyright Laurie Sparham

Bright Star, titre d’un poème dédié à Fanny, rend toute la cruauté aux sentiments romantiques, à l’image des mots de Keats, qui peuplent le film. Amour contrarié par la société et la mort, Jane Campion filme Fanny et John comme une parenthèse éphémère, conférant ainsi toute la tragédie du récit. Film de désir et de beauté, Bright Star ressuscite le romantisme dans ce qu’il a de plus pur : une cruelle pulsion de vie, belle et lugubre comme la mort.


Laura Enjolvy


Début de Endymion, poème de John Keats :

« A thing of beauty is a joy for ever:
Its loveliness increases; it will never
Pass into nothingness; but still will keep
A bower quiet for us, and a sleep
Full of sweet dreams, and health, and quiet breathing. »


« Tout objet de beauté est une joie éternelle :
Le charme en croît sans cesse ; jamais
Il ne glissera dans le néant, mais il gardera toujours
Pour nous une paisible retraite, un sommeil
Habité de doux songes, plein de santé, et qui paisiblement respire. »




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