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[CRITIQUE] : Mourir peut attendre

Réalisateur : Cary Joji Fukunaga
Acteur : Daniel Craig, Rami Malek, Léa Seydoux, Lashana Lynch, Ralph Fiennes, Ben Whishaw, Naomie Harris, Ana de Armas, Billy Magnussen, Jeffrey Wright, Rory Kinnear, Christoph Waltz,...
Distributeur : Universal Pictures International France.
Budget : -
Genre : Action, Thriller, Espionnage.
Nationalité : Américain, Britannique.
Durée : 2h43min

Synopsis :
Dans Mourir peut attendre, Bond a quitté les services secrets et coule des jours heureux en Jamaïque. Mais sa tranquillité est de courte durée car son vieil ami Felix Leiter de la CIA débarque pour solliciter son aide : il s'agit de sauver un scientifique qui vient d'être kidnappé. Mais la mission se révèle bien plus dangereuse que prévu et Bond se retrouve aux trousses d'un mystérieux ennemi détenant de redoutables armes technologiques…



Critique :



Il est tout à fait normal qu'à la fin d'un chapitre cinématographique aussi particulièrement dense (cinq films sur quinze ans dont, clairement, deux des meilleurs opus de toute la saga : Casino Royale de Martin " GoldenEye " Campbell et Skyfall de Sam Mendes), le spectateur, autant que Daniel Craig finalement, devienne un brin émotif. 
Après tout, ce Mourir Peut Attendre se faisait la promesse annoncée d'un au-revoir vibrant au Bond de toute une génération, de loin son incarnation/itération la plus emblématique tant Craig lui a fait arpenter avec puissance le moindre recoin tortueux de son odyssée émotionnelle unique, rarement abordé par le personnage jusqu'à présent (tout dû moins, plus autant depuis Au Service de sa Majesté), faisant de sa lutte constante contre sa mortalité et sa notion d'outil à l'utilité péremptoire, son leitmotiv ultime.

 Copyright Universal Pictures International France

Fruit d'une production chaotique (Danny Boyle cédant sa place à Cary Joji Fukunaga en plein développement, une valse conséquente de réécriture,...) à laquelle se sont ajoutés d'impondérables imprévus (une blessure de Craig, la pandémie de Covid-19,...), le vingt-cinquième long-métrage du héros de Ian Fleming est une aventure chargée, qui ne parcourt pas tant le globe de manière mécanico-carte postale qu'il le traverse solennellement, entre pertes, désenchantement et lassitude d'une vie qui en vaut mille.
Faisant suite à une note amère, Spectre, succès populaire mais loin de l'aura thématique imposante de Skyfall (qui, après Casino Royale, a donné un contexte, une histoire et un aspect pathético-attachant réel à la franchise, la rendant plus en phase avec les mœurs et les coutumes des blockbusters modernes), Mourir peut attendre avait la lourde tâche de donner une fin digne à son cycle Craigien, tissant son récit autour de l'aliénation inhérente et peut-être inévitable de Bond (comment peut-il pleinement s'engager dans une relation et goûter aux joies du bonheur, alors qu'il a construit toute une vie de méfiance et de danger ?), et de son hypothétique porte de salut : sa relation avec le Dr Madeleine Swann, jamais crédible même avec la réécriture appliquée du personnage (qui vire parfois vers l'invraisemblable).
Une intention louable mais à l'exécution étonnament ambiguë, puisque le film oscille entre cette héritage psychologique fascinant et complexe initié par Casino Royale (faire de l'ère Craigienne une période ou tous les films se répondent, même dans leurs failles), et une volonté de s'inscrire dans un esprit plus rétro-pop issue d'une époque pas si lointaine (coucou Brosnan), ou chaque opus se devait de simplement incarner une " nouvelle aventure " - souvent abracadabrantesque -, avec des cadres exotiques, des méchants excentriques et des gagdets qui le sont tout autant.

Copyright Universal Pictures International France

Et ce qui faisait sa force - une étude sombre et intime du personnage sur plusieurs épisodes -, et le rapprochait aussi au fond de la franchise Mission : Impossible (avec un Ethan Hunt résolument plus romantique et moins machiste), devient ici, à nouveau, son talon d'Achille à l'heure d'un dernier virage qui regarde beaucoup trop dans son rétroviseur, pour son bien.
Comme son aîné, le film pâtit d'une intrigue a plusieurs plumes sévèrement malade et réchauffée (complot apocalyptique familier, méchant majeur littéralement accessoire - Malek fait du Mercury - et aux intentions confuses, aucun basculement géopolitique depuis Skyfall et Spectre,...), qui cherche autant aveuglément à gommer les erreurs passées - sans trop prendre de risques non plus -, qu'à développer un élan romanesque et crépusculaire, mais surtout un esprit progressiste joliment affirmé, même si les personnages féminins intéressants - Paloma et Nomi - ne sont cantonnées qu'au service minimum.
Le tout en ne se payant que sporadiquement des riffs de plaisir savoureusement tendu (son ouverture franchement entraînante, seul scène d'action à retenir des 163 minutes de bobines) ou régressif (en grande partie lié à la première partie à Cuba, la seule partie du scénario qui suggère la touche comique de la co-scénariste Phoebe Waller-Bridge, avec la courte mais dynamique apparition d'Ana de Armas en agent néophyte, et le retour du mésestimé Jeffrey Wright), laissant trop peu transparaître les contours du chant du cygne noble et satisfaisant qu'il n'incarne jamais vraiment - tout en restant plus défendable que Spectre.
Mais ce qui laisse un vrai sentiment d'inachevé est la volonté jamais atteinte de faire du film l'apogée émotionnelle de l'odyssée de Bond sous le visage de Craig, une humanisation romanesque du personnage construite sur la durée, mais à laquelle No Time To Die ne donne que trop peu d'ampleur quant elle ne plonge pas dans la redite frustrante.


Avec la relève de Daniel Craig dans le rôle de Bond, la franchise a changé considérablement de visage et de vitesse : non seulement les films ont commencés à prendre un ton plus sérieux, reniant l'innocence et la litanie autrefois familière (un cocktail de plaisanteries et de doubles sens plus ou moins savoureux), mais ils ont aussi abandonnés leur statut d'épisodes autonomes pour voguer vers quelque chose de plus interconnecté.
Coincé le cul entre soixante chaises, celles de clôturer ce pan (en liant tous les différents fils de l'intrigue des précédents films) tout en amenant un autre (qui devrait plus correspondre à la production " standalone " du passé), mais aussi celle de devoir proposer un éventail - habituel - de sensations fortes et d'excitation touristiques pour les spectateurs globe-trotters; Mourir peut attendre est beaucoup surchargé pour pleinement fonctionner (même pour un opus issue d'une franchise aussi bien établie que celle de 007), mais à l'instar de son vénérable héros - et même de son interprète -, il ne tombe pas au combat sans se battre.
Frappé par un étrange manque de tension ou d'implication dans trop de ses scènes pour pleinement s'embraser, le film, extrêmement inégal et trop étiré, contient néanmoins quelques satisfactions salvatrice, que ce soit la prestation tout en gravité et en émotions contenues d'un Craig impérial (le meilleur Bond post-Connery, dont les fêlures et les doutes sont ici encore plus exacerbés), celles rafraîchissantes du tandem Lynch/Armas (dont tout le monde rêve déjà d'un spin-off, en espérant qu'il devienne réalité et non une arlésienne comme celui annoncé du personnage de Jinx, campé par Halle Berry dans Meurs un autre jour), ou même la chanson-thème de Billie Eilish - la meilleure de récente mémoire, après celle d'Adèle.

Copyright Universal Pictures International France

Au sein du riche catalogue de la saga, Mourir peut attendre se situe logiquement dans le ventre mou, juste au-dessus de Spectre et Quantum of Solace, mais il est difficile pourtant de totalement lui taper sur les doigts, ne serait-ce que pour les adieux sincères qu'il incarne de Craig au rôle.
Reste que pour sa refonte annoncée, que ce soit de son casting (pas de surprise, c'est bien James Bond qui reviendra) ou même de son ton, on ne serait que conseiller à ses têtes pensantes de retrouver un peu de la frivolité des films de Connery, voire même de faire un petit arrêt au stand à Cuba.
Merci d'avance.


Jonathan Chevrier