[LES CARNETS DE L’ÉTRANGE] : Jour 9
Étrange Festival cuvée 2021 : J-9.
Le rendez-vous de la rentrée pour les cinéphiles parisiens est, comme chaque année, L’Étrange Festival et son lot de curiosités venues des quatre coins du monde. Né en 1993, l’évènement prend place, cette année et comme d’habitude, au Forum des images, dans le centre de la capitale. C’est un immanquable pour tous les passionnés d’horreurs, de genre, de bizarre, de tout ce qui sort des écrans conventionnels et qu’on ne verrait pas ailleurs. Cette année, le festival propose sa traditionnelle compétition, sa sélection Mondovision, ses découvertes de nouveaux talents et ses trouvailles de documentaires mais aussi des cartes blanches et focus. La réalisatrice Lynne Ramsay a ainsi amené quelques œuvres avec elle, tout comme Pierre Bordage. On retrouve, enfin, des projections des films de Atsushi Yamatoya, un focus Fred Halsted et trois films de Yûzô Kawashima.
C’est un programme fort alléchant auquel on est ravi d’assister. Nos rédacteurs se font un plaisir de découvrir, pour vous, ces inédits ou ces rétrospectives.
Le neuvième jour du festival était encore synonyme de choix. On commence avec Manon, qui explique avoir longtemps hésité entre La Femme qui poursuit le papillon mortel et Junk Head, avant de trancher vers celui qu’elle n’aura probablement jamais l’occasion de revoir sur grand écran, c’est-à-dire le premier. Direction la Corée du sud, donc, pour découvrir un drame fantastique de Kim Ki-Young, datant de 1978. Kim Young-gul rencontre, lors d’une chasse aux papillons, une jeune femme qui lui propose de partager un verre. Celui-ci était en fait empoisonné, la jeune femme désirant effectuer un suicide collectif. Mais le jeune homme survit et devient, par la suite, obsédé par la mort, alors qu’il assiste à l’arrivée d’évènements macabres dans sa vie. Manon décrit La Femme qui poursuit le papillon mortel comme « un grand film devenu nanar par l’effet du temps » : « le film s’assume à fond dans ce qu’il est : un récit psychédélique romantique, hanté par un syndrome post-traumatique et use de milles effets pour l’illustrer, ainsi que d’une photographie chaude qui ne fait pas non plus dans la demi-mesure. L’ennui c’est qu’une proposition aussi radicale, déjà souvent un peu bancale, ne vieillit pas toujours très bien. La Femme qui poursuit le papillon mortel a choisi d’ignorer les conventions scénaristiques ou d’assumer pleinement des ruptures de ton extrêmes ce qui peut dérouter et provoquer le rire. On ajoute que les effets spéciaux ont tellement mal vieilli qu’une scène, qui se veut dérangeante, hantée, devient hilarante même pour le spectateur dépourvu de cynisme. C’est une belle découverte, autant pour son intérêt cinématographique que pour la bouffée d’air frais qu’elle constitue (involontairement et malgré son sujet sombre) au milieu d’un festival aux œuvres parfois difficiles à regarder. »
La Femme qui poursuit le papillon mortel était diffusé dans le cadre des pépites de L’Etrange.
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Manon se dirige ensuite vers les Etats-Unis avec Le Jour du fléau, choisi par Lynne Ramsay pour sa cadre blanche. Le film est réalisé par John Schlesinger et date de 1975. A Hollywood, dans les années 30, un beau jeune homme travaillant sur la conception des décors de films tombe amoureux d’une actrice de seconde zone, qui se rêve un jour star du grand écran. Mais la jeune femme, volage, séduit aussi un autre homme, plus âgé et maladroit, qui vit en tant que comptable, loin des paillettes de l’industrie. Manon en tire ces quelques mots : « Au départ bluette à l’archétype féminin plus que discutable (ce qu’on ne perdra malheureusement jamais complètement), Le Jour du fléau vire progressivement au drame dans lequel les personnages souffrent tous de la solitude et ne parviennent pas à s’épanouir dans les relations humaines. Le grand spectacle hollywoodien bascule autant symboliquement que littéralement, à l’aube de la seconde guerre mondiale. Le Jour du fléau est un film effectivement plus étrange et sombre que sa première heure (il dure 2h24) laisse supposer ! »
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Manon termine sa journée toujours aux Etats-Unis avec Mad God, un film d’animation de Phil Tippett. Un personnage traverse, dans une quête mystérieuse, un monde postapocalyptique peuplé de créatures étranges et cruelles. On laisse la parole à notre rédactrice : « Mad God était précédé d’un court-métrage sur Phil Tippett, qui racontait les origines du projet et sa volonté de faire perdurer le stop motion, là où les grands studios préfèrent tous travailler sur des ordinateurs. Le long-métrage parle finalement de cette volonté de proposer un monde construit de toute pièce par les mains d’artistes et artisans, dieux du cauchemar qu’ils offrent aux spectateurs, pour leur plus grand plaisir. C’est visuellement somptueux mais aussi effrayant et c’est clairement le meilleur film de la compétition Nouveau Genre. Seul petit bémol : on se perd parfois dans le récit mais l’œuvre mérite clairement ses avis extrêmement positifs. »
Léa confie être allée voir le film après un apéro et craignait ne pas disposer de toute la concentration nécessaire mais a été happée : « Voir ce film avec deux pintes dans le sang était simultanément ma pire idée du festival et ma meilleure. Face à cette folie souterraine, colorée, gluante, où l’on suit divers personnages dans leurs pérégrinations spirituelles et quotidiennes, il est facile de se laisser emporter au-delà des images, vers des visions incroyables et enfiévrées. L’inventivité folle des décors, des personnages, des univers infinis que l’on présente à chaque plan est complètement galvanisante. Comme dans un cauchemar, les environnements deviennent de plus en plus grands ou petits, comme des fractales d’Alice au Pays des Merveilles. Les explosions occasionnelles de couleur sont sublimes, dans le marron et le gris de ce monde postapocalyptique (ou très ancien, à choisir). J’ai le sentiment d’avoir été devant quelque chose de grand, presque enfantin dans son absence d’enjeux ou de scénario, mais terriblement fascinant. Une vraie claque étrange. Chapeau Phil ! »
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John, tout aussi enthousiaste avait déjà découvert le film la veille et en avait tiré une critique que vous pouvez retrouver ici.
Notre rédacteur en chef clôture justement ce bilan avec la seconde projection de Orange Sanguines. Manon expliquait, lors du bilan du cinquième jour, avoir apprécié cet « exutoire calme et dérangeant, bien que pourvu d’une certaine maladresse », John est beaucoup moins convaincu : « Louchant sur l'humour et la structure non sequitur de Dupieux, autant que sur la férocité (intelligemment) méprisante et virulente d'Haneke, Oranges Sanguines est un défouloir radical, agressif et illisible qui se fait aussi bête qu'il est méchant, laissant déconfit un auditoire venu se bidonner devant un film à sketchs corrosif, et qui termine in fine avec une charge (trop) consciente et inégale censée être drôle. Trop d'acidité tue l'acidité ». John a également développé sa pensée dans une critique complète, que vous pouvez retrouver ici.
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Il ne reste à présent que trois jours de festival mais l’équipe compte bien à profiter à fond et vous donne déjà rendez-vous demain, pour un nouveau bilan étrange !
La Fucking Team (Manon Franken)