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[LES CARNETS DE L’ÉTRANGE] : Jour 11

Étrange Festival cuvée 2021 : J-11.


Le rendez-vous de la rentrée pour les cinéphiles parisiens est, comme chaque année, L’Étrange Festival et son lot de curiosités venues des quatre coins du monde. Né en 1993, l’évènement prend place, cette année et comme d’habitude, au Forum des images, dans le centre de la capitale. C’est un immanquable pour tous les passionnés d’horreurs, de genre, de bizarre, de tout ce qui sort des écrans conventionnels et qu’on ne verrait pas ailleurs. Cette année, le festival propose sa traditionnelle compétition, sa sélection Mondovision, ses découvertes de nouveaux talents et ses trouvailles de documentaires mais aussi des cartes blanches et focus. La réalisatrice Lynne Ramsay a ainsi amené quelques œuvres avec elle, tout comme Pierre Bordage. On retrouve, enfin, des projections des films de Atsushi Yamatoya, un focus Fred Halsted et trois films de Yûzô Kawashima.

C’est un programme fort alléchant auquel on est ravi d’assister. Nos rédacteurs se font un plaisir de découvrir, pour vous, ces inédits ou ces rétrospectives.

On entame, avec la journée du 18 septembre, avant-dernier jour de festival. Manon et Léa se dirigent vers la compétition Nouveau Genre avec The Innocents, film norvégien d’Eskil Vogt. C’est l’été, Ida et sa sœur Anna, autiste, déménagent dans une cité HLM. Ida fait la connaissance d’autres enfants, qui lui expliquent qu’ils ont développé des pouvoirs surnaturels. Mais les mignons bambins sont loin d’être dépourvus de danger. Léa en parle : « The Innocents est d’abord un film sur l’indolence, et la créativité qui ressort parfois de celle-ci, en même temps que la violence. Ida et sa soeur Anna, Aisha et Benjamin sont au début des camarades de jeux originaux et attachants. La performance de la jeune Rakel Lenora Flottum est bluffante de maturité, elle est tout autant glaçante qu’attendrissante. Le film prend son temps, d’ailleurs un peu trop, pour instaurer une ambiance malaisante et progressivement violente ; mais il se perd dans un dernier tiers où les enjeux s’auto-annulent. Les parents ne semblent jamais prendre la mesure du danger, peut-être parce qu’ils ne sont pas assez attentifs. The Innocents est une parenthèse enchantée, construite comme un conte cruel, du manque de présence adulte et de l’exploration de soi. » Manon ajoute : « qu’est-ce qui fait la différence entre un enfant empathique et un autre présentant un sacré trouble antisocial ? The Innocents commence par dépeindre avec un peu trop d’efficacité pour le spectateur sensible, la cruauté que suit parfois la fascination pour la mort et la toute-puissance, retournant les tripes, faisant jaillir les larmes. Une fois l’émotion passée, on en vient cependant à se demander si on n’a pas été manipulés par un tour un peu facile ? Le film s’affine ensuite, avec un regard plutôt juste sur les jeux d’enfants, la joie de retrouver le cocon et l’envie de s’affranchir qui apparaît à 9 ans. Benjamin, le petit garçon clairement psychopathe est présenté avec son impulsivité, ses faiblesses et la relation entre Anna et Ida devient très vite touchante. Le dégoût du premier quart est remplacé par la beauté de la force des deux sœurs. En ressort de The Innocents en ne marchant pas complètement droit mais on est forcé d’admettre que le film est réussi. »

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John et Léa se retrouvent ensuite sur un autre continent avec Saloum, une co-production Sénégal, USA, France, réalisée par Jean-Luc Herbulot et présentée dans le cadre de la sélection Mondovision. 2003. Fuyant un coup d’Etat en Guinée-Bissau, trois légendaires mercenaires des Hyènes de Bangui doivent cacher leur magot et protéger un baron de la drogue. Ils sont contraints de se réfugier dans la région mystique du Saloum, au Sénégal. Léa décrit « un scénario simple et efficace, suivant un groupe de trois personnages charismatiques et violents, en entraînant d’autres dans leur sillage. Les trois mercenaires sont arrogants et puissants, leur leader en tête, qui semble cacher quelque chose. Dans la région sénégalaise remplie de légendes du Saloum, tout peut arriver, et les révélations s’enchaînent. » Elle continue : « Le film a un petit sentiment d’inachevé, par des plans qui sautent, un sous titrage hasardeux, et des effets inefficaces. Les dialogues remplis de one-liners sont tour à tour drôles ou trop décalés pour faire mouche. Les antagonistes ont un fonctionnement étrange et assez peu logique. Ces nombreux défauts n’en font pas pour autant un mauvais film : Saloum est profondément original, servi par une musique rythmée et plaisante, et par une action rapide. On sent l’envie et l’ambition de l’équipe du film de faire du fantastique et du thriller, et ça fonctionne principalement par l’enthousiasme du casting. Une promesse convaincante à défaut d’être un film parfait. »

C’est au tour de John d’en parler : « Entre mysticisme, croyances surnaturels, folklore ancestral, moralité/spiritualité mise à l'épreuve et regard sombre sur la (dure) réalité des enfants soldats dans l'ouest du continent africain, la péloche va vite, parfois peut-être trop pour son bien, au point de brader un brin ses thèmes mais aussi la profondeur de ses personnages. Reste que sa générosité débordante, épaulée par les fulgurances magnifiques de la photographie de Gregory Corandi, une mise en valeur intelligente de son cadre et les performances charismatiques de sa distribution principale - Yann Gael en tête -, font que Saloum transpire non seulement l'amour du cinéma bis qu'on aime, mais incarne surtout une put*** de bonne surprise comme on aimerait en voir plus souvent, et encore plus venant du continent africain. »

Courtesy of Lacme Studios

Chaque année, L’Etrange Festival propose plusieurs sélections de court-métrages, mettant en lumière l’arrivée de la relève. Manon découvre la huitième et dernière sélection, qui porte sur la thématique de la haine et la violence.

La projection commence par La Ultima Navidad Del Universo, un film espagnol de David Munoz et Andrian Cardona. Dans un monde postapocalyptique ultra-violent, le Père Noël débarque au milieu d’un règlement de comptes. Manon explique : « Le court-métrage ne tient aucun propos mais se porte étendard d’une volonté de s’amuser dans un monde en ruine. C’est très gore mais surtout très drôle ». On reste en Espagne pour Dana de Lucia Forner Segarra, qui suit Dana, victime d’une violente agression bien décidée à rendre justice, « un film maîtrisé mais qui aurait gagné à creuser son sujet du rape and revenge pour rester moins évident. » Place à l’australien Sweet Mary, where did you go ? de Michael Anthony Kratochvil. Un bagnard évadé, perdu dans l’Australie de 1803, rencontre deux voyageurs temporels immortels venus de notre futur « c’est visuellement somptueux mais l’œuvre aurait gagné à être un peu plus compréhensible ». Dans la lignée des court-métrages encore un peu trop mystérieux, on retrouve Temple of Devilbuster de Wang I.-Fan (Taïwan), dans lequel on suit Tai-bao et A-Queen, deux réincarnations de l’étoile du diable, mais Tai-bao s’enfuit. Manon explique avoir été « impressionnée par la maîtrise et l’identité formelle du film, qui entraîne le spectateur dans un spirale de violence à partir d’un court récit qu’il faut suivre avec attention tant tout va vite. Du coup, Temple of Devilbuster aurait gagné à être plus lisible ». On revient en France le temps de Scum Mutation, de l’artiste et activiste Ov, un film expérimental animé qui se présente comme représentation du monde d’aujourd’hui : « si monde d’aujourd’hui signifie thread Twitter, Scum Mutation est très bien réussi. Blague à part, ce n’est pas forcément un défaut car cela atteste d’une manière de militer intéressante et à l’origine des changements de la société, seulement le film reste un peu évident – peut-être est-ce là une volonté de l’artiste pour toucher les masses ? ». Et on termine sur Myosotis de Félix Dobaire, dans lequel un apiculteur tue accidentellement sa femme et décide, par crainte d’être accusé du meurtre, de l’enterrer sous son potager. Mais le potager semble se rebeller. Manon termine avec ces quelques mots : « il y a une vraie volonté de cinéma chez Félix Dobaire mais l’univers mérite à devenir un peu plus personnel. »

Temple of Devilbuster - © D.R.

Léa termine sa journée avec If… de Lindasy Anderson, un film britannique de 1968, choisi par Lynne Ramsay pour sa carte blanche. Des lycéens anglais se révoltent contre le système éducatif et ses iniquités, répondant à la violence par la violence… On laisse la parole à notre rédactrice : « Ne cherchez plus le parfait film Dark Academia : loin des bons sentiments du cercle des poètes disparus (le présentateur nous dit d’ailleurs de sortir de la salle si c’est ce à quoi nous nous attendions), If... est un film-pamphlet, situé dans un internat pour garçons dans un college britannique tout ce qu’il y a de plus respectable. Les hiérarchies sociales y sont tenaces et cruelles : entre violences sexuelles, bizutages, et toutes sortes de punitions physiques, tous ceux qui ne rentrent pas dans la norme sont moqués et brimés. Tenant presque du documentaire, avançant dans l’année scolaire, le film présente ces interactions cruelles et n’ayant pas d’autres justifications que de maintenir la discipline. Il se permet quelques moments d’absurdité et de drôlerie entre la dureté de ce boys’ club où chacun oppresse les autres à un moment donné. La fin du film tarde à arriver, et des répétitions et longueurs semblent être là pour nous montrer le ressenti des élèves. L’explosion de violence escomptée n’arrive qu’à la toute fin du film, et semble assez vaine dans ce microcosme. De fait, le message est assez clair : toute rébellion est vouée à être minuscule et tuée dans l'œuf. Pas aussi radical qu’il en a l’air, ce film peine à s'inscrire dans un contexte politique plus large. Et vous, comment auriez-vous organisé la révolte ? »

© D.R.

Enfin, qui dit Fucking Cinephiles dit fuck et comme on estime que les enfants sont couchés à 21h45, Manon se dirige vers le focus Fred Halsted (1941-1989), proue du cinéma pornographique gay dans les années 1970, avant de connaîtra une fin funeste. Ses deux chefs-d’œuvre (pour reprendre les mots du programme du festival), The Sex Garage et L.A Plays Itself sont les seuls pornos gays à avoir rejoint la collection permanente du Museum Of Modern Art. La projection de ce soir démarre justement avec le moyen-métrage (35 minutes) The Sex Garage, un film X qui commence sur une fellation hétérosexuelle pour finir en triolisme gay avec un clair fantasme sur la soumission et… Les voitures. Manon souligne « un montage alterné et un rythme frénétique à partir duquel le film devient la fellation elle-même, ça n’a rien à voir avec les productions industrielles pornographiques qu’on trouve aujourd’hui gratuitement en ligne. »

© D.R.

Place désormais au documentaire X Erotikus : A History Of The Gay Movie (1973) de Tim DeSimone et présenté par Fred Halsted, qui narre l’histoire du cinéma pornographique et érotique gay. Le documentaire se concentre sur quelques grandes œuvres du genre et esquisse une vraie proposition formelle. On voit des pénis, beaucoup de pénis, ainsi que beaucoup d’éjaculations sur fond de Boléro de Ravel. Notre rédactrice termine par ces mots « c’est clairement une ode à la jouissance (parfois un peu longue) ».


La Fucking Team (Manon Franken)