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[CRITIQUE] : Saint Maud

Réalisatrice : Rose Glass
Avec : Morfydd Clark, Jennifer Ehle, Turlough Convery, Lily Frazer,...
Distributeur : - (Canal +)
Budget : -
Genre : Thriller, Fantastique.
Nationalité : Britannique.
Durée : 1h23min

Synopsis :
Maud, infirmière à domicile, s’installe chez Amanda, une célèbre danseuse fragilisée par la maladie qui la maintient cloîtrée dans son immense maison. Amanda est d’abord intriguée par cette étrange jeune femme très croyante, qui la distrait. Maud, elle, est fascinée par sa patiente. Mais les apparences sont trompeuses. Maud, tourmentée par un terrible secret et par les messages qu’elle pense recevoir directement de Dieu, se persuade qu’elle doit accomplir une mission : sauver l’âme d’Amanda.



Critique :


Il y a quelque chose d'involontairement frappant à la vision du brillant Saint Maud de Rose Glass dont c'est, étonnamment vu l'assurance et la maîtrise qui caractérise son effort, le premier long-métrage, tant il offre une opposition plutôt juste de la distance entre l'horreur pré et post-pandémie.
Vissée sur une horreur qui traite ostensiblement de religion (avant tout comme d'un refuge) et de la croyance/dévotion qui l'accompagne, pour mieux pointer la solitude profonde et existentielle de ceux qui en voue leur quotidien, la péloche peut intimement s'opposer - distribution chaotique oblige - à plus d'un an et demi de solitude bien réelle de la majorité de son auditoire; dite solitude dont on peut se demander si elle nous a rapproché de l'humanité, ou renforcer notre isolement/auto-autarcie (l'extrême introversion n'est-elle pas, finalement, le nouveau symptôme universel de la condition humaine ?).

Copyright Angus Young/Saint Maud Limited/The British Film Institute/Channel Four Television Corporation 2019

Mise en images sobre, mesurée et intensément effrayante d'une guerre littérale et métaphorique entre le bien et le mal, la lumière et l'obscurité, Rose Glass tisse le portrait complexe de Maud, une jeune infirmière nouvellement religieuse mais très dévouée et égocentrée, dont la santé mentale et psychologique instable (qui peut être la réponse à la mort traumatique d'un ancien patient) accompagne une communion toujours plus profonde et de plus en plus dangereuse, avec Dieu.
Des désirs psychosexuels, d'extase/ferveuse spirituello-religieuse, qu'elle ressent d'abord comme un " frisson " orgasmique avant de virer vers des dérives extrêmes d'automutilation, pour conduire vers un état physique et spirituel de proximité avec le divin.
Une relation passionnelle toxique et totalement inégale qu'elle n'aura de cesse de vouloir préserver (même si le scénario, malin, ne précise jamais vraiment si elle existe réellement), fruit d'un isolement croissant qui s'oppose à un désir réel d'amour et de communion avec les autres, mais qu'elle ne peut matérialiser.
Sa nouvelle mission religieuse qui l'amène à se concentrer sur la santé d'Amanda, une artiste fanée mais toujours dynamique socialement intégrée, dont la célèbre carrière de danseuse a été interrompue par une maladie chronique.

Copyright Angus Young/Saint Maud Limited/The British Film Institute/Channel Four Television Corporation 2019

Alors qu'elles se rapprochent, Amanda utilise le zèle religieux de Maud pour la manipuler subtilement, la taquinant avec des cadeaux d'art de William Blake, tout en la surnommant son " sauveur ".
Mais celle-ci n'est décemment pas préparée à l'obsession qu'elle enflamme chez son infirmière, ni à l'obscurité que Maud manifeste au nom de sauver sa patiente préférée...
S'alignant subtilement sur des récits gothiques références, plongeant au coeur de la ferveur religieuse chez la femme isolée, Glass cite frontalement Le Narcisse Noir (ou le récit canalisait la maladie mentale de son anti-héroïne, pour la laisser lentement glisser vers l'aliénation sociale et la rébellion) à La Passion de Jeanne d'Arc (une méditation sur la figure du martyr), en passant par Martyrs (dans son idée de glaner un statut de sainteté à travers la souffrance, avant de la transformer en une allégorie du traumatisme et des abus du passé), tout en refusant intelligemment de continuellement user de la carte facile du brûlot anticlérical : la religiosité extrême de Maud ne fait que révéler le mal plus insidieux et profond, de son incapacité à se connecter au monde (même si, cyniquement, elle ne s'intéresse pas aux autres et encore plus avec son sentiment de supériorité divine).

Copyright Angus Young/Saint Maud Limited/The British Film Institute/Channel Four Television Corporation 2019

Visuellement raffiné et éblouissant, porté par une photographie démente de Ben Fordesman, appuyant autant sur les contrastes de clair-obscur qu'elle compose certains plans tout droit sortie des tableaux religieux de la Renaissance; Saint Maud, entre First Reformed et un Take Shelter sauce exorcisme (qui rend presque palpable la physicalité de ressentir Dieu), se fait avant tout et surtout un portrait féminin tragiquement vulnérable, incarnés avec puissance par Morfydd Clark (dont la performance habitée grimpe crescendo en tension, à mesure que le voyage autodestructeur arrive à son inéluctable destination) et Jennifer Ehle (absolument extraordinaire).
Symphonie viscérale et claustrophobique sur la ferveur religieuse, le premier et brillant long-métrage de Rose Glass se fait l'odyssée terrifiante et tragique d'une âme happée par les ténèbres et l'obscurité.
Et la lumière ne fût plus...


Jonathan Chevrier


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