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[CRITIQUE] : Le milieu de l’horizon

Réalisatrice : Delphine Lehericey
Acteurs : Luc Bruchez, Laetitia Casta, Clémence Poésy, Patrick Deschamps, Thibaut Evrard, ...
Distributeur : Outplay
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Suisse, Belge
Durée : 1h32min

Synopsis :
La sécheresse de 1976. Sous le soleil implacable de cet été, Gus quitte l’enfance. La nature se désagrège, les sentiments s’exacerbent, le noyau familial éclate : tout craque et se fissure jusqu’à ce que l’impensable arrive. Les orages tant espérés balaieront une campagne épuisée et emporteront un monde avec eux.

Critique :


Pour son deuxième long métrage, la réalisatrice suisse Delphine Lehericey adapte le roman de Roland Buti, Le milieu de l’horizon, un coming of age estival, en pleine canicule. Cinéaste touche-à-tout, Delphine Lehericey est d’abord passée par le métier de comédienne, puis de metteure en scène de théâtre, avant de s’intéresser au cinéma, par le documentaire (dont Les Arbitres, produit avec l'émission Strip-tease) et la fiction, avec Puppy Love, où elle explorait déjà les déboires de l’adolescence.
1976. Gus a 13 ans et vole des revues pornographiques qu’il lit en cachette dans une cabane, loin de la ferme familiale. C’est l’été, la chaleur est plombante, mais la liberté est pourtant présente dans ces premières séquences du film, où Gus arpente les routes avec son vélo. La saison des vacances est souvent synonyme de lâcher prise, de liberté, d’amour aussi. Le milieu de l’horizon aborde toutes ces thématiques, sous un prisme plus sombre cependant. La ferme où Delphine Lehericey pose sa caméra est un monde sous tension, sur le point de s’effondrer. Le point de vue offert aux spectateur‧trices étant celui du petit Gus (incroyable Luc Bruchez dont c’est le premier rôle), cet effondrement mettra du temps à s’installer dans le cadre. La ferme, les relations, l’innocence, tout partira en éclat.

Copyright Outplay Films


L’atmosphère de la ferme est au diapason de l’humeur du patriarche (Thibaut Evrard), qui subit de plein fouet la terrible sécheresse de cet été caniculaire. L’eau manque à cause d’un problème avec la mairie. Ses vaches ne prennent pas assez de poids pour être vendues aux commerçants. Son élevage de poules souffre de la chaleur et tombe comme des mouches. Les champs de maïs sont desséchés. La famille survit comme elle peut et s’attache aux gestes du quotidien pour ne pas sombrer. Les rôles sont genrés et bien établis. Le père dans les champs, la mère à la maison, effectuant les tâches ménagères, la petite famille réunie autour d’un bon repas préparé par Nicole (Laetitia Casta) et d’une prière commune. Quelques fausses notes apparaissent dans cette famille parfaite cependant. L’esquive discrète de Nicole envers les gestes de tendresse de son mari, la fatigue des soucis d’argent, son envie de prendre un travail à mi-temps pour combler les dettes mais aussi pour sortir un peu de son morne quotidien. Sous les yeux de Gus, Nicole est une mère attentive, dévouée, portant sur ses épaules toute la charge mentale, domestique et émotionnelle. Alors qu’elle doit refréner ses émotions pour le bien de sa famille, son mari Jean, au contraire, ne contrôle pas sa colère. Envers sa ferme qui part à vau-l’eau, envers ses enfants, envers sa femme. Dans cette atmosphère déjà épineuse, Cécile (Clémence Poésy) devient la braise du futur incendie, déterrant les passions.

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Le récit se place dans la décennie des révolutions sexuelles et féministes. Ces revendications ne paraissent pas traverser ce milieu rural, et pourtant, l’arrivée de la fameuse Cécile deviendra l’étendard de la révolution. Tandis que les hommes se débattent avec la loi du marché, avec les préjugés, de la seule façon qu’ils connaissent, c’est-à-dire la violence, les femmes prennent leur vie et leur désir en main. Par le biais d’un club de lecture, symbole fort d’une émancipation féminine intellectuelle, Nicole va se défaire du joug du patriarcat pour embrasser la liberté que représente Cécile, divorcée de son plein gré, lesbienne assumée. Et Gus dans tout ça ? Ce personnage est comme nous, témoin des péripéties, impuissant. Il passe par toutes sortes de sentiments : colère, rancune, amertume. En pleine construction, il doit faire face aux décisions de ses parents, à leurs défauts, à leurs doutes, dans un âge où nous les voyons comme des institutions, immuables et allant de soi. Son regard se fait réprobateur, hargneux, prêt à porter une révolution en lui, celle de l’adolescence.

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Delphine Lehericey pose un contexte rural et social réaliste, sa caméra se fait la témoin d’une déchirure irréversible, dans une moiteur insoutenable. Le milieu de l’horizon est un récit de construction en filigrane, autour d’une déconstruction de la cellule familiale dite “classique” dans le regard d’un adolescent.
 
 
Laura Enjolvy