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[CRITIQUE] : La métaphysique du berger

Réalisateur : Michaël Bernadat
Acteurs : -
Distributeur : La Vingt-Cinquième Heure
Budget : -
Genre : Documentaire
Nationalité : Français
Durée : 1h12min

Synopsis :
Des hauts-plateaux du Vercors aux limbes des vallées de la Drôme, Boris tente d’atteindre son idéal : mener une vie de berger, loin de la société contemporaine et de sa technologie dévorante. Tout bascule à la naissance de son fils avec le difficile apprentissage de la paternité.


Critique :



Pour son premier film documentaire, Michaël Bernadat pose sa caméra dans les magnifiques montagnes du Vercors. La métaphysique du berger s’intéresse à Boris, berger (comme le titre l’indique) et éleveur de chevaux, suit son quotidien, ses questionnements concernant l’agriculture, l’élevage dans un contexte capitaliste et sa relation avec la nature. Pendant un peu plus d’une heure, le cinéaste filme la complexité de la campagne, l'âpreté des conditions précaires, la liberté factice, la beauté de la Drôme et la recherche d’un idéal mise à mal par la responsabilité d’une vie de famille.

Copyright La Vingt-Cinquième Heure

La métaphysique du berger a été filmé bien avant le début de la pandémie, mais les spectateur‧trices d’aujourd’hui ne pourront pas s’empêcher d’y voir un parallèle avec l’actualité. La volonté première du réalisateur était de filmer un semblant de fin du monde, une personne qui quitte notre société à bout de souffle. C’est par le biais familial qu’il rencontre Boris, son beau-frère, habitant dans les hauts plateaux du Vercors. Venir le filmer pour son prochain film, ce qui devait être un court métrage, coule de source. Boris est un véritable personnage de cinéma, un marginal féru de philosophie, rêvant d’une vie en marge de tout. Il voudrait être tout à fait indépendant, cultiver ses propres terres, ses propres bêtes, de rien devoir à notre société et vivre comme il l’entend. Mais la réalité est toute autre. La marginalité est rarement quelque chose que l’on choisit, mais plutôt quelque chose que l’on subit. Boris va vite déchanter, surtout quand il devient père, avec toutes les responsabilités que cela demande.
La prémisse du film était de faire une adaptation documentaire du livre Ravage, écrit par René Barjavel, qui expose l’effondrement brutal de notre civilisation après une panne énergétique globale. Dans la solitude de la vie montagnarde, Michaël Bernadat pensait y trouver ce qu’il cherchait dans la vie de Boris. La métaphysique du berger est un film tout autre, car malgré une vie loin de tout, Boris ne peut survivre sans avoir au moins un pied dans la société, sans être au contact des autres. C’est tout le paradoxe entre fantasme et réalité. Nous ne cessons de fantasmer une vie rurale calme, aux verts, sans rien à des kilomètres à la ronde. Pendant le confinement, la campagne est devenue une sorte de rêve, accessible uniquement aux plus riches possédant des demeures pour y passer leur quarantaine. Le cinéaste, de son côté, expose la réalité. Le travail quotidien, la fatigue. La mise en scène aide grandement à ce fantasme dénudé de toute substance, ancré dans la terre. Pas de plan grandiloquent, pas de courte focale pour sublimer la verdure ou de longue focale pour entrer dans les pensées de Boris, mais une focale neutre, la 50 mm, la plus proche de l'œil humain. Cette œil-focale capte alors la vérité : les gestes sûrs pour tondre un mouton, soigner une patte cassée ou la tétée d’un nouveau-né. Le film ne donne pas de réponse, mais pose beaucoup de questions, par le biais de Boris, de son attrait à la philosophie et surtout par son expérience. Pour totalement se libérer de la civilisation moderne, il faut mener une vie exigeante et accepter la solitude. L’idéal de Boris est mis à mal à la naissance de son fils, dont les besoins ne sont pas forcément compatibles avec une vie loin de tout. Il faut aussi accepter les compromis d’une vie de couple, sa compagne n’acceptant pas tout à fait la vie marginalisée dont il rêve.
 
Copyright La Vingt-Cinquième Heure

Avec l’absence de plans «interview», La métaphysique du berger prend la forme d’une discussion plutôt qu’une affirmation. La voix-off de Boris, déclamant des poèmes ou partageant ses pensées intimes, aide à créer le sentiment d’une expérience, point de départ d’un questionnement sur les contradictions d’une vie rurale, sans cynisme ni misérabilisme.


Laura Enjolvy