[CRITIQUE] : Zana
Réalisatrice : Antoneta Kastrati
Avec : Adriana Matoshi, Astrit Kabashi, Fatmire Sahiti,...
Distributeur : -
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Albanais, Serbe.
Durée : 1h37min
Synopsis :
Une femme kosovare, encore meurtrie par la brutalité de la guerre, semble être infertile. Sa famille l'envoie auprès de guérisseurs pour qu'elle puisse leur donner un héritier.
Critique :
Expérience anthropologique et psychologique fascinante, citant autant Rosemary's Baby que les cauchemars Lynchiens, #Zana est une oeuvre déchirante replaçant sur la table le débat des ravages de la guerre, tout en étant une contemplation (très) personnelle sur le deuil maternel. pic.twitter.com/AY2rxLYxsJ
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) April 4, 2021
Les guerres balkaniques en ex-Yougoslavie ont été des événements d'une inhumanité horrible, qui ont démontré non seulement que l'Europe ne retenait absolument pas les leçons de ses erreurs précédentes, mais surtout son incapacité irritante - pour être poli - à agir pour sauver des populations entières en pleine souffrance, laissant à peine cinquante après l'Holocauste, un génocide se produire à la vue de tous - et sur tous les écrans de télévisions du monde.
Même plus de deux décennies après, les répercutions de ces affrontements sont encore perceptibles et les plaies sont encore loin d'être cicatrisées (le lynchage ethnique systématique, les viols, les tortures et les meurtres ne cesseront pas de hanter toutes ces générations en un claquement de doigt), et c'est dans ce contexte profondément apocalyptique que la scénariste et réalisatrice kosovare Antoneta Kastrati pose ses caméras avec son formidable Zana, dont la puissance thématique et évocatrice est puisée autant dans la propre tragédie de son pays, que la sienne (elle dédie d'ailleurs le film à sa mère et sa sœur, décédées pendant la guerre).
Crossing Bridges Films |
Expérience anthropologique et psychologique fascinante, le film suit les aléas de Lume, une femme albanaise vivant avec son mari Ilir, ainsi que sa belle-mère dans un petit village du Kosovo. Bien qu'elle ait essayé à peu près tout ce que la science médicale a à offrir, elle ne semble plus pouvoir avoir d'enfant depuis la mort cruelle de sa fille - prise dans des tirs croisés - et semble cruellement infertile.
Sous pression pour remplir ses devoirs d'épouse (attentes liées au sexe, aux attentes familiales - un héritier - et à l'histoire du Kosovo), et alors que sa belle-mère somme son fils de se trouver une seconde épouse plus fertile (quitte à inviter de potentielles nouvelles épouses à la maison), elle accepte finalement d'aller voir un sorcier local (qui ordonne un sacrifice animal) puis un télévangéliste (qui déclare avec confiance qu'elle est possédé par un esprit métamorphe).
Cependant, elle est constamment en proie à des cauchemars terrifiants, et plus elle se rapproche de devenir mère, plus le traumatisme de son passé la hante et son isolement se fait plus intense...
Sondant le pouvoir du chagrin et de la destruction intime que la guerre inflige à ceux qui sont les victimes de ses ravages, Zana est un douloureux drame sur une femme parmi tant d'autres (Adriana Matoshi, tout simplement incroyable), qui ne pourra jamais continuer sa vie, engoncée dans une zone de détresse absolue ou le cadre pastoral (superbe photographie de Sevdije Kastrati, la soeur de la réalisatrice) dément furieusement son tourment intérieur (vu ce quelle subit, il est même plus que compréhensible quelle perde la tête).
Citant Rosemary's Baby avec ses tropes d'horreur psychologico-corporelle autour de l'accouchement, le film pourrait même se voir comme un sombre et turbulant songe Lynchien, sorte de cousin lointain et kosovar de Blue Velvet ou le macguffin de l'oreille coupée (que Lynch disait comme un élément déclencheur pour explorer les psychopathologies obscures des banlieues ricaines sous Regan), est remplacée par celle d'une tête de vache sectionnée (pour mieux servir de point de départ pour une exploration des massacres civils commis au Kosovo dans les 90s).
Crossing Bridges Films |
Avec un aplomb incroyable pour un premier long-métrage de fiction, la cinéaste retranscrit avec subtilité la combinaison Freudienne de l'opposition entre la vie - la fertilité - et la mort - l'infertilité et la guerre -, obsession et traumatisme non résolu, tout en omettant jamais la réalité d'une brutalité enfouie partout, dans les coeurs, les regards, les esprits (nos pulsions psychiques, même inconscientes, de mort) et la moindre parcelle de terre.
Contemplation (très) personnelle sur le deuil maternel, qui peut cependant très bien sonner comme un témoignage universel (le scénario est né grâce à beaucoup de témoignages recueillis par Antoneta Kastrati), flanqué au coeur d'une étrange dichotomie d'un pays pris entre l'ancien monde (les croyances archaïques sur les mœurs familiales, la sorcellerie, les superstitions,...) et le nouveau (la technologie 2.0), ou l'horreur se loge dans le traitement infligé aux femmes et non le surnaturel convoqué -; Zana est une oeuvre déchirante et obsédante replaçant sur la table les débats des ravages de la guerre et de l'exaspérant/indigne statut restrictif des femmes dans des pays géographiquement pas si éloigné du notre.