[SƎANCES FANTASTIQUES] : #11. Megan is Missing
Parce que les (géniales) sections #TouchePasAMes80s et #TouchePasNonPlusAMes90s, sont un peu trop restreintes pour laisser exploser notre amour du cinéma de genre, la Fucking Team se lance dans une nouvelle aventure : #SectionsFantastiques, ou l'on pourra autant traiter des chefs-d'oeuvre de la Hammer, que des pépites cinéma bis transalpin en passant par les slashers des 70's/80's; mais surtout montrer un brin, la richesse d'un cinéma fantastique aussi riche qu'il est passionnant à décortiquer. Bref, veillez à ce que les lumières soient éteintes, qu'un monstre soit bien caché sous vos fauteuils/lits et laissez-vous embarquer par la lecture nos billets !
#11. Megan is Missing de Michael Goi (2011)
« Être réalisateur, c’est être voyeur ». C’est pas moi qui le dit, c’est Brian De Palma. Et j’ai toujours trouvé cette approche du travail de réalisation particulièrement intéressante, regarder un film ce n’est ni plus ni moins qu’engager notre perception dans les traces de l’œil d’un cinéaste, qui a l’insu de ses personnages, pose un regard minutieux sur des scènes parfois très intimes de leur vie où nul œil extérieur n’a sa place. Le réalisateur est l’avatar voyeuriste du spectateur, qui par l’acte de regarder tout en étant invisible et inexistant aux yeux de ces personnages fictionnels, vient satisfaire une pulsion scopique insatiable (concept psychanalytique freudien appliqué au cinéma par Laura Mulvey dans son passionnant essai publié dans la revue "Screen" en 1975, "Plaisir visuel et cinéma narratif", texte fondateur et crucial pour la possibilité actuelle d'une approche féministe du cinéma). Si je parle de ça, c’est que Megan is Missing est un film qui va avec brio questionner cette pulsion scopique jusqu’à un malaise vertigineux, et que c’est un des films ayant un des usages les plus intéressant et pertinent du found-footage qui soit. Et c’est aussi le film le plus traumatisant que vous verrez de votre vie.
La vérité c’est que depuis que je l’ai vu pour la première fois il y a déjà des années de ça, j’entretiens avec ce film un rapport d’une ambiguïté que je ne parviens pas à démêler et qui tient dans l’interrogation suivante : Est-ce une œuvre qui interroge sur la question du voyeurisme, ou un film qui se vautre dans ce dernier ? C’est une question qui me taraude l’esprit dès que j’y pense, et en trouvant le courage de revoir le film pour écrire dessus je pense avoir trancher mon avis. C’est un film d’une grande intelligence qui met le spectateur dans une position horriblement inconfortable pendant une heure, puis lui assène un coup de grâce intraitable dans ces inoubliables, abominables vingt-deux dernières minutes. Le film joue la carte du réel en s’annonçant lui-même, comme le font beaucoup de films en found-footage, comme étant un assemblage véritable d’images tirées des téléphones, ordinateurs et caméras de Amy et Megan, deux adolescentes de quatorze ans dont on nous annonce immédiatement qu’elles sont toujours portées disparues. On est déjà en face d’un film qui efface toute perspective de happy-end. Pendant toute la première partie, on fait connaissance avec les deux adolescentes et l’amitié qui les lie, et cela au travers de leurs échanges filmés. On fait connaissance très, trop intimement avec elles. Plus que jamais notre position de spectateur semble illégitime, les images qui nous sont présentées ne sont même pas celle qu’a voulu capter un metteur en scène mais bel et bien des conversations intimes entre deux jeunes filles qui se font des confidences bien au chaud en pyjama sous leur couette, persuadées d’être dans un cocon inébranlable d’intimité rassurante. Nous n’avons rien à faire là, notre présence est une transgression, l’œil que l’on pose sur ces images et l’oreille avec laquelle on écoute les récits de leur intimité sont scandaleusement intrusifs. On le ressent et ça instaure un malaise palpable. Tandis que sur un plan purement narratif, c’est du pain béni puisqu’on comprend ainsi très rapidement et avec une acuité folle la profondeur des personnages, comment elles se perçoivent l’une et l’autre et pourquoi elles s’aiment. Amy voit en Megan la fille cool et populaire qui s’intéresse à elle ; l’ado timide et encore très ancrée dans l’enfance, vierge, avec un rapport au sexe teinté de curiosité mais encore très défini par le dégout. Megan voit en Amy l’innocence qu’elle aurait aimé ne pas perdre si tôt suite aux trop rudes épreuves subit dans sa jeune existence, elle est son espoir de salut, sa lueur de pureté, elle qui se donne sans passion et sans respect à des garçons abominables pour une entrée en soirée ou pour une dose de drogue. Le regard que le film pose sur leur amitié est d’une tendresse infinie et gorgé d’une très grande empathie, jamais dans le jugement. Il pose vraiment la question de la sexualité adolescente précoce avec pas mal de pertinence, et va surtout avoir à cœur de sensibiliser son audience à un sujet très important : les dangers des rencontres et flirte anonymes sur internet. Et on n’est pas sur de la sensibilisation douce.
Megan va faire une mauvaise rencontre lors d’un chat en ligne, et se faire enlever. Amy qui se doute que ce nouveau flirte a un lien avec sa disparition va aller en informer la police. Ce faisant, et à cause d’un comportement horriblement irresponsable des médias (dont le film fait également une critique) elle va attirer l’attention du kidnappeur sur elle et être quelques semaines plus tard, enlevée à son tour. Lorsqu’on retrouvera sa caméra quelques semaines plus tard dans une poubelle, le film affichera ce dernier carton : « Voici les 22 dernières minutes de la caméra d’Amy Herman, inédites et sans montage ». C’est alors que le film vire au cauchemar le plus absolu, notre point de vue se substitue à celui du kidnappeur qui devient celui qui décide quoi montrer et comment le faire, il ne devient dès lors ni plus ni moins que le réalisateur de ces dernières vingt-deux minutes, et ce sont les scènes les plus insoutenables que j’ai pu voir dans un long métrage. Déjà parce qu’elles sont par essence plus qu’atroce, qu’elle piétine implacablement les moindre parcelles d’innocence que le film a su construire, et que l’œuvre tutoie le réel de manière suffisamment crédible pour qu’on se retrouve là-devant à se dire « putain, ça existe, ce genre de chose existe » et que ça nous broie inévitablement les tripes. Mais aussi pour ce jeu intelligent sur le point de vue et la pulsion scopique du spectateur, qui se retrouve impuissant dans les bottes du monstre, forcé de le suivre, contraint de l’incarner. J’ouvrais ce billet en citant Brian De Palma et pour moi il ne fait pas de doute que Michael Goi, réalisateur du film, est un fervent adepte de son cinéma. Son premier long métrage écrit et réalisé par ses soins en 1999, le bien nommé Voyeur (difficile de faire plus clair sur sa connivence avec ces thématiques), est intéressant à voir en ce sens puisqu’il semble être à mi-chemin entre Body Double et un téléfilm érotique fauché. En toute honnêteté, il n’est pas à mi-chemin mais bien plus proche d’un téléfilm fauché qui voudrait singer De Palma, avec ses acteurs dans les choux, ses scènes de sexe ultra générique caractéristique du cinéma érotique tout naze qui passait la nuit sur la TNT, et sa pseudo dangerosité. Mais si ce premier film est un échec, il montre déjà bien l’ambition du cinéaste à discuter la question du point de vue et du rapport du spectateur et du réalisateur à des images filmées. Et là-dessus, Brian De Palma n’est pas la pire personne dont il puisse s’inspirer. Et la copie qu’il rend avec Megan is Missing est infiniment plus pertinente, et plus personnelle.
Megan is Missing est une torture. Ce n’est pas un film d’horreur qu’on va pouvoir voir et revoir parce que même si ça nous terrifie, c’est une émotion qu’on peut trouver agréable. C’est au contraire un film qu’on ne voudra surtout pas revoir, et qu’on aurait en un sens aimé ne pas voir du tout. C’est vrai qu’il y a un petit côté « message préventif » contre la dangerosité des rencontres sur internet, mais le film a une vraie richesse au-delà de ce postulat. Et il va tellement, tellement loin dans les horreurs qu’il montre : séquestration, humiliation et viol d’une enfant de quatorze ans (la caméra est en gros plan sur son visage, on y lit la panique, la détresse, jusqu’à une atroce résignation, c’est pire que n’importe quelle scène de viol ultra-graphique que vous pourrez voir. Pire qu’Irréversible aussi, oui.) et je ne parlerai même pas de ce qui suit parce que le film arrive à être encore pire que ça. Oui ça semble inconcevable, c’est pourtant bien le cas. Vous allez haïr ce film, mais il va laisser sur vous une marque indélébile. Et si on évalue l’amour qu’on a pour un film a la profondeur de la marque qu’il laisse sur nous, positive ou négative… En un sens vous allez l’aimer.
Kevin
#11. Megan is Missing de Michael Goi (2011)
« Être réalisateur, c’est être voyeur ». C’est pas moi qui le dit, c’est Brian De Palma. Et j’ai toujours trouvé cette approche du travail de réalisation particulièrement intéressante, regarder un film ce n’est ni plus ni moins qu’engager notre perception dans les traces de l’œil d’un cinéaste, qui a l’insu de ses personnages, pose un regard minutieux sur des scènes parfois très intimes de leur vie où nul œil extérieur n’a sa place. Le réalisateur est l’avatar voyeuriste du spectateur, qui par l’acte de regarder tout en étant invisible et inexistant aux yeux de ces personnages fictionnels, vient satisfaire une pulsion scopique insatiable (concept psychanalytique freudien appliqué au cinéma par Laura Mulvey dans son passionnant essai publié dans la revue "Screen" en 1975, "Plaisir visuel et cinéma narratif", texte fondateur et crucial pour la possibilité actuelle d'une approche féministe du cinéma). Si je parle de ça, c’est que Megan is Missing est un film qui va avec brio questionner cette pulsion scopique jusqu’à un malaise vertigineux, et que c’est un des films ayant un des usages les plus intéressant et pertinent du found-footage qui soit. Et c’est aussi le film le plus traumatisant que vous verrez de votre vie.
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La vérité c’est que depuis que je l’ai vu pour la première fois il y a déjà des années de ça, j’entretiens avec ce film un rapport d’une ambiguïté que je ne parviens pas à démêler et qui tient dans l’interrogation suivante : Est-ce une œuvre qui interroge sur la question du voyeurisme, ou un film qui se vautre dans ce dernier ? C’est une question qui me taraude l’esprit dès que j’y pense, et en trouvant le courage de revoir le film pour écrire dessus je pense avoir trancher mon avis. C’est un film d’une grande intelligence qui met le spectateur dans une position horriblement inconfortable pendant une heure, puis lui assène un coup de grâce intraitable dans ces inoubliables, abominables vingt-deux dernières minutes. Le film joue la carte du réel en s’annonçant lui-même, comme le font beaucoup de films en found-footage, comme étant un assemblage véritable d’images tirées des téléphones, ordinateurs et caméras de Amy et Megan, deux adolescentes de quatorze ans dont on nous annonce immédiatement qu’elles sont toujours portées disparues. On est déjà en face d’un film qui efface toute perspective de happy-end. Pendant toute la première partie, on fait connaissance avec les deux adolescentes et l’amitié qui les lie, et cela au travers de leurs échanges filmés. On fait connaissance très, trop intimement avec elles. Plus que jamais notre position de spectateur semble illégitime, les images qui nous sont présentées ne sont même pas celle qu’a voulu capter un metteur en scène mais bel et bien des conversations intimes entre deux jeunes filles qui se font des confidences bien au chaud en pyjama sous leur couette, persuadées d’être dans un cocon inébranlable d’intimité rassurante. Nous n’avons rien à faire là, notre présence est une transgression, l’œil que l’on pose sur ces images et l’oreille avec laquelle on écoute les récits de leur intimité sont scandaleusement intrusifs. On le ressent et ça instaure un malaise palpable. Tandis que sur un plan purement narratif, c’est du pain béni puisqu’on comprend ainsi très rapidement et avec une acuité folle la profondeur des personnages, comment elles se perçoivent l’une et l’autre et pourquoi elles s’aiment. Amy voit en Megan la fille cool et populaire qui s’intéresse à elle ; l’ado timide et encore très ancrée dans l’enfance, vierge, avec un rapport au sexe teinté de curiosité mais encore très défini par le dégout. Megan voit en Amy l’innocence qu’elle aurait aimé ne pas perdre si tôt suite aux trop rudes épreuves subit dans sa jeune existence, elle est son espoir de salut, sa lueur de pureté, elle qui se donne sans passion et sans respect à des garçons abominables pour une entrée en soirée ou pour une dose de drogue. Le regard que le film pose sur leur amitié est d’une tendresse infinie et gorgé d’une très grande empathie, jamais dans le jugement. Il pose vraiment la question de la sexualité adolescente précoce avec pas mal de pertinence, et va surtout avoir à cœur de sensibiliser son audience à un sujet très important : les dangers des rencontres et flirte anonymes sur internet. Et on n’est pas sur de la sensibilisation douce.
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Megan va faire une mauvaise rencontre lors d’un chat en ligne, et se faire enlever. Amy qui se doute que ce nouveau flirte a un lien avec sa disparition va aller en informer la police. Ce faisant, et à cause d’un comportement horriblement irresponsable des médias (dont le film fait également une critique) elle va attirer l’attention du kidnappeur sur elle et être quelques semaines plus tard, enlevée à son tour. Lorsqu’on retrouvera sa caméra quelques semaines plus tard dans une poubelle, le film affichera ce dernier carton : « Voici les 22 dernières minutes de la caméra d’Amy Herman, inédites et sans montage ». C’est alors que le film vire au cauchemar le plus absolu, notre point de vue se substitue à celui du kidnappeur qui devient celui qui décide quoi montrer et comment le faire, il ne devient dès lors ni plus ni moins que le réalisateur de ces dernières vingt-deux minutes, et ce sont les scènes les plus insoutenables que j’ai pu voir dans un long métrage. Déjà parce qu’elles sont par essence plus qu’atroce, qu’elle piétine implacablement les moindre parcelles d’innocence que le film a su construire, et que l’œuvre tutoie le réel de manière suffisamment crédible pour qu’on se retrouve là-devant à se dire « putain, ça existe, ce genre de chose existe » et que ça nous broie inévitablement les tripes. Mais aussi pour ce jeu intelligent sur le point de vue et la pulsion scopique du spectateur, qui se retrouve impuissant dans les bottes du monstre, forcé de le suivre, contraint de l’incarner. J’ouvrais ce billet en citant Brian De Palma et pour moi il ne fait pas de doute que Michael Goi, réalisateur du film, est un fervent adepte de son cinéma. Son premier long métrage écrit et réalisé par ses soins en 1999, le bien nommé Voyeur (difficile de faire plus clair sur sa connivence avec ces thématiques), est intéressant à voir en ce sens puisqu’il semble être à mi-chemin entre Body Double et un téléfilm érotique fauché. En toute honnêteté, il n’est pas à mi-chemin mais bien plus proche d’un téléfilm fauché qui voudrait singer De Palma, avec ses acteurs dans les choux, ses scènes de sexe ultra générique caractéristique du cinéma érotique tout naze qui passait la nuit sur la TNT, et sa pseudo dangerosité. Mais si ce premier film est un échec, il montre déjà bien l’ambition du cinéaste à discuter la question du point de vue et du rapport du spectateur et du réalisateur à des images filmées. Et là-dessus, Brian De Palma n’est pas la pire personne dont il puisse s’inspirer. Et la copie qu’il rend avec Megan is Missing est infiniment plus pertinente, et plus personnelle.
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Megan is Missing est une torture. Ce n’est pas un film d’horreur qu’on va pouvoir voir et revoir parce que même si ça nous terrifie, c’est une émotion qu’on peut trouver agréable. C’est au contraire un film qu’on ne voudra surtout pas revoir, et qu’on aurait en un sens aimé ne pas voir du tout. C’est vrai qu’il y a un petit côté « message préventif » contre la dangerosité des rencontres sur internet, mais le film a une vraie richesse au-delà de ce postulat. Et il va tellement, tellement loin dans les horreurs qu’il montre : séquestration, humiliation et viol d’une enfant de quatorze ans (la caméra est en gros plan sur son visage, on y lit la panique, la détresse, jusqu’à une atroce résignation, c’est pire que n’importe quelle scène de viol ultra-graphique que vous pourrez voir. Pire qu’Irréversible aussi, oui.) et je ne parlerai même pas de ce qui suit parce que le film arrive à être encore pire que ça. Oui ça semble inconcevable, c’est pourtant bien le cas. Vous allez haïr ce film, mais il va laisser sur vous une marque indélébile. Et si on évalue l’amour qu’on a pour un film a la profondeur de la marque qu’il laisse sur nous, positive ou négative… En un sens vous allez l’aimer.
Kevin