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[CRITIQUE] : Derrière nos écrans de fumée


Réalisateur : Jeff Orlowski
Avec : Skyler Gisondo, Hara Hayward, Vincent Kartheiser, Tristan Harris, Justin Rosenstein,…
Distributeur : Netflix France.
Budget : -
Genre : Documentaire.
Nationalité : Américain
Durée : 1h34min.

Synopsis : 
Des experts en technologie et des militants sonnent l'alarme concernant certaines de leurs inventions qui provoquent des addictions et déstabilisent les démocraties.




Critique :


The Social Dilemma (Derrière nos écrans de fumée en version française) est un documentaire made in Netflix réalisé par Jeff Orlowski explorant les problèmes de société liés aux utilisations des réseaux sociaux appartenant aux corporations Google, Facebook ou Twitter (entre autres). Ce documentaire n’en est pas totalement un, car une partie fictive s’imbrique au milieu des interviews de militants, certains ex-employés ou ex-dirigeants de ces firmes ubuesques d’Internet.

Copyright Netflix

Plusieurs créateurs et actionnaires principaux de ces compagnies de communication virtuelles participent à l’enchaînement de points de vue sur les pratiques internes de ces médias sociaux dont nous voyons les symboles partout. Vu le sujet traité, ce sont des grands noms qui apparaissent, la plupart ayant participé à la conception même du network qu’ils dépeignent. Bien sûr ces personnes ne travaillent plus au sein de ces corporations, délivrant sans aucun filtre leurs états d’âme au sujet des transformations radicales des réseaux en interne, tout comme ces mêmes réseaux ont modifié la vie de ses utilisateurs, les rendant accros. A plusieurs reprises, le documentaire rappelle de quelles façons ces espaces virtuels évoluent afin de manipuler plus facilement les individus, la conséquence étant un retour instinctif voire mécanique vers la plateforme, comme un réflexe vital. Le réseau social obtient, de manière complètement inconsciente chez la cible en question, le changement comportemental d’une personne même quand elle n’a plus son appareil entre les mains. 
Beaucoup de données sont dévoilées : le temps moyen d’un.e adolescent.e sur les réseaux par jour, comment les IA favorisent certaines publicités des utilisateur.ices afin d’inciter ces derniers à la consommation, la place des algorithmes dans la moindre action -même minime- partagée sur les networks, etc. Au milieu de ces rapports édifiants et plutôt effrayants, notamment vis-à-vis de l’influence des réseaux sur la santé des ados et les conséquences néfastes sur les élections politiques, toutes ces analyses paraissent finalement bien simplifiées pour viser un public possiblement peu instruit au sujet de l’emprise tentaculaire de ces compagnies. Un abonné de Mediapart, Slate ou du New York Times n’en retirerait pas grand-chose, sachant qu’une majeure partie des révélations ont déjà été disséquées dans d’autres œuvres documentaires ou fictives (Citizenfour, The Social Network et Silicon Valley pour ne citer qu’elles).

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L’attrait principal du film se trouve dans ses séquences scriptées qui ponctuent les interviews, venant illustrer les propos des invités. Ces séquences mettent en scène le quotidien d’une famille sur une période courte (quelques mois), plaçant chacun des personnages au sein de péripéties où les écrans ont pris une place particulière. Les thématiques traitées sont toujours bonnes à prendre (le lien familial, le désir, la politique, l’auto-satisfaction par l’image…) mais malheureusement trop survolées pour qu’on ne puisse pas faire de rapprochement avec d’autres films et séries explorant des questionnements sensiblement identiques, mais plus creusées. Cela peut ressembler à un épisode de Black Mirror, mais avec des clichés encore plus gros, ce qui donne l'impression que le script vient juste surligner au lieu d'apporter des alternatives. Ce qui est possiblement réalisé avec l’envie de sur-clarifier son ensemble pour le spectateur lambda et c’est assez dommage, tant les enjeux peuvent être approfondis et étirés sur la longueur d’une série documentaire. Plutôt que de vous recommander Black Mirror (qui n’échappe pas non plus aux propres clichés que la série a elle-même installée), le film de Jason Reitman Men, Women & Children est possiblement l’œuvre la plus pertinente sur les dysfonctionnements communicationnels qui peuvent se jouer à l’ère des écrans numériques, et plus précisément les brèches de l'intimité (corporelle principalement) que les technologies induisent. Il est possible que la fiction de The Social Dilemma vienne piocher dans ce film plutôt que la série de Charlie Brooker. Il est finalement dommage que dans cette partie, l’histoire priorise les événements d’une famille issue de la classe moyenne nord-américaine au lieu de s’attacher à des milieux minoritaires dans les représentations visuelles contemporaines. Le microcosme familial vivant dans une banlieue pavillonnaire chic et propre, c’est finalement peu novateur. On croirait presque à un remake US du pilote de Years and Years.
Une fois la partie fictionnelle acceptée par le spectateur, le message est rapidement assimilé, et il est évident de repérer là où The Social Dliemma veut nous emmener. Le projet veut être un lanceur d’alerte accessible, le propos assez daté empêche toute forme d'épiphanie chez celles et ceux qui s’instruisent un minimum. Par exemple, l’idée que les datas (données collectées par un network liées à un utilisateur) sont liées au profit ne relèvent pas du scoop de l’année ou que certaines compagnies produisent plus de revenus que des pays entiers, beaucoup le savent. On nous parle de manipulations électorales, de désinformation, d’expansion des conspirationnistes sur ces réseaux, tout ceci est une réalité qui ne paraît pas nouvelle sauf pour une personne qui aurait vécu 10 ans dans une grotte. Toutefois, il est quand même important de le rappeler. Le documentaire est certes d’utilité publique, cependant il est loin d’être le seul, et surtout loin d’être le plus complet sur son sujet. Son apparition sur Netflix peut même faire l’office d’une blague, tant la plateforme travaille main dans la main avec ces entreprises dénoncées (vous en avez vu des pubs Netflix avant vos vidéos Youtube), mais on ne va pas chipoter non plus.

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The Social Dilemma est assez inégal. La mise en scène de ses parties documentaire et fiction ne sont en rien révolutionnaires, mais sont suffisamment conventionnelles pour s’adresser à des spectateurs très jeunes comme à un public âgé, des tranches de population pouvant être en méconnaissance face aux formes de manipulation des outils numériques qui se renouvellent plus vite que n’importe quelle réforme de notre Gouvernement. Lorsqu’une analyse précise du documentaire peut se révéler pertinente voire choquante, celle qui suit peut parfois sonner creuse, limite redondante. Néanmoins c’est toujours plus ressourcé que le discours de n’importe lequel de vos oncles lors d’un dîner de famille. La structure principale est classique : un.e intervenant.e assis.e sur une chaise parle face caméra, accompagné.e d’une musique ambiante et légèrement inquiétante ressemblant à celle du film de David Fincher, The Social Network, entretien entouré par des scénettes scénarisées, toujours bien interprétés mais aux péripéties prévisibles. The Social Dilemma est instructif mais relativement profond selon le degré d’éducation de la personne qui est intéressée par le projet. C'est encore une fois un projet qui préfère souligner des problèmes plutôt que de débattre sur des solutions, ce qui est encore plus dommage.

Aparté : Maintenant ce n’est plus le rédacteur de la critique qui parle mais la personne, Florian de son prénom. Si jamais vous avez des complotistes parmi vos amis, vos collègues, ou pire : votre famille… C’est bien relou. Je vous soutiens au maximum. Quand bien même, essayez de montrer à ces personnes ce documentaire même si j’admets que c’est hautement plus ardu de rationaliser un complotiste qu’un enfant tenant un sabre-laser en plastique dans un JouéClub. Mais si déjà vous faîtes ça, peut-être que ça changera un tout petit peu le monde. Bisous.


Florian

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