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[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #102. Total Recall

© 1990 Columbia / TriStar Pictures

Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !




#102. Total Recall de Paul Verhoeven (1990)


Pour tout cinéphile biberonné au cinéma béni des 90's, avoir l'opportunité de redécouvrir le cultissime Total Recall dans une salle obscure et avec toutes les conditions optimales possibles (restauration 4K, même avec le masque sur le museau, ça dépote), pile poil trente balais après sa sortie, c'est presque un petit rêve qui devient réalité, mais avant tout et surtout, un immense kiffe fasse auquel il est bien difficile de cacher son enthousiasme.

Projet maudit étant passé par tous les stades et toutes les strates pendant plus d'une quinzaine d'années - et sa quarantaine de réécritures -, que ce soit chez Disney (avec le tandem " Alien " O'Bannon/Shusett au scénario), chez feu Dino De Laurentiis avec une valse des cinéastes (David Cronenberg, Richard Rush ou encore Bruce Beresford, qui voulait imposer Patrick Swayze en vedette), avant de débarquer chez Carolco sous la houlette de Schwarzenegger - qui a imposé Verhoeven à sa barre -, l'adaptation (très) libre de la nouvelle de Philip K. Dick Souvenirs à vendre (We Can Remember It For You Wholesale) et ses multiples remous, aurait pu avoir un tout autre visage que celui concocté par le Hollandais Violent - un actionner SF ludique et violent -, entre la parodie satirique de Blade Runner et le trip schizophrènique. 
Un comble pour une oeuvre jouant justement sur la duplicité et les multiples visages.

© 1990 Columbia / TriStar Pictures

Épurant le récit d'anticipation original à son strict minimum (les plusieurs niveaux de lecture brouillés, entre la réalité, la fiction et le fantasme), en se concentrant sur notre rapport au quotidien avec le monde réel et notre propre identité (thème Dickien en diable, que les Wachowski exploreront également quelques années plus tard, avec Matrix), Total Recall tisse les dédales labyrinthiques de deux vérités dont on ne peut jamais vraiment remettre en cause la véracité - ambitieux pour l'époque, surtout pour un blockbuster dit " populaire " -, la faute à la décomposition mentale d'un héros apprenant chaque élément de sa vie et de son destin, en même temps que le spectateur (et même parfois, par un double de lui-même dont on a même pas la certitude de l'existence).

En effet, on peut autant voir le déroulement du film comme la mise en images du rêve et de l'implantation des souvenirs vendus par Rekall (tout son périple est spoilé dans la sélection de la confection de son rêve par les scientifiques, et est même explicitement décortiqué par la suite par l'émissaire de Rekall, qui nous explique stricto sensu tout ce qui se passera par la suite, jusqu'au happy-end facile et improbable), que comme la potentielle catastrophe causée par celui-ci (l'embolie schizophrénique suite au bug de l'implation du rêve, qui mène à une lobotomie générale ou le cerveau de Quaid se lancerait alors dans une hallucination fantasmée et totalement inspirée par ses rêves incessants, une hypothèse appuyée par le fondu blanc en fin de péloche), voire même comme l'un des délires schizophrèniques d'un esprit visiblement fragile, ou encore tout simplement comme... la réalité, aussi rocambolesque soit-elle.

© 1990 Columbia / TriStar Pictures

Trip cyberpunk à la violence extrême mi-gore, mi-cartoonesque, récit schizophrénique traitant de quête identitaire et de terraformation martienne, Total Recall est aussi et surtout une oeuvre coup de poing à la richesse thématique démente, alignant les critiques subtiles et percutantes à la pelle.
Charge corrosive contre le capitalisme, aussi bien sur Terre (les gens sont assommés par les publicités diverses et le souci de consommer à tout prix) que sur Mars (devenue un centre commercial - et de tous les commerces - ambulant, l'exemple parfait et totalitaire d'une politique industrielle ou tout est consommable et poussé à son paroxysme dans sa quête extrême du profit - même d'une chose aussi simple que l'air), regard acéré sur la politique ultra-libérale - plus éclatante encore dans Starship Troopers - et colonialiste du trio Reagan/Bush/Bush Jr (confiscation des ressources d'une terre appropriée par la force et dans le sang, pour profiter à une minorité d'élites), ramenant la réflexion autant sur les fondements même de l'Amérique que sur ses guerres de récentes mémoires (les martiens peuvent autant être vus comme les amérindiens chassés de leurs terres, que comme les peuples des pays arabes à qui l'on a " éduqué " la démocratie, pour mieux faire la main basse sur leurs ressources d'hydrocarbure).

Il arbore même un regard follement cynique sur l'industrie Hollywoodienne (il s'amuse avec tous les codes du blockbuster pour mieux les pervertir sans pour autant trahir son rapport avec le spectateur, qui en aura pour son argent) et l'homme occidental moderne, engoncé dans un mélange de fragilité intellectuelle (digestion sans broncher de la propagande des médias corporatistes, actif dans sa surconsommation de masse) et physique (il est totalement asservi par sa libido).

© 1990 Columbia / TriStar Pictures

Le film peut pleinement se voir comme le dernier effort Hollywoodien d'un cinéma à l'ancienne, pas encore bouffé par le tout numérique (Terminator : Le Jugement Dernier ne sortira qu'un an plus tard, étrange paradoxe quand on sait qu'il est également porté par Arnold Schwarzenegger), usant d'effets et de trucages physiques (avec les immenses Rob Bottin aux maquillages et Ron Cobb aux décors), quitte à paraître gentiment kitsch (certains aspects, des maquillages aux incrustations, ont autant mal vieillis qu'ils renforcent le charme nostalgique incroyable du film), pour mieux renforcer l'artificialité de son récit sur... l'artificialité, accentué par la prestation ambiguë d'un Schwarzie lui-même incarnation physique, d'une certaine vision artificielle du paraître (une figure boursouflée de muscles au point d'être presque caricatural, muée par un culte extrême du corps so-Hollywoodien, qui semble uniquement fabriqué pour briller).

Un temps naïf voire benêt (gobant tout ce que les médias lui balancent dans la caboche) dans le premier tiers - en tant que Doug Quaid -, et n'ayant absolument pas peur de fracasser son image (manipulé sexuellement et battue physiquement par Sharon Stone, déformation corporelle et faciale, déguisement en fausse mère de famille,...), ce n'est finalement qu'une fois sur Mars - en tant que Quaid se prenant pour Hauser, ou l'inverse - qu'il abandonne la caricature facile pour retrouver son statut d'action man imbattable, alignant les cadavres à la pelle sans le moindre remord.

© 1990 Columbia / TriStar Pictures

Une expérimentation/déformation de sa propre image déjà opérée de manière ironique dans les comédies d'Ivan Reitman, mais qui prend ici place sur son propre terrain de jeu.
Un processus qui sera pleinement exploité trois ans plus tard dans le cultissime Last Action Hero de John McTiernan; lui aussi blockbuster satirique à la richesse imposante et, fondamentalement, incomprise à sa sortie.

Même avec trois décennies au compteur, Total Recall domine d'une coudée franche quasiment tout ce que l'industrie Hollywoodienne à produit depuis, l'union parfaite entre un spectaculaire unique et profondément américain, une violence ultra-graphique et sèche, et la vision acérée et sans concession d'un cinéaste irrévérencieux et follement talentueux; le tout sublimé par le score dément de Jerry Goldsmith.
Oui, le meilleur film en salles en septembre 2020, date bien de 1990...


Jonathan Chevrier


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