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[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #98. Nightbreed

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Nous sommes tous un peu nostalgiques de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se baladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leur mot à dire...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 80's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pilule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !


#98. Cabal de Clive Barker (1990)

Adapté par Clive Barker de son roman éponyme, Cabal se présente comme l'origin story d'un héros dont on ne nous narrera pas les exploits. Il nous apprend en effet comment Boone, jeune homme hanté par des visions cauchemardesques, est guidée par elles jusqu'à la cité légendaire de Midian, où les Nocturnes, derniers représentants de races étranges et inconnues, se terrent depuis des temps ancestraux dans le sous-sol d'un cimetière. Mis au ban du monde des hommes par son psychiatre, le docteur Becker, qui lui fait porter le chapeau de ses propres folies meurtrières, il trouve non seulement sa place dans cette curieuse communauté, mais devient même Cabal, l'élu destiné à la mener vers une nouvelle ère... dans laquelle il ne nous sera pas donné de l'accompagner. Alors qu'un sequel était originellement prévu, l'absence de suite ne va pas sans une certaine frustration tant la porte ici entrouverte regorge de visions fascinantes. En dépit de ses imperfections, l'œuvre s'illustre ainsi admirablement par la richesse de la mythologie qu'elle ébauche, que l'on ne peut que regretter de ne pas avoir l'occasion de creuser davantage.

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A cet égard, au-delà de son statut d'épisode orphelin, il y a peut-être un reproche à adresser au film : tiraillé entre la densité de son univers fantastique et un traitement qui fait plutôt la part belle à l'action, il ne semble pas toujours savoir sur quel pied danser. A sa sortie, il fut d'ailleurs promu - au grand dam du réalisateur - comme un slasher, ce à quoi il est coutume d'attribuer, du moins partiellement, l'échec commercial qu'il rencontra. Il faut dire que pareille promesse de violence ne peut que laisser sur sa faim, car la veine sanglante est finalement assez peu exploitée. Passée la satisfaction complice de reconnaître David Cronenberg sous les traits sinistres du Dr. Decker, celui-ci réserve en définitive peu de surprises en tant qu'antagoniste principal, l'intérêt du scénario résidant bien plus dans les péripéties souterraines de Goone. Quant à ceux que le vil psychiatre parvient à rallier à sa cause à force de manipulations, ils n'offrent guère plus d'épaisseur, bien que l'on puisse s'amuser d'un bataillon improvisé d'américains moyens qui sauront se montrer fort zélés s'agissant d'éradiquer ce peuple qu'ils découvrent.
On décèle dans la cocasserie manifeste de ce bellicisme primaire un tacle à l'encontre du chauvinisme et du militarisme qui est loin d'être anodin au regard des sous-thèmes esquissés. Ainsi, la menace qui plane sur les Nocturnes est, avant toute chose, la propension de l'homme à vouloir détruire ce qui lui est inconnu et qu'il ne comprend pas, préférant dégainer plutôt que dialoguer. Barker saupoudre même le tout d'un rappel historique puisqu'il inscrit le destin des créatures dans celui des natifs américains persécutés lors de la colonisation, et leur prête d'ailleurs des pouvoirs inspirés des croyances amérindiennes. Prétendre que sous le vernis fantastique se cache un brûlot politique serait pousser un peu loin le bouchon, d'autant que cela représenterait un message confus en termes de morale (on est tout de même supposé être un assassin pour pouvoir rejoindre Midian...), mais ce contexte permet du moins de générer de l'empathie en suscitant un criant sentiment d'injustice. Derrière les difformités et les mutilations dont les acteurs sont affublés, on voit ainsi se dessiner le visage de martyrs plutôt que de monstres.

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Il faut dire que, même sans cela, on ne pourrait qu'être navré de voir ceux-ci se faire pourchasser, tant ils suscitent émerveillement et curiosité par leur comportement et leur apparence. S'il n'y avait en effet qu'une seule caractéristique à retenir de Cabal, ce serait probablement la délicieuse extravagance des prothèses, qui n'est pas sans rappeler celles de la série Babylon 5 quelques années plus tard. Leur spectacle culmine lors d'une longue et captivante scène dans laquelle Lori, la petite amie de Boone lancée à sa recherche, s'enfonce dans les profondeurs où elle est confrontée à un défilé des plus incongrus, dans lequel le grotesque côtoie le poétique, et l'amusement le dégoût. C'est ainsi avant tout par cet aspect que le film sait se montrer d'une formidable générosité, ne lésinant pas sur les effets pratiques qui donnent vie à un fourmillement d'idées malicieuses. En ce sens, même les grimages les moins réussis contribuent à l'attachante démesure de l'ensemble, d'autant plus aujourd'hui où ils suscitent en prime une certaine nostalgie.
On retiendra aussi que cette imagerie tutoyant parfois le loufoque parvient à insuffler une forme de légèreté à l'univers pourtant torturé de Barker, faisant de Cabal une œuvre moins sombre que Hellraiser ou Le Maître des Illusions - même si elle ne se prive pas de quelques élans indiscutablement horrifiques. A cela il faut ajouter une bande originale composée par Danny Elfman, qui parvient à faire la somme des tons du long-métrage en incorporant aussi bien les accents épiques qui siéent à pareille aventure, l'atmosphère inquiétante qui enveloppe le mystère de Midian, que quelques notes plus délicates adoucissant l'ensemble. Le résultat est un cocktail assez unique en son genre, qui jongle sans cesse entre les émotions, mais ne manque jamais de frapper par son imaginaire grouillant.

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On peut aisément comprendre que ce mélange au dosage inhabituel ait pu paraître indigeste au public de prime abord, mais c'est certainement ce qui permet à cette adaptation, trente ans plus tard, d'être encore dans les mémoires - les nôtres tout du moins.


Lila Gleizes