[CRITIQUE] : High Flying Bird
Réalisateur : Steven Soderbergh
Acteurs : André Holland, Zazie Beetz, Bill Duke, Melvin Gregg, Sonja Sohn, Zachary Quinto, Kyle MacLachlan,...
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Drame, Sport Event.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h33min
Synopsis :
En plein blocus de la ligue professionnelle de basket, l'agent sportif Ray Burke se retrouve au centre d'une querelle opposant joueurs et officiels. Alors que sa carrière est en jeu, Ray voit grand. Avec seulement 72 heures pour trouver un plan, il parvient à défier les meilleurs joueurs grâce à une faille qui pourrait changer à tout jamais l'histoire du basket américain. Au final, qui est le vrai maître du jeu ?
Critique :
Film d'idées plus que de personnages, partiellement expérimental mais vraiment féroce & captivant,#HighFlyingBird privilégie les coulisses de l'industrie du basket-ball plutôt que l'exaltation du terrain et incarne un très bon cru Soderberghien, aérien, acerbe et vraiment prenant pic.twitter.com/YOEiAOaZlr— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) February 8, 2019
Avant son alléchant The Laundromat - sur Netflix - avec notamment Meryl Streep, Gary Oldman et Antonio Banderas, Steven Soderberg, cinéaste a l’appétit gargantuesque, s’invite a sa manière dans le milieu sportif avec High Flying Bird.
Car, il est vrai que si la toile de fond du récit est le basket. Tarell Alvin McCraney (co-scénariste de Moonlight) entraîne Soderberg en dehors des terrains de jeu pour disséquer l’envers d’un décor dont on ne sait au fond pas grand-chose.
Si les premières minutes donnent une vraie-fausse sensation d’Ocean’s 11, Soderberg va progressivement faire glisser son film dans une réflexion plus politique.
En effet, alors que la NBA s’appuie sur l’excellence des joueurs afro-américains, ils sont eux-mêmes dominés par les propriétaires des équipes et chaînes de télévision détenues en majorité par des blancs. Cyniquement, Soderberg emboîte dans un jeu, un autre jeu, celui du privilège blanc. Sur ce constat, Tarell Alvin McCraney déroule un scénario très dramartugique ou chaque discussion est filmée tel un match de basket aux enjeux assurément politiques.
Car High Flying Bird est une œuvre sur la reprise du pouvoir d’un jeu dont les actuels maîtres n’ont aucune légitimité.
Étrangement didactique sans pour autant ignorer la complexité inhérente au sujet, Soderberg parvient - comme souvent - a rendre un scénario dense verbalement d’une grande fluidité. Son film, compact (1 h 30), est une nouvelle démonstration des capacités de réalisation d’un iPhone. L’image devient en effet d’une incroyable légèreté et permet au cinéaste de laisser son inventivité planer en permanence tout en maîtrisant un montage astucieux au coupage millimétré. S’additionne à cela, un casting aux petits oignons, André Holland déjà vu dans The Knick, la prometteuse Zazie Beetz, Bill Duke et celui le toujours impeccable Kyle MacLachlan.
Alors au jeu du mineur/majeur, on ne sait pas encore très bien où placer High Flying Bird.
Car sous les apparats de la décontraction, Soderberg livre un film impeccable sur la forme - en même temps avec lui on a l’habitude - mais loin d’être inintéressant dans le fond. Et si finalement son plus grand défaut était d’être déjà dans l’ombre de The Laundromat ? En tout cas vous auriez tort de ne pas laisser une chance à ce Soderberg.
Thibaut Ciavarella
Voir le génial Steven Soderbergh s'attaquer aux arcanes du monde friqué du basket-ball professionnel, armé de son iPhone, avait de quoi dérouter sur le papier, tant on se demandait bien sûr qu'elle chaise allait danser le bonhomme : celle du parcours initiatique puissant à la Spike Lee (He Got Game) ou celle de la chronique sportive acerbe et décomplexée à la Oliver Stone (Any Given Sunday).
Ni l'un ni l'autre au final - même si on tend quand-même un poil du côté de Stone dans le fond -, tant le cinéaste, qui n'a jamais voulu jouer le jeu dans les règles (la preuve, il nous reviendra par deux fois cette année par la case Netflix), s'échine à faire de High Flying Bird une chronique aussi ludique que réflexive, sur les mécanismes du sport spectacle américain dont il ne sublime jamais - volontairement - la folie exaltante du terrain.
Plus avisé que jamais, Soderbergh place sa caméra ou il faut : dans les coulisses d'un mécanisme étonnamment pervers boursouflé par la dynamique de pouvoir, de race et de " privilège blanc ", qui rappelle instinctivement sa vision de la médecine du début du XXème siècle dans la merveilleuse The Knick ou figurait déjà en vedette, l'excellent André Holland (encore une fois parfait ici).
Vision grinçante autant qu'elle est virtuose, complexe en apparence mais vraiment inspiré, si le duo Soderbergh/McCraney ne révolutionne pas le jeu mais le rend définitivement plus captivant (via un montage au couteau et une durée raccourci jouant pleinement en sa faveur) en s'attachant au prisme d'un personnage se trouvant entre le marteau et l'enclume - un agent sportif -, mais ayant toujours un train d'avance sur les autres.
Miroir grossissant à la lisière du documentaire, d'une industrie aux relans sociétales et politiques allant beaucoup plus loin que le simple carcan sportif (on peut même y voir une critique de l'industrie cinématographique moderne, dans laquelle Soderbergh incarnait assez justement un jumeau réaliste et troublant au personnage de Burke), High Fliying Bird ne donne jamais de réponses aux questions qu'ils posent, mais il aborde ses sujets avec une légèreté et un dynamisme louable : il croque regard fort et franc sur la signification personnelle du basketball pour des athlètes noirs privés de leurs droits (avec de véritables interviews filmés en noir et blanc), opposé à la réalité du travail dans une entreprise détenue par des dirigeants blancs et ou ils sont largement exploités.
Un film d'idées plus que de personnages (plusieurs sous-intrigues semblent totalement ampoulées et hors de propos tant elle ne touche plus LA vision mère du métrage), partiellement expérimental et bavard mais vraiment féroce et important, High Flying Bird est un bon cru Soderberghien, aérien et réellement captivant.
Il a vraiment bien, bien fait de quitter sa courte retraite ce bin vieux Steven...
Jonathan Chevrier