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[CRITIQUE] : Noé


Réalisateur : Darren Aronosfky
Acteurs : Russell Crowe, Jennifer Connely, Emma Watson, Logan Lerman, Douglas Booth, Ray Winstone, Anthony Hopkins,...
Distributeur : Paramount Pictures France
Budget : 125 000 000 $
Genre : Fantastique, Aventure, Péplum.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h18min.

Synopsis :

Russell Crowe est Noé, un homme promis à un destin exceptionnel alors qu’un déluge apocalyptique va détruire le monde. La fin du monde… n’est que le commencement.



Critique :

La Bible a de nouveau la côte à Hollywood, non pas qu'elle fut boycotté depuis quelque temps au sein de l'industrie la plus puissante du septième art mondial, mais force est d'admettre qu'en 2014, nous dénombrons étonnement un bon paquet de péloches religieuses qui squatteront stratégiquement nos salles obscures au cours des prochains mois.

Les deux plus attendus d'entre elles étant sans l'ombre d'un doute le Noé de Darren Aronofsky et l'Exodus de Ridley Scott, deux cornaqueurs de génies qui se sont lancés dans le pari de dépoussiérer à la fois le Déluge et les 10 Commandements à coups de blockbusters épiques et de castings bougrement alléchants.

Le premier a passer sur le grill de la critique est d'ailleurs la péloche du Darren, officiellement premier film à gros budget du bonhomme mais clairement projet populaire über casse-gueule puisque assurer depuis les prémisses de sa conception, de devoir affronter une pluie de détracteurs au moment même ou sa première bobine foulera une salle de projection publique.
Surtout que cette adaptation rêvée du roman graphique que le réalisateur a lui-même scénarisé, s'est vu très vite menacer de remontage et même d'interdiction dans plusieurs pays...



Par chez nous, honnêtement, on ne savait pas réellement à quoi nous attendre de cette faste épopée biblique, signée par un metteur en scène ne s'étant justement, jamais illustré autre part que sur le circuit indépendant - non sans avoir pourtant essayer maintes et maintes fois de produire de la bande friquée -, et affirmant haut et fort être un " non-croyant ".
Ce qu'il y avait de sur cependant, c'est qu'un blockbuster signé Aronofsky ne pouvait décemment ressembler à aucun autre, et il est pour sur que Noé est un divertissement unique et sans nul pareil, assumant aussi bien ses nombreux défauts que ses immenses qualités, même si il dénote complétement avec le climat inquiétant des précédents longs de son réalisateur.

L'histoire du Déluge, décrite dans trois chapitres de la Genèse, est de culture commune et son dénouement est connu de tous ou presque - l’humanité se voit punit pour ses péchés, et se retrouve épurée pour être refondée.
Du coup, le cinéaste se dédouane très vite de la question de l'entière fidélité ou non de cet épisode biblique - puisque de toute manière on est plus ici dans la réappropriation qu'autre chose -, afin d'aborder de front son sujet et son rapport au sacré, en ancrant son métrage dans un monde où règne l’anarchie et où la colère de Dieu va puissamment résonner, avant de s'avérer finalement, infiniment miséricordieux.

Brassant une pléthore de genre avec une cohérence totale : le huit-clos (toute la phase intimiste au sein de l'Arche), le post-apocalyptique (une humanité en perdition) que l'héroic fantasy (aussi bien via la quête de Noé que par la magie partiellement présente, ou la présence des majestueux anges déchus fait de roches), citant aussi bien la métaphysique formelle que l'aspect esthétique de son sublime The Fountain, que la facture de quelques-unes des péloches les plus cultes des 80's (que ce soit la sublime introduction citant directement le Conan le Barbare de John Millius, ou l'aspect désertique et post-apo du Mad Max 2 de George Miller), comme dans toute son impressionnante filmographie, le cinéaste nous sert un fabuleux et riche mélange aussi bien de ses influences que de ses références, accouchant d'un récit ample, voir même foutrement prenant par moment.


Logiquement bâtit en deux temps - la conception de l'Arche et le périple à l'intérieur pendant le Déluge -, Noé est un drame humain à la densité épique indéniable ou l'invisible est une menace constante aussi mystérieuse et étrange qu'inquiétante , apportant une tension de tous les instants, que ce soit via la cruauté d'humains qui se déchirent mutuellement, ou le joug de la colère de notre créateur, implacable et sans aucune échappatoire possible.
D'ailleurs, c'est justement dans sa représentation de l’irreprésentable - Dieu, qui n'est jamais mentionné en tant que tel - que le Darren prouve toute l'étendue de son inventivité, usant notamment de divers jeux de lumière ou même de rêves prophétiques.

Là ou, à contrario, il se prend littéralement les pieds dans le tapis lorsqu'il cherche à rendre son film le plus universel et fédérateur possible, via quelques choix narratifs douteux (on pense à la mise en image de la Genèse, via la voix-off de Crowe, ou les flashbacks visuellement horrible avec Adam et Eve), voir même incongrues (la scène de la colombe), quelques faux raccords ou encore en alourdissant chaque moment évocateur, chaque émotion avec des artifices pompeux, là ou justement, le manque d'enjeux dramatiques fait cruellement défaut, surtout dans sa première partie.

Prenant toujours au sérieux son sujet sans ne jamais le dénaturer - et encore moins lui manquer de respect - une seule seconde sur plus de deux heures de bande, filmant les grands espaces désertiques et chaotiques avec une fluidité et une ingéniosité incroyable, le cinéaste ne remet jamais en doute la foi inébranlable de son héros, épousant sans aucune réserve son récit au point de pousser fortement à l'empathie de celui-ci, avant que, justement, l'apocalypse n'arrive, spectaculaire et foutant de sacrés frissons dans le dos (joli boulot de la part d'ILM côté CGI).
Car dès lors, alors qu'il paraissait infiniment pieux et semblait toujours avoir raison, Noé change, devenant quasiment l'antagoniste de la bande.

Autoritaire et tyrannique, tellement aveuglé par son obsession auto-destructrice, son fanatisme religieux qu'il en devient parfois saisissant de cruauté, le Noah de l'Arche dénote littéralement de l'image de protecteur qu'on se faisait de lui en première partie.
Une caractérisation surprenante et forte qui, dans le fond, en font un personnage ambivalent typiquement Aronosfkien, évoluant dans un univers ou le bien ne parait jamais tout blanc et le mal jamais tout noir.


Absolument parfait dans la peau de l'élu, Russell Crowe éclabousse le métrage de son charisme animal dans un rôle qui n'est pas sans rappeler le plus important de sa carrière, celui du général Maximus dans le Gladiator de Ridley Scott.
Tellement imposant d'ailleurs qu'il en devient très difficile de le comparer aux autres protagonistes du film, innocents, tous plus ou moins mal croqués, caricaturaux et même salement mal joués, du paternel Anthony Hopkins - qui cabotine de plus en plus - à une Jennifer Connely qui n'est plus que l'ombre d'elle-même, en passant par des Logan Lerman et Emma Watson convaincants, mais sans aucun relief.

Un manque flagrant d'implication dans l'écriture de ses personnages - qui fait surtout défaut pour le personnage de Toubal-Caïn, le nemesis de Noé joué par l'excellent Tom Wilkinson -, qui va de pair avec un final trop étiré sur la longueur (et entachée par une ellipse frustrante), des défauts narratifs et structurels embêtants, et une incapacité de réellement transcender son sujet des causes d'une trop forte volonté de cornaquer une péloche accessible histoire de contenter aussi bien les croyants (portant leur croyance sur la religion) que les non-croyants (portant leur croyance sur la science).

Dommage, car avec une magnifique photographie rendant un bel hommage aux sublimes paysages islandais, des effets spéciaux impressionnants, et même un score inspiré de Clint Mansell, le film recelait des bonnes idées et trouvailles capables de le hisser à la hauteur d'un chef d’œuvre tel que Les 10 Commandements.


D'une morale aussi simple que follement universelle, loin de la propagande volontairement outrancière d'Un Passion du Christ tout en possédant la même force d'impact, Noé est une fresque mythologique à l'ampleur impressionnante et qui, même bancale et parfois artificiel, fonctionne presque comme une parabole de la société actuelle, un constat sans jugement mais lucide, ou l'homme détruit aussi bien son monde que son prochain.

Un grand spectacle d'une imagerie puissante à la vision certes sombre mais porteuse d'espoir, car même dans le plus grand des chaos, il y a toujours une renaissance emplit de paix qui attend son heure...



Jonathan Chevrier