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[CRITIQUE/RESSORTIE] : EL (Tourments)


Réalisateur : Luis Buñuel
Avec : Arturo de Cordova, Delia Garces, Luis Beristain,…
Distributeur : Les Films du Camelia
Budget : -
Genre : Drame, Romance.
Nationalité : Mexicain.
Durée : 1h31min

Date de sortie : 2 juin 1954
Date de ressortie : 2 novembre 2022

Synopsis :
Francisco Galván De Montemayor, riche propriétaire foncier et catholique fervent, tombe sous le charme d'une fidèle, Gloria Milalta. Bien qu’elle soit déjà fiancée à Raul, un ingénieur, Francisco parvient à la séduire. Il ne lui faut guère plus de temps pour la convaincre de l'épouser. Mais très vite, il révèle sa jalousie maladive et s’enfonce dans la paranoïa…



Critique :


Toute la maestria de EL (Tourments) de Luis Buñuel réside dans sa vivisection sarcastique et tortueuse aussi bien des moeurs de la bourgeoisie que de l'esprit d'un malade et paranoïaque d'un homme bouffé par la jalousie : Francisco Galvan (immense Arturo de Córdova).
Un homme bien ancré dans la quarantaine, élégant et riche, bourgeois et fervent catholique, estimé et admiré de tous pour la sobriété - apparente - de ses mœurs et sa droiture morale; une façade immaculée qui cache en réalité un être égoïste, paranoïaque et maniaque à la jalousie obsessionnelle et imprévisible, dont la vie monastique - il est toujours vierge - a toujours été tenue à l'écart de toute lascivité.
Sa vie va être ébranlé par sa rencontre avec la magnifique Gloria (excellente Delia Garcés) qu'il ne tardera pas à séduire puis à épouser (alors qu'elle était fiancée à son ami, Raúl Conde, qu'elle épousera finalement plus tard après avoir pu s'extirper de l'emprise de Fernando), celle-ci ne réalisant pas encore l'enfer dans lequel elle venait de se jeter.
Un quotidien infernal qui fera son office dès la lune de miel où les doutes ubuesques du premier, commencent à hanter une union soumise aux sautes d'humeur constantes et violentes du mari (tentatives de meurtres à la clé, dont une au sommet d'un clocher qui sera directement reprise par Hitchcock pour Vertigo cinq ans plus tard), dont la lucidité et la raison vascillent de jour en jour jusqu'à ce qu'il sombre totalement dans la folie...

Copyright Les Films du Camélia

Librement basé sur le roman éponyme de Mercedes Pinto publié en 1926, le film se fait un catalyseur fascinant des thèmes phares qui ont marqués et continueront d'imprégner la carrière du cinéaste (les dérives du capitalisme, du christianisme et de sa répression sexuelle, l'étude satirique de la bourgeoisie et de son monde d'apparences et de silences - comme l'église et ses vérités que l'on tait -, la revendication de l'amour comme d'une possession pure et simple de l'autre, la manière de considérer la femme - héritière d'Eve - comme l'instigatrice de tous les maux de l'homme ,...), au coeur d'une expérience profondément singulière et surréaliste, cocktail savamment maîtrisé entre le mélodrame tragique, le thriller psychologique subtil et l'étonnante et pointue comédie noire où l'injustice se mêle à la folie (jamais Francisco ne sera trahit par sa femme et aussi paradoxale que cela puisse paraître, il apparaîtra toujours censé et prudent dans la sphère publique) et au pathétique, pour mieux se faire représentation extrême et surréaliste de la toxicité masculine et du désir de contrôle absolu de celui-ci sur la femme.
Une superbe oeuvre incroyablement moderne dans son langage mais surtout dans sa capacité - presque déconcertante - d'introspection, et dans laquelle il est toujours aussi agréable de se perdre (et encore plus dans une salle obscure).


Jonathan Chevrier