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[CRITIQUE] : La Maison


Réalisatrice : Anissa Bonnefont
Avec : Ana Girardot, Aure Atika, Rossy de Palma, Gina Jimenez,…
Distributeur : Rezo Films
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Français, Belge
Durée : 1h30min

Synopsis :
Interdit aux moins de 16 ans
Pour écrire son nouveau livre, Emma décide de se faire engager comme prostituée dans une maison close à Berlin.


Critique :

Heureux hasard du calendrier, deux films sur des maisons closes berlinoises sortent ce mois-ci. Alors que Seule la joie s’éloigne des problématiques des travailleuses du sexe pour s’intéresser à une histoire d’amour, La Maison, au contraire, décortique le métier et ce qu’il signifie pour son héroïne principale.

La Maison, c’est d’abord un livre, écrit par Emma Becker. Celle-ci s’immerge dans une maison close et devient travailleuse du sexe pendant deux ans pour le bien de son roman. Cette motivation jusqu'au boutiste a fait les gorges chaudes des médias lorsque le livre est sorti, en août 2019. Comment une femme peut-elle faire l’apologie du travail du sexe quand elle a effectué ce métier de son propre choix ? Pour Anissa Bonnefont, réalisatrice qui signe ici son premier long métrage de fiction, c’est au contraire un récit fort d’une femme qui assume sa sexualité, loin du regard fantasmé des hommes.

Copyright Rezo Films

Afin de souligner la singularité et l’intimité de cette histoire, la cinéaste fait le choix de coller sa caméra à son héroïne, quitte à utiliser une caméra subjective lors de son premier client, tandis qu’elle s’enfonce (sans mauvais jeu de mot) dans cet univers et qu’elle en apprend tous les codes. La mise en scène va jusqu’au bout de cette idée de basculement, dans le fait d’entrer dans un monde inconnu. Emma s’apparente à une Alice adulte découvrant un monde d’interdit et de plaisir. Mais au lieu d’être une simple visiteuse, comme le personnage de Carroll, elle fait partie intégrante de l’univers. Elle en détient les clefs.

Cependant, Anissa Bonnefont n’oublie pas dans quelle société se greffe ce monde de fantasme. Un monde féminin, mais contrôlé par les hommes, qu’ils soient clients ou patron invisible mais bien présent grâce aux caméras de surveillance. Il n’est pas question de sublimer le travail du sexe mais d’y poser de la nuance. Le changement de maison close au cours de son expérimentation souligne l’idée que l’environnement et donc les conditions de travail, sont primordiales comme n’importe quel métier. Dans le second bordel (baptisé La Maison), les filles sont respectées. Elles ont même chacune leur personnalité, leur domaine de compétence, leur singularité, contrairement à la première maison close où les travailleuses du sexe paraissaient interchangeables. Emma s’épanouit d’autant plus que ses collègues sont plus enclines à partager leurs connaissances et leurs anecdotes, nourrissant sans le savoir son récit. De ce fait, il ressort un sentiment étrange. Si on comprend et loue la démarche de l’autrice, d’aller chercher au-delà des clichés, celle-ci finit quand même par se servir de ses collègues, à ses propres fins, les destituant de leur expérience (et parfois de leur sécurité par rapport à l’anonymat). Le film ne dit pas si les travailleuses du sexe ont finalement su ou non qu’Emma écrivait un livre.

Copyright Rezo Films

Anissa Bonnefont n’édulcore pas la violence sexiste et sexuelle des maisons closes toutefois et met en avant les limites d’un tel projet. Emma, fascinée par cet univers depuis longtemps, n’avait-elle pas fantasmé également le métier ? Le film ne tranche pas la question et la garde en suspens, le récit ne lui enlevant pas le sacré privilège de pouvoir partir dès qu’elle en ressentira l’envie.

Refusant une esthétique érotique, La Maison s’apparente à une immersion éducative dans un milieu trop souvent fantasmé. Provocant par son récit plus que par sa mise en scène, le film se refuse à embrasser les clichés et délivre le témoignage nuancé d’une expérience intime.


Laura Enjolvy


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