[RESSORTIE/CRITIQUE] : Les femmes des autres
Avec : Walter Chiari, Francisco Rabal, Leticia Roman, Dominique Boschero, Riccardo Garrone, Mino Guerrini, Paul Guers,…
Distributeur : Les Acacias
Budget : -
Genre : Comédie, Romance
Nationalité : Français, Italien
Durée : 1h51min
Synopsis :
C’est le temps des souvenirs pour une bande d’amis qui se retrouvent après de nombreuses années de séparation. Tous approchent de la quarantaine et souhaitent, au cours d’une soirée, retrouver le goût de l’insouciance de leur jeunesse. Mais au fil des heures, les souvenirs plus ou moins heureux s’égrènent, apportant peu à peu une tension dramatique à cette réunion d’amis...
Critique :
#LesFemmesDesAutres se refuse au cynisme d’une analyse psychologique d’hommes en proie à leurs propres contractions, préférant un ton plus léger entre la comédie italienne et le drame bourgeois, pour mieux disséquer les rapports de genre et les masculinités. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/o11kxZj7Pt
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) May 17, 2022
La Cinémathèque de Paris rend hommage au réalisateur italien Damiano Damiani du 11 au 29 mai 2022. Nom un poil oublié du cinéma italien, ce mois de mai nous donne une occasion inespérée de découvrir, en salle, sa filmographie. Pour cette occasion, un de ses films, Les femmes des autres, ressort nationalement au cinéma.
Il était une fois cinq garçons dans le vent … Les femmes des autres (La Rimpatria en version originale) se démarque de son oeuvre d’une manière naturelle. Alors qu’il n’a cessé d’explorer les genres de cinéma (même si, d’après Jean A. Gili dans un texte du dossier de presse, le cinéaste s’en est toujours défendu), le film qui nous intéresse possède une saveur singulière. Durant le temps du récit très court, une nuit, Damiano Damiani exprime un mal-être derrière des figures misogynes d’hommes bourgeois qui ont su profiter du boom économique d’après-guerre.
© 1963 Cinématographique Lyre, 22 Dicembre, Galatea - © 2022 Les Acacias |
Le titre français (qui représente très bien une partie du propos) annonce la couleur. Dans ce monde éminemment masculin et patriarcal, les femmes n’existent que par le regard des hommes. Elles “appartiennent” à un homme dont les pulsions scopiques leur réfutent tout comportement autre que parfaitement érotique. Il existe la maman, la femme mariée, celle qu’on adore critiquer devant sa bande de copain (une des femmes présentes lors de la soirée leur fera justement remarquer “on dirait que vous les épousez dans le seul but de les massacrer derrière leur dos”). Et il existe la putain, la femme bien plus jeune, que l’on manipule pour coucher avec elle. Pourtant, malgré l’importance donnée à leur corps par les personnages, le réalisateur donne aux femmes un rôle d’observatrice cynique de cette bande de potes à la dérive. Ces femmes à la merci des pulsions sexuelles de ces hommes frustrés par la vie sont lucides, à la fois de leur condition sociétale et du comportement des hommes. Ainsi le cinéaste nous offre une nouvelle façon de voir ces hommes. Si le titre original, La Rimpatria, renvoie à la légèreté des films de copains, un genre cinématographique à la tradition misogyne dite innocente, le point de vue des personnages féminins nuance la douce naïveté machiste, qui consiste à ne pas vouloir reconnaître la misogynie comme un système de violence de genre.
Car malgré leur soit-disante réussite, les retrouvailles entre Alberto, Nino, Sandrino, Livio et Cesarino soulèvent des points de divergences impossibles à noyer, même dans l’alcool et les femmes. Les quatre premiers, repus d’une situation économique idéale dans les années 50, connaissent le déclin qu’amène les années 60. La courbe tombe mais les immeubles en construction, décor typiquement milanais de cette époque, resteront inachevés. Des points d’exclamation dans le ciel, vidés de toute vie, synonyme du déclin imminent. Damiano Damiani les capture au petit matin, tandis que la brume envahit ce cadre urbain, peut-être pour signifier que ce décor deviendra un monde fantôme. L’absence de chaleur qui s’en dégage est au diapason avec les personnages que le réalisateur dépeint : des êtres froids, calculateurs, incapables de gérer la moindre pulsion de vie – éternels adolescents. Des hommes malheureux dans les normes que leur mode de vie véhiculent et pourtant inaptes à s’en défaire.
© 1963 Cinématographique Lyre, 22 Dicembre, Galatea - © 2022 Les Acacias |
Cesarino s’échappe du petit groupe par sa condition sociale (il n’est qu’un modeste directeur d’un cinéma de quartier) mais aussi par sa sensibilité face aux personnes qui l’entourent. Au premier abord, Cesarino est le maître de la séduction, celui qui trouve des jolies filles à ses copains en moins d’une demi-heure. Sous ses airs de Don Juan, Cesarino a néanmoins réussi là où les autres ont échoué : il est heureux. Il a construit sa vie loin des cadres sociétaux (il vit en trouple), il s’occupe de son cinéma, connaît le prénom de tous ses clients et amène une ambiance bon enfant, à son image. Le cinéma devient alors un lieu où les êtres se délestent de leur oripeaux bourgeois pour atteindre l’imaginaire d’un monde nouveau, un monde encore humain que la loi capitaliste ne s’est pas encore appropriée. Il est aussi le seul à ouvrir les yeux sur les conséquences de ses actes tandis que ses copains préfèrent s’enfermer dans le déni d’une jeunesse irresponsable, maintenant terminée.
Les femmes des autres se refuse au cynisme d’une analyse psychologique d’hommes en proie à leurs propres contractions. Damiano Damiani lui préfère un ton beaucoup plus léger, entre la comédie italienne et le drame bourgeois, ce qui lui confère assez de liberté pour disséquer les rapports de genre et les masculinités.
Laura Enjolvy