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[CRITIQUE/RESSORTIE] : La Vengeance est à moi


Réalisateur : Shôhei Imamura
Acteurs : Ken Ogata, Rentarô Mikuni, Chôchô Miyako,...
Distributeur : The Jokers Films / Les Bookmakers
Budget : -
Genre : Drame, Thriller.
Nationalité : Japonais.
Durée : 2h10min.

Date de sortie : 24 novembre 1982
Date de ressortie : 11 mai 2022

Synopsis :
En octobre 1963, la police découvre les cadavres de deux collecteurs de taxes dans la campagne. Le suspect est l’un de leurs collègues : Iwao Enokizu, un escroc plusieurs fois condamné. Réfugié dans une auberge d’Hamatsu, Enokizu se fait passer pour un professeur d’université et poursuit ses méfaits alors que son portrait est affiché dans tout le Japon. L’histoire vraie d’un tueur sans scrupules que la société a transformé en monstre.



Critique :


Même s'il a fait ses gammes auprès de la légende Yasujiro Ozu, Shôhei Imamura a toujours plus où moins méprisé le classicisme de son illustre aîné, préférant épouser les courbes d'un cinéma résolument moins conventionnel mais surtout férocement plus désordonné.
Fer de lance de la " Nouvelle Vague " nippone, La Vengeance est à moi, chapeauté onze ans après la chaotique production de son Le profond désir des Dieux, se veut comme une vision férocement acide et violent du Japon moderne, dans la droite lignée des envolées furieuses de l'époque signées Hiroshi Teshigahara, Seijun Suzuki, Toshio Matsumoto où encore Nagisa Ôshima.
Dans les exactions macabres d'Iwao Enokizu (Ken Ogata, d'une intensité absolument incroyable), elles-mêmes inspirées de celles réelles de Akira Nishiguchi (que le film adapte en se basant notamment sur le roman biographique de Ryuzo Saki), Imamura trouve l'allégorique parfaite pour pointer de manière austère et dérangeante les travers idéologiques de la quête de modernité d'une société toujours savamment engoncé dans ses traditions.
Fable sanglante sur un sociopathe solitaire, dont la dérivation vers le côté obscur n'est pas le noyau central d'un récit tout aussi chaotique que peut l'être sa vie et son esprit, le scénario de Masaru Baba tout du long s'amuse à rendre complexe sa narration en multipliant les flashbacks et les sauts dans le temps, des pièces de puzzle jetées violemment au spectateur pour faire croire qu'Imamura tente de déchiffrer l'indéchiffrable.

Copyright The Jokers / Les Bookmakers

Hors le cinéaste n'est pas forcément attirer par l'idée de résoudre cette équation, aussi intéressé qu'il est par le fétichisme entourant la banalité des instants autour des duperies et des meurtres que les actes eux-mêmes.
Plus en tout cas que les contours du drame oedipien et de la haine paternelle (là où il est amoureusement attaché à sa mère attentionnée) qui justifierait - en partie, tout comme la violence de l'occupation américaine - le manque d'empathie glaciale d'Enokizu mais aussi et surtout sa sauvagerie primaire.
Mise en images terrifiante et à la lisière du documentaire d'un sociopathe qui exploite les désirs matériels de l'influence occidentale afin de laisser exploser ses instincts, et dont la (les ?) personnalité fragmentée n'est que le symbole d'une nation elle-même schizophrène et confuse coincée entre traditions et aspirations modernes et économiques; La Vengeance est à moi est une oeuvre puissante et impressionnante dans sa manière cynique de sonder les convictions sociales du Japon des 60s, entre un humanisme faussement vanté et une politique capitaliste visant à épuiser et dévorer les âmes.
D'une crudité folle, la vision d'Imamura ne donne jamais clairement de justification/explication concrète aux motivations d'Enokizu, comme si l'idée même de se réconforter à l'idée de pouvoir décortiquer les raisons d'actes supposément irrationnels d'un homme qui ayant tourné le dos aux trois piliers de l'autorité nippone - l'Empereur, le père et la religion -, ne servait à rien.
Cynique donc, mais tout aussi effrayant à la fois.


Jonathan Chevrier


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