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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Neige

Réalisateur/trice : Juliet Berto et Jean-Henri Roger
Avec : Juliet Berto, Jean-François Stévenin, Robert Liensol, Jean-François Balmer, …
Budget : -
Distributeur : JHR Films
Nationalité : Français, Belge
Genre : Drame
Durée : 1h30min

Date de sortie : 20 mai 1981
Date de reprise : 05 janvier 2022


Synopsis
Anita, elle est barmaid à « La Vielleuse », elle a un grand cœur. Willy lui, Anita il l’aime et c’est pas tous les jours facile. Jocko est antillais, pour vivre son exil, son « truc » c’est l’église de la Sainte-Trinité dont il est le Pasteur. Tous les trois, ils vivent sur les 800 mètres de boulevard entre Barbès et Pigalle. Bobby c’est le môme du quartier, il fait profession de « dealer ». Anita l’a presque élevé et elle ferait tout pour le protéger.
Anita et ses deux copains, ils vont vite apprendre le prix du gramme d’héroine.


Critique :


En 1981, l’actrice phare de la Nouvelle Vague réalisait son premier long métrage, avec l’aide de Jean-Henri Roger. Juliet Berto nous emmenait dans les quartiers de Pigalle et de Barbès, sur les traces de la fameuse Neige, argot de la poudre blanche. À l’époque, le film avait eu son petit succès, critique et public, avec l’obtention du Prix du jeune cinéma au Festival de Cannes. C’est un véritable hommage aux personnes en marge, et à des quartiers de Paris stigmatisés, que le couple de cinéastes nous propose. Le film ressort au cinéma, après avoir été introuvable pendant longtemps, dans une version remasterisée 4K.

© JHR Films

C’est presque une mini-ville, au cœur de Paris. Pigalle et ses night-club. Barbès et ses bars miteux. Anita est barmaid et tient le fil du récit. Elle a presque élevé Bobby, dealer à la cool, qui vient tous les jours vendre de la poudre blanche à l’intérieur d’une tente/ strip-club. Le danger rôde et les stup, élément étranger, surveillent cette vente des bas-fonds. Neige n’est pas vraiment un film choral, pourtant le récit nous présente une galerie de personnages à la marge, disparus du cinéma populaire. Juliet Berto, et son co-réalisateur/scénariste, leur donnent de l’espace pour s’exprimer. Si nous avons l’impression que le cinéma français actuel manque de diversité, le film s’emploie à nous la montrer, et sans complaisance, ni besoin de cocher un cahier des charges. C’était la volonté de Juliet Berto de présenter le quotidien du quartier où elle habitait et ses citoyen⋅nes issu⋅es de minorités. Les cinéastes nous proposent des gueules de cinéma, des caractères. Des personnages dotés d’une détermination à toute épreuve, qu’importe le bien ou le mal. La moralité n’a pas sa place dans cet espace précarisé, elle est l’apanage des riches. Ici, tout est bon pour survivre et sauver les siens. Pas pour Anita cependant. Féline au grand cœur, elle parcourt les rues de Paris comme un chat aux pas souples. Elle est capable de prendre tous les risques pour aider Bobby ou une personne dans la rue. Mi-séductrice, mi-enfant, Juliet Berto prête ses traits à ce personnage haut en couleur.

© JHR Films

Ce qui marque le plus dans Neige, c’est cette mise en scène privilégiant l’errance et la solitude. Si Anita ne quitte presque jamais ses compères, Jocko (Robert Liensol) et Willy (Jean-François Stévenin), les autres ne font que passer. Il est question de suivre ou d’être suivi, de passage dans le chemin de la drogue, de course-poursuite dans les grands magasins. L’énergie que dégage ces mouvements incessants empêche tout misérabilisme. Le film se fait plus le portrait sans concession d’une réalité qu’un regard condescendant sur l’état d’une société à la marge. Le fantasme n’a pas sa place mais Juliet Berto laisse pourtant place à la poésie de s’installer, lors de rares moments d'insouciance. C’est Bobby qui se meut avec aisance dans la rue qu’il connaît si bien. C’est Anita et Willy à la fête foraine, amoureux fous.

Juliet Berto et Jean-Henri Roger réinvente un cinéma réaliste et donne, en creux, la parole aux minorités. Une parole au singulier, une parole diversifiée et dénuée de complaisance. « Petit cosmos des damnés de la terre, où la revendication au rêve et au jeu permet à la vie d’éclater encore dans une dernière fulgurance, malgré les étoiles rouges qui sillonnent fatalement le pavé de ce ciel à l’envers de ce boulevard Barbès que j’aime » écrivait la cinéaste et actrice dans un poème, ode à son quartier qu’elle aimait, pour présenter l’idée de son film. Neige est une fulgurance, un monde à part qui se pare de quelques rides (nombreux sont les endroits montrés n’existant plus aujourd’hui, dont l’immense Tati de Barbès) mais qui n’a pas perdu de sa pertinence. À l’image de celle qui l’a imaginé, le film possède une vitalité et une liberté de ton, qui privilégie la vie complexifiée au regard sociétal lisse et moralisateur.


Laura Enjolvy