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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Rocky


Réalisateur : John G. Avildsen
Avec : Sylvester Stallone, Talia Shire, Burt Young, Carl Weathers,...
Distributeur : L’Atelier Distribution
Budget : 1 000 000 $
Genre : Action, Drame
Nationalité : Américain
Durée : 1h59min

Date de sortie : 23 mars 1977
Date de reprise : 24 novembre 2021

Synopsis :
Dans les quartiers populaires de Philadelphie, Rocky Balboa collecte des dettes non payées pour Tony Gazzo, un usurier, et dispute de temps à autre, pour quelques dizaines de dollars, des combats de boxe sous l'appellation de "l'étalon italien". Cependant, Mickey, son vieil entraîneur, le laisse tomber. Son ami Paulie, qui travaille dans un entrepôt frigorifique, encourage Rocky à sortir avec sa sœur Adrian, une jeune vendeuse réservée d'un magasin d'animaux domestiques. Pendant ce temps, Apollo Creed, le champion du monde de boxe catégorie poids lourd, recherche un nouvel adversaire pour remettre son titre en jeu. Son choix se portera sur Rocky.



Critique :


Un an avant le début de la saga culte Star Wars débutait une autre saga devenue culte, avec six films à son actif et deux spin-off : Rocky. L’histoire du boxeur Rocky Balboa, dit l’étalon italien, issu des quartiers pauvres de Philadelphie, qui gravit les échelons dans son sport à l’aide d’un courage sans faille et d’un entraînement intensif. L’American Dream dans ce qu’il a de plus pur.

Propulsé au sommet, Sylvester Stallone a connu la misère, comme son personnage. Il EST Rocky et le sera à jamais. Son histoire partage de nombreux points communs avec le boxeur. Avant 1976, la carrière de l’acteur était au point mort : un rôle dans un film érotique en 1970, The party at Kitty and Stud’s, ressorti en 1976 sous le titre L’Étalon italien pour profiter de la nouvelle notoriété de l’acteur (il est d’ailleurs ironique de voir dans Rocky que ce surnom lui donne la chance de sa vie) et des petits rôles dans des films de séries B où parfois il n’est même pas crédité. Mais Sylvester Stallone a dans sa poche de l’or en barre. Le scénario du film qu’il a lui-même écrit, prenant au sérieux le dicton « on est jamais mieux servi que par soi-même ». Pourquoi attendre le rôle de sa vie quand on peut le créer de ses propres mains ? La United Artists lui offre un beau chèque pour les droits scénaristiques mais refuse qu’il soit impliqué au casting. Cependant, il est hors de question pour l’acteur d’être mis de côté. Qu'importe si le chèque devient moindre, si le budget est serré, si les jours de tournage sont maigres. Sylvester Stallone voit peut-être dans le futur et ne veut pas laisser passer sa chance. Bien lui en pris. Il passera à la réalisation par la suite mais pour ce premier opus c’est John G. Avildsen derrière la caméra. Pour sa mise en scène, il obtiendra le sacro-saint Oscar du meilleur réalisateur en 1977 avant de se hisser à jamais sur l’échelle de la pop-culture en réalisant les films Karaté Kid.

Copyright Chartoff-Winkler productions

L'exaltation finale nous donne l’impression que l’issue du combat opposant Apollo Creed à Rocky est en faveur de ce dernier, alors qu’il n’en est rien. Pourtant le film est une sorte de victoire, celle de la dignité retrouvée de l’Amérique laissée pour compte. Rocky, porte étendard de tout un quartier pauvre de Philadelphie, ne gagne pas le combat, ni le titre de champion mais gagne le respect du public et du monde du sport. Sylvester Stallone donne la parole à ceux et celles qu’on préfère ne pas voir et ne pas entendre habituellement.

Rocky est un film bavard avec des personnages pas vraiment doués pour s’exprimer oralement. Ça crie, pleure, s’énerve, insulte parfois. Au creux de ces sentiments exacerbés se cache la frustration et l’envie d’un ailleurs. Personnage solaire dans un environnement gris, Rocky est loin d’être la figure d’un boxeur ordinaire. Alors que sa carrure lui donne un air imposant, il n’en joue jamais, au contraire. Le scénario multiplie les détails pour dévoiler un caractère plus complexe que les apparences nous donne à voir. La première fois que le film nous dévoile le personnage, il cogne sévère dans un petit match de boxe et il gagne. Mais il n’y a aucune gloire à cette victoire, comparé à l’unique autre combat du film. Il rentre chez lui, seul, dans la nuit. La première chose que nous voyons, après ses coups, c’est la façon dont il s’arrête regarder un petit chien dans la vitrine de l’animalerie pour lui parler d’une façon très tendre. Cœur chamallow derrière une armoire à glace, c’est Rocky Balboa dans toute sa nuance. Il est sensible, même s’il veut le cacher. Il est fier et s'enorgueillit de joindre les deux bouts sans l’aide de personne. Le boxeur vit dans une solitude amère, qu’il cache par un excès de bonne volonté. Et surtout, il ne veut faire de mal à personne en dehors d’un ring. Homme de main d’un mafieux pour arrondir les fins de mois, il refuse de casser le pouce à un brave type qui n’a pas pu payer à temps. Alors qu’il écrit sur un bout de papier le nom de sa prochaine « victime », Rocky chausse des lunettes. Avec ce geste, le film inscrit sa volonté de s’éloigner des codes du film de boxe. Rocky est plus qu’un boxeur. Il est un homme tout d’abord, un personnage de cinéma ensuite, possédant une tendre humanité.

Copyright Chartoff-Winkler productions

Acclamé par la foule malgré sa défaite, Rocky crie « ADRIANNN », appellant ainsi la femme qu’il aime à le rejoindre et partager sa nouvelle gloire avec lui. Une image devenue culte avec le temps et souvent moquée par le phrasé haché et le ton pressant du personnage. Pourtant, la fameuse Adrian prend de l’importance dans la vie du héros et dans le film à mesure que leur relation s’installe. Jusqu’à ce que le montage établisse un parallèle entre le combat Creed/Balboa et le visage de Talia Shire. Béret rouge, comme une tâche de sang posée sur ses cheveux noirs, elle attend le retour de son compagnon dans la loge.

Personnage récurrent de la saga, Adrian sera le pilier de Rocky. Sa femme, la mère de son fils, sa voix de la raison, son soutien sans faille. De petite fille timide, enfermée dans une relation toxique avec son frère Paulie, elle devient femme aux bras de Rocky et dévoile une certaine assurance, capable de supporter les doutes de son compagnon et de jeter ses quatre vérités à son alcoolique de frère. Avec notre regard contemporain, les balbutiements de ce couple devenu culte possèdent quelques éléments que l’on remet en question aujourd’hui (et à juste titre). La façon dont Rocky poursuit Adrian de ses assiduités n’est plus assimilé à de la drague mais à du harcèlement. Elle est presque jetée dans ses bras par son propre frère sans que l’on sache si elle désire sortir avec lui. Rocky la force presque à monter chez lui pour un « dernier verre », ferme la porte et refuse de la laisser sortir avant qu’elle accepte de l’embrasser. Il est dommage de voir que malgré toutes les bonnes intentions du scénario pour conter la réunion de deux êtres isolés et paumés, on nous donne à voir une zone grise du consentement. Le film le justifie par le côté muet d’Adrian, qui a du mal à exprimer ses émotions. Il est vrai aussi que le personnage finit par apprécier le baiser de Rocky, assez pour former plus tard un couple solide avec lui. À la fin des années 70, alors que la révolution sexuelle prenait doucement fin pour subir un énorme backlash dans la décennie suivante, le cinéma américain avait ironiquement et peut-être inconsciemment pris aux mots les revendications féminines à une sexualité plus libre et décomplexée. Les personnages féminins verront que la seule façon de se libérer de leur enfermement social et/ou familial passe par le sexe, et cela, pendant longtemps au cinéma. Adrian ne fait pas exception. Son assurance et son évolution vont de pair avec ses relations sexuelles (que l’on devine) avec Rocky. Elle sera même insultée par son frère de coucher avant d’être mariée. Mais le film ne laisse pas passer l’insulte (heureusement). 

Sylvester Stallone fait de Rocky un homme un peu gauche. Dans le Philadelphie prolétaire, le romantisme n’avait pas l’air d’avoir sa place. Nous pouvons même nous demander si le personnage a déjà eu des aventures par le passé. Sa solitude, sa maladresse devant Adrian, le fait qu’il apprenne de son coach, Mickey, qu’il ne peut coucher avec elle pendant l'entraînement parce qu’elle lui « couperait les jambes », … On entend souvent parler de la virginité d’Adrian mais il se pourrait qu’il en soit de même pour Rocky, ou tout du moins, ce serait la première fois qu’il éprouve des sentiments. Si l’on regarde par un biais beaucoup plus sombre la relation fraternel des Pennino, la violence de Paulie envers Adrian est peut-être beaucoup plus pernicieuse, quotidienne et sexuelle que l’on peut croire. La toxicité de Paulie envers sa sœur se tient au-delà du premier film, même si la saga ne mettra jamais l’accent dessus. Avec ce regard, la timidité « maladive » d’Adrian pourrait être les conséquences d’un traumatisme. Cela expliquerait son besoin de se cacher dans des vêtements trop grands, des chapeaux, des lunettes, des éléments qu’elle quitte une fois la relation avec Rocky installée, comme si le boxeur l’avait sauvée de l’engrenage de la violence. Figure de proue de la saga, Adrian sera une présence diffuse mais importante, jusqu’à ce que sa mort (fictive) endeuille Rocky et les fans.

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Rocky est devenu culte également dans la sphère technique du cinéma. Considéré comme l’un des premiers films à utiliser le steadycam (un système de stabilisation portatif) inventé par Garrett Brown, le long métrage utilise cette technique pour une scène qui le rendra célèbre. Pendant une longue séquence d’entrainement au milieu du film (élément récurrent dans toute la saga), Rocky court de long en large dans la ville. La caméra suit son mouvement ou le précède jusqu’à ce qu’il arrive en haut des marches du musée de Philadelphie, lieu maintenant prisé des fans. En plus de montrer une technique nouvellement arrivée dans la sphère du cinéma, ces plans deviennent hautement symboliques. Rocky n’est plus seul dans le cadre, il est accompagné de la ville même, Philadelphie. Ses rues jonchées de détritus, ses quais, son quartier industriel sont dévoilés en arrière-plan, tandis que Rocky court vers son destin. Là réside sûrement toute la beauté du film, le fait de nous immerger au cœur d’un combat de vie plus que de boxe. Rocky se regarde comme une piqûre d'adrénaline, de courage et d’espoir. Brandir le poing et ne jamais abandonner.


Laura Enjolvy

Copyright Chartoff-Winkler productions


Au coeur des 70s, après plusieurs années d'une carrière mineure faite de petites apparitions pas forcément notables, Sylvester Stallone, fraichement dans la trentaine, allait tout simplement entrer dans la légende du septième art en créant le personnage de Rocky Balboa.
Un boxeur des bas fonds de Philadelphie qui survit grâce à un job de petite frappe au service d’un usurier aux pratiques douteuses mais qui, par la force immuable du destin, se voit offrir l'opportunité de combattre pour le titre de champion du monde des poids lourds face au charismatique Apollo Creed.
Armé de son coeur et de ses poings, il tentera de s'en sortir et de bouffer les préceptes de l'American Dream par la racine, lui le héros de la classe ouvrière américaine habitué à la précarité et à la débrouille, tout autant qu'il tentera de ravir le coeur de la tendre et timide Adrian; le rayon de soleil de son morne quotidien, flanqué d'un frangin à forte tendance boulet, Paulie.

Même s'il sait que le combat est perdu d'avance, Rocky, entraîné par un Mickey qui endossera très vite le rôle de figure paternelle qui manquait cruellement à sa vie, va croire en sa chance car l'issue de l'affrontement n'est que secondaire.
Son seul but est de tenir le coup face au plus grand des champions, de prouver qu'il est de la trempe des meilleurs ne serait-ce qu'un soir, un unique soir où la victoire sera d'être là, sur le ring, d'être un homme digne et courageux face aux yeux du monde entier mais surtout de la femme qu'il aime, dont le cri d'amour (ADDRRRIAAAANNNNN), sera injustement le sujet de multiples moqueries totalement imméritées au fil des ans...

Copyright Chartoff-Winkler productions

Mais tout cette épopée fantastique est née de manière totalement improbable : le 24 mars 1975, Stallone dont la carrière est plus ou moins au point mort (il comble les trous en jouant les huissiers pour 36$ par semaine), est tranquillement assis dans une salle obscure et 
assiste à la projection du combat Muhammad Ali vs Chuck Wepner, une petite boucherie qui restera gravé dans la mémoire du noble art, car l'ancien Marine et videur en fin de carrière Wepner, avait réussi à coucher la légende Ali au neuvième round - avant de chèrement le payer de sa personne jusqu'au quinzième.
De retour chez lui, et après avoir mûrement réfléchi le concept pendant un mois, Sly, encouragé et soutenu par son ex-femme Sasha, couchera son premier jet sur le papier en à peine trois jours et demi, avant de peaufiner le bébé de ce qui sera le script qui lui servira à démarcher les studios Hollywoodiens (avec un Rocky moins fréquentable, un Mickey gentiment raciste et un combat final qui n'a finalement jamais lieu); dit jet qui trouvera une oreille attentive auprès du tandem Irwin Winkler/Robert Chartoff, rencontré à la suite d'une audition infructueuse pour un rôle.

Si United Artists se porte acquéreur du script pour 25 000$, le comédien alors dans une précarité plutôt corsée (il vendra même son chien Butkus pour se nourrir), garde le cap et ne vendra son histoire qu'à une seule et unique condition : être aussi le rôle titre face caméra.
Droit dans ses bottes alors que le studio tente de convaincre le tout Hollywood (Ryan O'Neal, James Caan, Burt Reynolds ou même Robert Redford), tout en lui proposant des sommes démesurées (jusqu'à 365 000 $ pour qu'il lâche son script), il aura finalement gain de cause (non sans quelques concessions : opérer des réécritures du scénario sans être rémunéré, et n'avoir que le tarif syndical comme salaire en tant qu'acteur), empochera la petite bagatelle de 35 000 $ - dont 15 partiront pour racheter Butkus, qui aura aussi son petit rôle à l'écran -, mais surtout son vrai ticket pour la gloire (même si Arthur Krim, big boss du studio, pensait avoir engagé un autre comédien, Perry King, qu'il avait confondu avec Sly et qui permit au projet d'être validé !).

Budgeté au strict minimum (1 au lieu des 2 millions promis, United Artists misant gros sur un New York, New York de Scorsese dont l'échec sera ironiquement rattrapé par les recettes du film de John G. Avildsen), et fruit d'un tournage spartiate (des scènes prises sur le vif et sans autorisations - dont l'une des premières utilisations du steadicam de l'histoire, après Bound of Glory et Marathon Man -, un Stallone au corps supplicié,...), Rocky débarque dans les salles obscures le 21 novembre 1976 et... bouleverse le monde.
Mise en images familière d'un " underdog ", d'un outsider de l'Amérique des laissés-pour-compte et post-Vietnam en quête de figure si ce n'est héroïque, au moins inspirante et déterminée; le film, qui tranche avec l'aspect urbain et naturaliste en vogue pour épouser un lyrisme et un humanisme proche du cinéma béni de Capra, incarne sans fondamentalement le vouloir, ce que le public avait besoin au moment même où la séance lui a été offerte.

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Odyssée émotionnelle émouvante sur un combattant lambda - aussi bien sur qu'en-dehors du ring -, qui a la chance miraculeuse de devenir champion du monde, un fauve en cage qui se bat littéralement pour vivre et s'extirper d'un misérabilisme qui lui colle aux gants; un homme conscient de ce qu'il est et de ce qu'il a (c'est à dire pas grand chose, à part ses tortues - Bouton et Manchette -, son poisson - Moby Dick -, mais surtout ses tripes et son coeur), mais qui veut simplement être la meilleure version possible de lui-même. 
Il souhaite plus que tout sortir des profondeurs sordides dans lesquelles la vie l'a plongé, gagner le respect des autres autant que de lui-même (qu'il ne semble jamais avoir eu de toute son existence), et essayer coûte que coûte de trouver sa part de bonheur, si petite soit-elle.
Un personnage purement romanesque qu'il est impossible de ne pas aimer tant il est intrinsèquement bon, aimable et attachant, Stallone le croquant (quand il ne fait pas preuve d'un engagement passionné à l'écran) dans une sorte de marbre brute ou le manque d'éloquence est continuellement contrebalancé par un flux d'émotions tellement puissant que les mots n'ont même pas besoin d'être prononcés, pour que l'on ressente pleinement ce qu'il traverse.

Un brave type qui, même s'il est sauvage sur un ring et fier dans la rue - malgré les moqueries qu'il peut susciter -, peut épargner un débiteur de l'usurier crapuleux pour lequel il bosse, porter un ivrogne à l'intérieur d'un bar pour ne pas qu'il titube seul sur le trottoir, ou même raccompagner chez elle - sermont moraliste à la clé - une jeune fille au langage fleuri, pour ne pas qu'elle galère dans les rues.
Un homme qui même s'il pratique un noble art brutal, bosse pour des brutes et vit dans les bas fonds sombres d'une Philadelphie désenchantée (elle a rarement été aussi terne et froide à l'écran), n'a strictement rien d'une brute même s'il n'est pas pour autant exempt d'un comportement maladroit (voire toxique puisque dans une zone très grise du consentement) dans ses premiers instants avec Adrian (que ce soit dans son approche oppressante - elle est même poussé dans ses bras par son frangin Paulie -, ou leur premier fois, très grossièrement écrit même si cela colle avec son esprit " petite frappe " qui veut arriver à ses fins, dans une Amérique prolétaire ou le romantisme est secondaire), qui deviendra plus tard son épouse bien aimée.

Un homme qui par la force des choses, va sortir de son immobilisme et prendre (enfin) les rênes de sa vie, aidé non seulement par un Apollo Creed qui ne réalise pas encore qu'il sera l'artisan de son propre échec, par Mickey son boxeur raté d'entraîneur qui incarnera - non sans l'avoir longtemps dénigré par dépit - son père de substitution; mais surtout par Adrian, figure timide et introverti tel un petit oiseau elle aussi en cage, qui ne demande qu'à ce qu'on l'extirpe de sa prison de verre (un frère tyrannique et violent, qui a sans aucun doute renforcé le fait qu'elle soit autant renfermé sur elle-même), pour elle aussi vivre sa vie pour de bon.
C'est par elle - et dans un effet de miroir, il lui offre la même évolution - que Rocky arrive à avoir de l'estime pour lui-même, à s'accomplir en tant qu'homme (notamment sexuellement, dans une Amérique des 70s prônant l'accomplissement personnel en grande partie, par le sexe) mais aussi en tant que boxeur (elle lui donne une raison de plus pour tout donner sur le ring); une vérité qui prendra d'ailleurs encore plus d'ampleur dès le second opus (et laissera transparaître d'une manière peut-être plus édifiante encore, le talent infini et solaire de Talia Shire).

Copyright Chartoff-Winkler productions

Dans une vie aussi opprimée et frustrante, avec des gens qui ne lui accordent aucun respect (et qui le renvoi constamment à sa propre condition), elle est la légèreté essentielle, le moteur de son attitude extrêmement optimiste, le ying de son yang tant leur couple est instinctivement enlacé dans une compréhension mutuelle et immédiate de l'autre, un amour pur entre deux âmes blessées qui s'apprivoisent, se protègent l'un et l'autre (dans une affirmation totale de leurs angoisses et de leurs doutes), se complètent et réveillent le meilleur en chacun d'eux.
Sans elle, Rocky n'aurait jamais tenu la distance sur quinze rounds face à Creed, et il n'aurait même sans doute jamais continué à le faire passé ce combat dont l'issue n'est finalement pas importante à ses yeux : elle est sa victoire, pas l'aperçu du rêve américain vanté par une hypothétique victoire sur le ring.

Un paradoxe assez fort tant c'est dans son refus d'épouser les contours du rêve américain, qu'il en est pourtant la plus juste représentation (tout en sortant l'année du bicentenaire des États-Unis, tout un symbole), avec son coup du destin peu crédible dans le cynisme du sport spectacle - et encore plus dans sa version modernisé et surmédiatisée actuelle -; une sorte de conte de fée intentionnel ou l'être opprimé devient, dans un acte purement patriotique (le combat n'est pas pris plus au sérieux que le symbole - surtout médiatique - qu'il représente), l'idéal américain.
Mais le paradoxe le plus fort dans Rocky se révèle in fine dans la nature volontairement contradictoire que le film a, tout comme personnage vedette, de courir hors des sentiers battus, d'être un film de boxe qui n'en est jamais vraiment un (un court combat d'ouverture avant l'affrontement final intense et épique, qui détonne dans sa volonté d'être plus spectaculaire que la réalité, sans pour autant déjouer une seule once de son réalisme), préférant épouser les courbes plus fascinantes du mélodrame intime et romantique.

Quarante-cinq ans plus tard, et même si il n'a décemment pas connu la carrière qu'il méritait, Stallone a su forger la légende de l’Étalon Italien pour en faire une saga familiale populaire et unique en son genre, une épopée intime à l'implication personnelle incroyable, tant l'acteur s'est constamment efforcé de tisser un lien invisible et indéfectible entre lui et son auditoire, en nous ouvrant son coeur dans des films dignes et humains, dont les thèmes iconiques de Bill Conti nous provoque moultes frissons et montés d'adrénaline, dès que retentissent les premières notes si reconnaissable pour tous aujourd'hui.
À tel point que, plus encore que la bête John Rambo, Rocky Balboa est devenu l'alter-ego sur grand écran du comédien et un témoignage (volontaire?) édifiant de la carrière du bonhomme : la révélation (Rocky), la consécration et le statut de gagnant (Rocky II, la Revanche), l'embourgeoisement et le questionnement de la célébrité (Rocky III, L'Oeil du Tigre), la folie excessive de la célébrité jusqu'à devenir une icône patriotique (Rocky IV, tout comme Rambo II), le retour aux sources et la chute du statut de héros (Rocky V) et enfin le baroud d'honneur après un long passage à vide (Rocky Balboa), avant le passage de témoin vibrant (Creed : l'Héritage de Rocky Balboa puis Creed II).

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Et alors qu'il vient tout juste de voir sa quatrième aventure grandement modifiée - voire même bonifiée - par un " director's cut " aux petits oignons, et que le premier opus s'offre donc une ressortie pimpante en salles, en version restaurée; Rocky n'est pas prêt de faire taire son statut de géant du cinéma qu'on aime.
Cette ressortie du chef-d'oeuvre d'Avildsen n'est que la confirmation mélancolique et tout en muscles, qu'il est un héros tout simplement magnifique et inoubliable.


Jonathan Chevrier


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