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[CRITIQUE] : Many Saints of Newark - Une Histoire des Soprano

Réalisateur : Alan Taylor
Acteurs : Alessandro Nivola, Michael Gandolfini, Leslie Odom Jr., Vera Farmiga, Ray Liotta, Corey Stoll, Jon Bernthal, Billy Magnussen,...
Distributeur : Warner Bros. France
Budget : -
Genre : Policier, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h03min.

Synopsis :
Avant d’être une légende du crime, Tony Soprano a fait ses gammes auprès de son oncle, Dickie Moltisanti. Dans un contexte explosif de guerre des gangs, cet intraitable parrain a ouvert les portes de la mafia à son neveu.



Critique :


La question qui sert de pivot scénaristique (disons plutôt, d'excuse férocement mercantile) à ce prequel pas forcément désiré mais surtout franchement redouté, de la vénéré Sopranos, incarne à elle seule toute la vacuité de son entreprise, et son indiscutable fragilité : comment Tony Soprano, un ado impressionnable et sensible du New Jersey, avec de vraies aptitudes pour le leadership mais pas encore les tripes pour les concrétiser, est-il devenu le puissant et sociopathe gangster/chef de la mafia au centre des Soprano ?
Poser la question revient, que ce soit pour les fans de la première heure ou même son créateur David Chase, à renier tous les efforts d'une caractérisation colossale brique par brique, d'un personnage que l'on a appris à connaître sur six saison - et encore plus lors de ses séances avec son psychiatre, le Dr Melfi.
C'est donc vers cet effort, aussi héroïque (ou suicidaire, au choix) que totalement conscient de son inutilité artistique (tant Tony est longtemps en retrait ici), que se lance le tandem Chase/Lawrence Konner avec Many Saints of Newark, un prequel presque à contre-courant du show originel et pâti furieusement de son statut de long-métrage.

Copyright 2021 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved. / Barry Wetcher

Si l'histoire qui nous est conté désire tourner autour des émeutes de Newark de juillet 1967 (quatre jours de violence, pillages et autres incendies, déclenchés à la suite d'une bavure policière à l'encontre d'un chauffeur de taxi afro-américain non armé), la narration ne se donne jamais le temps de décrire le contexte social bouillant de l'époque, comme si elle était acquise pour tous (une tension de longue date entre la population afro-américaine et les dirigeants politiques blancs, un taux de chômage élevé chez les noirs, une " fuite " de la communauté blanche vers les banlieues, une ville fortement divisée selon des lignes géographiques raciales, une résistance abusive à toute ascension sociale de la classe professionnelle afro-américaine), et utilise sans trop de substance, le prisme de la clandestinité criminelle comme d'un microcosme des tensions combustibles qui s'emparaient de Newark - et de la guerre ouverte entre les gangs qui couvait -, au travers de deux personnages bien distincts : Richard " Dickie " Moltisanti (mentor du jeune Tony Soprano et père de Christopher, le protégé capricieux que Tony finira par étrangler à mort dans la série) et Harold McBrayer (un leader afro-americain aux conceptions entrepreneuriales du crime, qui tente de saccager le commerce illicite des gangsters italo-américains).
Un prisme accrocheur mais qui manque, comme dit plus haut, autant de substance que d'un manque réel de perspective, voyageant avec plus ou moins d'entrain entre chaque volets narratifs de sa fresque, sans la puissance que le sujet - et encore plus son support filmique castrateur - exige.

Copyright 2021 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved. / Barry Wetcher

En voulant donner du grain à moudre à tous ses personnages et intrigues secondaires, sans fondamentalement savoir où pleinement se diriger, le film n'aura de cesse que de scier les propres barreaux de son tabouret déjà fragile, croquant une sorte de sous-Goodfellas ou Scorsese se serait paumé au coeur de la scène mafieuse de Jersey.
Tragédie familial aplatissant plus que de raison son rythme jusqu'à son ultime bobine (à la conclusion abrupte, appelant plus ou moins une suite), le film ne se fait que le pâle écho de la série tant l'histoire de Dickie est aussi celle de Tony, sauf qu'elle est articulée sur six des plus grandes saisons de l'histoire de la télévision ricaine.
La défaillance de Dickie est représentée comme le poison à la racine de l'arbre généalogique des Sopranos, même s'il aime se croire meilleur que Johnny Boy ou Corrado " Junior " Soprano, voire même que son père Aldo " Hollywood Dick " Moltisanti, il ne fait que continuellement à chercher la pénitence pour des péchés mortels, qui marquent profondément son âme.
Tout comme son neveu pour qui il est le mentor (un ressort Shakespearien quand on sait qu'il l'aidera à devenir l'homme qu'il sera, et donc le tueur de son propre fils), il est mué par le même désir de faire le bien pour sa famille et les gens qu'il aime, tiraillé par le même tourment psychologique de savoir qu'il mène une vie mauvaise et son incapacité de quitter cette spirale infernale.

Copyright Courtesy of Warner Bros. Pictures and New Line Cinema

Un parcours familier pas forcément déplaisant pour le coup, d'autant qu'Alessandro Nivola délivre l'une de ses plus belles performances à ce jour (il capte à la dangerosité et la volatilité de Dickie, et avec Michael Gandolfini, transcendé par l'aura de son père, portent le film sur leurs larges épaules), mais qui couplé à la banalité pure et simple du projet (raconter les événements formateurs de l'enfance de Tony que nous connaissons déjà, tout en donnant un aperçu juvéniles des personnages majeurs du show, n'est clairement pas une justification suffisante pour légitimer le projet), incarne la goutte d'eau de trop qui fait gentiment débordé le vase d'un film qui revendique le titre et la violence brutale de son materiau d'origine, mais trop peu son poids psychologique et la subtilite grandiose de sa narration.
Une énième preuve si besoin était, que les meilleures séries télévisées n'opérent que trop rarement, des transitions triomphales sur grand écran, et encore plus quand elle joue la carte du prequel...


Jonathan Chevrier



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