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[CRITIQUE] : The Father

Réalisateur : Florian Zeller
Avec : Anthony Hopkins, Olivia Colman, Imogen Poots, Mark Glass, Rufus Sewell,...
Distributeur : Orange Studio Distribution / UGC Distribution
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Britannique, Français.
Durée : 1h38min

Synopsis :
The Father raconte la trajectoire intérieure d’un homme de 81 ans, Anthony, dont la réalité se brise peu à peu sous nos yeux. Mais c’est aussi l’histoire d’Anne, sa fille, qui tente de l’accompagner dans un labyrinthe de questions sans réponses.


Critique :



Sans aller plus loin que ne peut le dire son affiche, The Father de Florian Zeller, qui adapte ici sa propre pièce, avait tout du drame standard fait pour incliner une académie des Oscars à ses pieds.
Ce qui n'est au fond, pas totalement faux puisque le film s'est payé une jolie petite carrière dans la récente course aux statuettes dorées, mais résumer ce premier long à ses (fausses) allures de mécanique calibrée et académique serait une monumentale erreur, tant il est si pertinent dans sa manière d'aborder une tragédie universelle et bien réelle, qu'il semble parfois prendre les contours d'un film d'horreur qui n'aurait pourtant aucune vocation à faire peur, ni même aucun artifice horrifique en son sein autre que la dureté et l'inéluctabilité de la vie.
Plongée intime et dévastatrice dans les méandres obscures de la démence, le premier long-métrage de Zeller n'est pas une expérience facile à encaisser, mais sa précision et sa justesse en fond quelque chose d'aussi merveilleux que terrifiant et nécessaire à mirer.

 Copyright Orange Studio Cinéma / UGC Distribution

Avec son fameux " Père ", un lion blessé qui ne cesse de rugir et qui est frappé de graves pertes de mémoires au point qu'il ne reconnaît ni son environnement, ni les gens qui l'entourent et encore moins qui il est lui-même; The Father est totalement vissé sur la performance monumentale d'Anthony Hopkins (qui partage son prénom avec le personnage, renforçant le trouble pour le spectateur), tour à tour amical, perdu, en colère ou même effrayé (comme un enfant qui aurait été séparé de ses parents dans un grand magasin) entre quelques brèves périodes de conscience, l'extirpant d'une perplexité cauchemardesque constante.
Incroyablement déchirant à regarder, tant sa partition ne ressemble à rien de ce que nous avons pu le voir faire aujourd'hui, il semble tellement conscient des affres de la démence et de ses engrenages - dans lesquels il se perd sans réserve -, que l'on ne le sent jamais vraiment jouer cette homme intelligent qui ne peut justement plus compter sur son intelligence : il l'est de la première à l'ultime seconde.
Authentique, jamais linéaire et volontairement désorienté puisque rythmé par la confusion mentale de son personnage titre, répétant longuement ses séquences non pas comme une quelconque vanité structurelle, mais bien pour accentuer notre compréhension alors que lui-même se bat pour conserver la sienne; la narration du tandem Christopher Hampton/Florian Zeller, pas dénué de quelques lourdeurs symboliques (le fait qu'Anthony perde souvent sa montre n'est pas très subtil, mais cela fait mouche) se pare d'une double empathie follement rafraîchissante dans l'aspect déconcertant du déclin mental chez la victime (encore plus dans les derniers instants, ou il est à un certain niveau conscient de ce qui lui arrive), mais aussi ses proches.

Copyright Orange Studio Cinéma / UGC Distribution

Impossible alors de ne pas être frappé de plein fouet par la bravoure du personnage d'Olivia Colman, éblouissante en fille aimante mais littéralement brisée qui a longtemps mis sa vie sur pause (elle utilise le peu de joie qui l'anime, pour tenter de garder son paternel attaché au présent, et c'est aussi beau que terrible de la voir se décomposer à chaque chagrin, avant de se ressaisir), ou même par les prestations impliqués de ses - mêmes fugaces - seconds couteaux (d'un Rufus Sewell formidablement abject en une poignée de secondes, en passant par une Imogen Poots à l'optimisme charmant).
D'une direction d'acteurs aussi virtuose que sa mise en scène est habile, avec son apanage distinctement scénique (deux décors principaux seulement, mais quadrillé avec une créativité subtile), sublimé autant par la photographie lumineuse de Ben Smithard, que le score intense et contemplatif de Ludovico Einaudi; The Father est un merveilleux drame doux et émouvant sans jamais être condescendant (ni ridicule, un écueil évident avec un tel sujet), qui offre une fenêtre certes fugace mais puissante, sur ce que peut être une vie frappée par la démence, et le détachement lent et cruel qu'elle provoque.


Jonathan Chevrier



Copyright TOBIS Film GmbH

Quand un auteur adapte sa propre œuvre au cinéma, en tant que scénariste et réalisateur, cela peut s’avérer périlleux. Ce n’est d’autant plus pas la première adaptation de sa pièce de théâtre, Le Père, qui a connu un grand succès sur les planches en France et à l'international et a même reçu le Molière de la meilleure pièce en 2014, et qui a précédemment été adaptée en film sous le titre Floride avec Jean Rochefort et Sandrine Kiberlain. A l’époque, en 2015, Zeller n’avait cependant pas participé au film réalisé et co-écrit par Philippe Le Guay et Jérôme Tonnerre.
Avec The Father, son premier long-métrage, le dramaturge français donne sa propre vision cinématographique de la pièce, sans se limiter à du théâtre filmé. Il co-écrit le scénario avec Christopher Hampton, habitué à travailler sur de prestigieuses adaptations comme Les Liaisons Dangereuses de Stephen Frears ou encore Reviens-moi de Joe Wright.

Copyright TOBIS Film GmbH

Zeller a ainsi fait le choix de tourner en anglais, en s’entourant d’un casting de choix : l’immense Anthony Hopkins dans le rôle du père vieillissant, renommé justement Anthony dans le film (il s’appelle André dans la pièce originale), ainsi que la grande Olivia Colman, très touchante dans le rôle de sa fille, Anne. De multiples paris réussis, puisqu’en mars 2021, The Father a été sacré Meilleur scénario adapté à la cérémonie des Oscars, tandis qu’Anthony Hopkins remportait l’Oscar du Meilleur acteur pour son rôle.
Un succès bien mérité, cela ne fait aucun doute. Dès les premières minutes du film, la caméra suit Olivia Colman vers l’immeuble où réside son père, dans l’appartement qui constitue lui aussi un personnage central du film - à la manière de l’unité de lieu au théâtre. Avec elle, le spectateur entre dans l’intérieur, mais aussi sans le savoir de prime abord, l’intimité et la psyché d’Anthony Hopkins. L’acteur incarne à la perfection ce vieil homme bourru, farouche, qui tient coûte que coûte à son indépendance au point de faire démissionner les aides-soignants que sa fille embauche pour l’aider. Mais le bizarre se glisse insidieusement dans la mise en scène, avec la montre qui apparaît et disparaît comme un leitmotiv ou la toupie d’Inception : où est le réel ? La parano d’Anthony est-elle justifiée, ou est-elle au contraire un indice de son déclin ? 
Habilement, la mise en scène trouble le spectateur : les nombreux plans qui s’attardent sur la porte d’entrée, enveloppent le couloir menant à la chambre d’Anthony, ou tournent dans le salon, créent d’abord une impression de familiarité et de maîtrise de l’environnement, pour mieux nous perdre ensuite, de même qu’Anthony confond les lieux et les époques, qui se mélangent en un seul et même espace. L’expérience est également poussée dans le changement des acteurs et actrices, comme Mark Gatiss et Imogen Poots, qui se succèdent sans que parfois on ne sache vraiment de qui il s’agit : vrai souvenir ? Invention, distorsion du réel ? Le malaise est total, tout comme cette incertitude qui se transforme en angoisse et permet une empathie complète avec le personnage d’Anthony. 

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La perte de mémoire et le début de sénilité ne sont pas des thèmes nouveaux au cinéma, on pense bien sûr à Still Alice ou plus récemment Falling, le premier long-métrage de Viggo Mortensen. Mais le traitement de ce sujet très difficile est abordée avec beaucoup de justesse dans The Father, où la confusion du personnage se reflète dans la mise en scène, favorisant une expérience plus effrayante encore, mais aussi dans ses dialogues, sa façon de s'exprimer et de vouloir prouver son intelligence. La relation père-fille jouée par Anthony Hopkins et Olivia Colman, pleine de délicatesse, d’épuisement, de peine et de résilience, apporte nuances et authenticité à ce premier film de Florian Zeller. C’est brillant, déchirant, indispensable.


Victoire



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