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[TOUCHE PAS À MES 80ϟs] : #126. Kuroi Ame

Copyright La Rabbia

Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 80's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !





#126. Pluie Noire de
Shōhei Imamura (1989)

Dans l'océan des nouvelles sorties estivales, qui contrent admirablement et avec une pluralité rafraîchissante, autant le constat actuel difficile dû au Covid-19, que la stupidité des avis pré-fabriqués qui vont avec (pas de blockbusters : pas de sorties intéressantes), il y a le vrai plaisir de pouvoir (re)découvrir dans les salles obscures, des films cultes et/ou importants, dans des ressorties (très) souvent soignées.
Et après Elephant Man, Crash, Blue Velvet ou encore Mississippi Burning, c'est au tour de Pluie Noire du grand
Shōhei Imamura - sous la houlette du tandem La Rabbia/Les Bookmakers -, de venir rappeler aux cinéphiles, combien sa vision est une claque aussi bien frontale et imposante, qu'un témoignage nécessaire sur l'un des plus gros crimes contre l'humanité, du siècle dernier.

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Tourné dans un noir et blanc magnifiquement texturé, le film s'échine à raconter avec sincérité et force, l'histoire des survivants de la bombe atomique d'Hiroshima contaminés par les retombées, une pluie d'âmes qui ont vécu dans la peur de développer un empoisonnement aux radiations ou un cancer - ce qui est arrivé pour beaucoup d'entre eux -, le nuage de champignons planant au-dessus de leur tête, chaque jour de leur vie.
Véritable témoignage humain plus qu'un message anti-nucléaire puissant (ce qu'il est, indiscutablement, mais sans articuler son propos autour), sur ces hommes et ces femmes qui ont intériorisé leurs expériences, et comment ils ont durement réalisés qu'ils portaient en eux, les germes d'un conflit abject qui ne les concernent pas, mais dont ils sont des victimes collatérales; Kuroi Ame est aussi l'occasion pour Imamura de dresser un portrait impitoyable de la société japonaise en elle-même.
Vaguement inspiré du roman éponyme de Masuji Ibuse, le film s'attache aux aléas tragiques de Yasuko, une jeune femme qui ne souffre d'aucun effet évident ou visible de l'explosion, mais qui comme tout le monde dans son village - logé au travers d'une large baie d'Hiroshima - elle a été touchée par les retombées du champignon.
Et au fur et à mesure que le temps passe, l'empoisonnement par les radiations la tique comme une bombe à retardement vissée en elle et impossible à désamorcer...

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La représentation par Imamura du jour de l'explosion elle-même est soudaine, incroyablement graphique et impitoyable, une journée ordinaire dans la communauté isolée où se déroule l'histoire, qui devient extraordinaire alors que le ciel se remplit d'une lumière aveuglante et ravageuse, laissant les survivants littéralement sur le carreau, errant tels des zombies parmi les épaves d'un monde autrefois familier... et qui va décider de le redevenir, coûte que coûte.
L'impulsion immédiate de la société Japonaise au lendemain du cataclysme, sera de rétablir les rythmes et les valeurs de la vie traditionnelle, meilleur moyen pour faussement guérir de cette blessure, mais surtout la nier.
Ce constat terrible est retranscrit à travers Yasuko, femme dans la fleur de l'âge que personne ne veut comme épouse (aucun homme ne veut d'une épouse qui pourrait être infectée par les séquelles persistantes des retombées radioactives), qui va peu à peu devenir un affront à sa famille et à sa communauté - une femme de son âge ne doit pas rester célibataire.
La colère d'Imamura n'est d'ailleurs pas tant dirigée ici contre ceux qui ont largué la bombe sur Hiroshima, que contre la façon dont la majorité des japonais ont immédiatement commencé à se comporter, comme si cet acte était le fruit de leur propre faute (le fait de s'excuser même d'avoir été exposé aux retombées).

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Oeuvre puissante et courageuse, incarnant un regard vraie sur une réalité que beaucoup de japonais ne veulent pas entendre mais aussi, que beaucoup d'occidentaux ne veulent pas croire; Pluie Noire, dont le choix d'un tournage en noir et blanc renforce encore plus l'impact de sa vision sur nos rétines (et rend d'autant plus subtil, son message) est de ces péloches essentielles, de ces devoirs de mémoires sur des actes et des vérités qui ne peuvent être nier, même dans une volonté de revenir à une certaine normalité du quotidien.
On ne fait pas face à un drame humanitaire sans nom, et qui plus est un holocauste atomique sans précédent (et, encore aujourd'hui, unique... et heureusement) en le niant.


Jonathan Chevrier 

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