[CRITIQUE] : The Crossing
Réalisatrice : Bai Xue
Acteurs : Huang Yao, Sunny Sun, Carmen Soup, Ni Hongji, Elena Kong,...
Distributeur : 3L Films
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Chinois.
Durée : 1h39min.
Synopsis :
Peipei est une lycéenne de 16 ans qui vit avec sa mère à Shenzen et étudie à Hong Kong. Avec sa meilleure amie Jo, elles rêvent de vivre un jour de Noël sous la neige au Japon.
Alors que Peipei cherche du travail pour financer ce voyage, le petit ami de Jo lui propose de se faire de l’argent en passant illégalement des téléphones portables par la frontière.
D’abord craintive, Peipei prend de l’assurance quand les entrées d’argent se font plus importantes...
Critique :
Tourné avant les manifestations à Hong Kong, #TheCrossing filme la ville comme le lieu de tous les possibles. Son immensité n’est alors que plus oppressante, mais devient la métaphore d’une toute nouvelle liberté, un autre monde qui s’ouvre, à deux pas. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/l4hRzeN8BW— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) August 13, 2020
Bai Xue signe pour son premier long-métrage le portrait d’une jeunesse coincée entre deux villes : Shenzhen en Chine et Hong Kong.
Enfant transfrontalière, Bai Xue a grandi dans la mégalopole de Shenzhen, à la frontière de Hong Kong. Comme son personnage principal, Peipei, elle a dû pendant toute sa scolarité passer la douane quotidiennement pour accéder à son école, qui se se situe dans l’ex-colonie britannique Hong Kong, comme des milliers d’écoliers chinois. Malgré la rétrocession fin des années 90, la frontière entre les deux villes existe toujours, avec des contrôles sévères réguliers. Pour son premier long-métrage, la réalisatrice a donc voulu raconter ce passage, qui porte en lui bien plus de chose qu’une histoire de douane. The Crossing porte bien son nom, car le film traverse deux états littéralement, mais aussi une crise économique, l’adolescence, comment se (re)créer une identité et avoir accès à ses désirs de liberté, de voyage tout en se sentant privé d’avenir.
Copyright 3L Films |
Peipei vient d’avoir seize ans et projette avec sa meilleure amie Jo de partir au Japon pour Noël. Un beau voyage qu’elle ne peut pas forcément s’offrir. Si son amie habite Hong Kong, et grandit dans une famille aisée (elle va même bientôt partir poursuivre ses études à l’étranger), Peipei est ballottée entre ses deux parents séparés, précaires et qui ne s’occupent pas d’elle. Son père est absent, a refait sa vie, tandis que sa mère passe ses soirées à jouer et boire, se comportant plus comme une colocataire qu’une mère. Dans le but de se payer son voyage, elle vend tout d’abord des coques personnalisées pendant les pauses en classe et se trouve un petit boulot dans un restaurant. Le premier ne lui fait pas gagner suffisamment d’argent, le second l’exploite pour une paie minuscule. C’est par hasard qu’elle va connaître le monde du trafic illégal, en aidant Hao, le petit ami de Jo à passer des iPhone à la douane. C’est un boulot facile, qui paie bien, son voyage au Japon aura bien lieu.
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L’intention de Bai Xue était de parler de la jeunesse, évidemment, mais pas seulement. Elle veut aussi enregistrer une époque, une façon de vie transfrontalière qui façonne les habitants chinois. The Crossing contient tous les codes du coming of age, où Peipei doit prendre ses responsabilités et se demander si un simple voyage vaut le risque de finir en prison. Mais la réalisatrice va plus loin dans son récit que le passage de l’adolescence vers la vie d’adulte, pour questionner directement l’identité. Peut-on se la créer de toute pièce ? Peut-on grandir sereinement quand on vit dans un entre-deux ? Malgré les similitudes des deux villes, Hong Kong reste spéciale dans le paysage chinois, créant un schisme entre les hongkongais et les autres. Hong Kong symbolise l’évasion, l’argent et les biens de consommation, comme on peut le voir à l’attrait des tout nouveaux iPhone sur les habitants de Shenzhen. C’est ce trouble qu'explore Bai Xue, celui d’essayer de se faire une place à Hong Kong. Ce sentiment s’installe durant le long-métrage : ne jamais pouvoir se poser, ne jamais être accepter complètement. Un climat anxiogène s’installe, le spectateur pouvant presque partager cette intense fascination qu’exerce Hong Kong sur Peipei et Hao.
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La réalisatrice reste très pudique concernant les émotions de ses personnages. Peipei et Hao sont attirés l’un par l’autre, mais elle filme cette inclinaison au fur et à mesure que leurs sentiments s’installent et finissent par être partagés. Une seule scène brise cette pudeur et les rapproche de très près, dévoilant un peu plus de peau pour pouvoir installer des téléphones autour de leur taille. Une relation platonique, non moins intense, creusant d’autant plus leur fascination pour Hong Kong et leur envie de se soustraire à la précarité. Cette scène se joue dans les tons chauds et rouges et dénote de l’ensemble du film, qui rend la part belle au bleuté et à la nuit. Bai Xue habille sa mise en scène d’une note subtile, entre intimité et caractère plus général, Peipei étant l’incarnation de l’ensemble d’une population transfrontalière, du propre aveu de la réalisatrice. L'entièreté du film joue sur les différentes échelles, entre immensité au sein d’une mégalopole et l'infime sur un toit ou une montagne. Le rythme ne baisse jamais, agrémenté d’aller et retour par la douane, faisant grimper le suspens. On regrette une touche de too much concernant la musique techno et un arrêt sur image, qui délimitent les différentes parties du film.
Tourné avant les manifestations à Hong Kong, The Crossing filme la ville comme le lieu de tous les possibles. Une jeune ado esseulée, remplie de désir et de frustration peut alors devenir riche, amoureuse, grisée par la dangerosité de son choix. Son immensité n’est alors plus oppressante, mais devient la métaphore d’une toute nouvelle liberté, un autre monde qui s’ouvre, à deux pas.
Laura Enjolvy
Copyright 3L Films |
Tourné avant les manifestations à Hong Kong, The Crossing filme la ville comme le lieu de tous les possibles. Une jeune ado esseulée, remplie de désir et de frustration peut alors devenir riche, amoureuse, grisée par la dangerosité de son choix. Son immensité n’est alors plus oppressante, mais devient la métaphore d’une toute nouvelle liberté, un autre monde qui s’ouvre, à deux pas.
Laura Enjolvy