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[CRITIQUE] : Celles qui chantent


Réalisateurs/trice : Sergei Loznitsa, Karim Massaoui, Julie Deliquet et Jafar Panahi
Avec : -
Distributeur : Les Films Pelléas
Budget : -
Genre : Documentaire.
Nationalité : Français.
Durée : 1h15min

Synopsis :
D’un village iranien au Palais Garnier, d'un hôpital de Villejuif au Sud de l’Algérie, des voix s’élèvent... Quatre cinéastes, Julie Deliquet, Karim Moussaoui, Sergei Loznitsa et Jafar Panahi filment des chants de femmes et évoquent à leur façon, le monde où vit chacune d’elle.



Critique :



L’Opéra National de Paris nous offre un programme de quatre courts métrages mêlant chanteuses et opéra, signés par Sergei Loznitsa, Karim Moussaoui, Julie Deliquet et Jafar Panahi.
Lancé en 2015 par L’Opéra de Paris, la 3ème Scène est une plateforme où le théâtre, le chant lyrique, la danse se croisent avec le cinéma, la photographie, la vidéo. Cartes blanches sont données à de nombreux cinéastes, dont Valérie Donzelli, Apichatpong Weerasthakul, Mathieu Amalric, etc …, pour expérimenter et créer des œuvres originales, diffusées en accès libre sur le site de l’Opéra. Pour la première, quatre œuvres issues du projet sont alliées ensemble pour former Celles qui chantent, diffusé au cinéma. Une nuit à l’opéra, Les Divas du Taguerabt, Violetta et Hidden ont été réalisé chacun séparément mais résonnent entre eux et composent un hommage conséquent à l’opéra et plus particulièrement aux chanteuses.


Copyright OnP LFP

Pour débuter, le film s’ouvre avec le court métrage du réalisateur ukrainien Sergei Loznitsa, Une nuit à l’opéra. Composé d’images d’archives, ce court-métrage nous montre une soirée typique à l’opéra dans les années 50-60, quand le gratin présent dans la salle était aussi important que le spectacle lui-même. Par la magie du montage, de très nombreuses célébrités vont assister à une représentation dans la salle mythique de l’opéra Garnier. Brigitte Bardot, Grace Kelly, Charles de Gaulle, … même la Reine Elizabeth II. Pendant près de dix minutes, ces personnalités, ces politiciens, montent les nombreuses marches pour arriver jusqu’à leur siège. Cette accumulation de personnages, faisant tous et toutes la même chose devient très vite redondant et perd l'intérêt du spectateur. Mais nous finissons par comprendre où veut en venir le cinéaste, qui par cette redondance, à la limite du comique de répétition, interroge la place du spectacle. Où se trouve-t-il ? Quand on voit la mise en place bien huilée des célébrités allant à l’opéra, accompagnées par des photographes et une foule scandant leur nom, nous sommes en droit de nous poser la question si le spectacle de la salle ne serait pas aussi important, peut-être même plus. Puis quand Maria Callas monte sur scène, baignée de lumière et majestueuse face à une salle obscure retenant leur souffle, elle offre une performance (évidemment) exceptionnelle, comme pour appuyer sur le fait qu’une fois la salle dans le noir, l’art lyrique domine le monde, qu’importe le prestige des spectateurs.


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La proposition de Karim Moussaoui, réalisateur algérien du film En attendant les hirondelles, nous emmène loin de l’Opéra de Paris. Les Divas de Taguerabt s’ouvre sur une interrogation, sur la pertinence de construire un opéra à Alger. “Je ne sais pas ce qui peut ressembler à un opéra ici” lui répond la femme qu’il filme. C’est avec cette phrase que le cinéaste construit son court-métrage, pour trouver quelle serait la racine locale pour créer un opéra algérien. Il va alors partir à la recherche d’une rumeur, presque d'une légende, un groupe de femme berbères chantant des airs traditionnels dans des grottes. Il finit par les trouver et les derniers instants du film nous montre la puissance de leur chant, qui aidé par l’acoustique particulière de la grotte, bouleverse et fascine. On regrette l’effet un peu brouillon du court-métrage, filmé en caméra portée, qui part un peu dans tous les sens au lieu de s’intéresser à sa réflexion de base et de mettre en lumière cette quête ultime d’une identité dans l’art.


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Première réalisation de la cinéaste Julie Deliquet, Violetta nous propose un montage alterné entre les longs couloirs de l’Opéra Bastille qui se remplissent peu à peu formant une effervescence électrique avant une prestation de La Traviata et des couloirs d’un hôpital, où une jeune femme va recevoir sa première chimiothérapie. La préparation de la soprano Aleksandra Kurzak, qui va interpréter Violetta Valéry (un personnage atteint de tuberculose) répond à la préparation de la jeune femme dont la vie est rythmée par la maladie : quand l’une arpente les couloirs de Bastille, l’autre arpente l’hôpital, quand l’une se maquille, l’autre essaie une perruque. Et quand l’une est alitée et meurt dans un effet dramatique poignant, l’autre est également alitée, tuyau dans le bras, écoutant le fameux moment de l’opéra sur son téléphone, les larmes aux yeux. L’écho de ces deux mondes se rejoint alors, par la musique.


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Le dernier segment est donné au réalisateur iranien Jafar Panahi avec son court-métrage Hidden. Interdit de tourner, le réalisateur a prouvé de nombreuses fois que rien ne pourrait l’empêcher de réaliser un film. Il réussit une fois de plus et nous emmène avec lui, accompagné de sa fille et d’une amie dans un village du Kurdistan iranien pour y rencontrer une jeune cantatrice. L’amie en question monte une pièce de théâtre exclusivement féminine et a besoin d’une chanteuse de talent. Quand elle a entendu le chant de la villageoise, elle est tombée sous le charme de sa voix. Elle compte sur l’aide de Panahi pour l’aider à convaincre sa famille qui refuse que le monde extérieur, surtout les hommes, l’écoutent chanter. La négociation va vite tourner court, les interdits sont plus forts qu tout. Pourtant, derrière son voile blanc, elle se laisse convaincre de chanter pour les invités présents. L’occasion de découvrir sa voix brûlante d’émotion, derrière ce tissu blanc qui ressemble à s’y méprendre à un écran de cinéma. Jafar Panahi trouve ici encore un moyen de déjouer la censure, pour nous offrir un pan de son pays auquel nous n’aurions jamais eu droit sans sa caméra.


Laura Enjolvy