[CRITIQUE] : Da 5 Bloods
Réalisateur : Spike Lee
Acteurs : Delroy Lindo, Chadwick Boseman, Clarke Peters, Jonathan Majors, Isiah Whitlock, Jean Reno, Mélanie Thierry, Paul Walter Hauser,...
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Drame, Guerre.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h35min
Synopsis :
L'histoire de quatre vétérans afro-américains qui retournent au Vietnam pour y retrouver la dépouille de leur chef et un hypothétique trésor enfoui.
Critique :
2h30 expérimentales et personnelles, entre autoréflexion politique et idéologique, références cinéphiles marquées et un propos aussi puissant qu'autoriraire, #Da5Bloods, bourré de moments magnifiquement symboliques qui hantent l'esprit, est juste une put*** de claque monumentale. pic.twitter.com/46UV0sRFnY— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) June 12, 2020
Il n'y a jamais de hasard, le nouveau coup de poing sur pellicule du roi Spike Lee démarre avec Muhammad Ali et se termine avec le Dr Martin Luther King, Jr., deux légendes qui sont intimement liées au mouvement des droits civiques; mais surtout deux hommes qui ont connu une opposition acharnée à la guerre du Vietnam.
Pour Ali (ou l'on entend sa célèbre explication d'Ali ou il expliquait pourquoi il a refusé de s'enrôler), l'objection lui a coûté plusieurs années de carrière et son titre de poids lourd; pour le Dr King (ou l'on entend des bribes de son discours du 4 avril 1967, exactement un an avant sa mort, où il cite «Let America Be America Again» du poète Langston Hughes), ce combat fut sans aucun doute celui de trop qui a conduit à son assassinat.
Autant dire que ses deux présences (qu'il agrémente de documents d'archives tristement célèbres sur la violence en temps de guerre, la pauvreté noire, le meurtre aux mains des forces de l'ordre, augmentant de facto le caractère poignant et important de son propos) marquent le ton, et peut-être plus symboliquement encore que le final bouillant de BlackKklansman, surtout que le cinéaste s'amuse entre ses deux citations, à dézinguer proprement le film de guerre, tout en n'abordant pas totalement le genre pour autant...
Copyright David Lee/Netflix |
À l'instar d'un First Blood qui pointait du doigt la guerre sans la glorifier, et en gardant constamment un visage humain - donc empathique et furieusement réaliste -, Lee lui, fustige la manière dont l'Amérique s'est faussement offert une victoire risible à l'écran, en réécrivant l'histoire de manière très... blanche, effaçant le fait qu'un tiers des soldats étaient afro-américains.
C'est ce type de " blanchiment " des anciens combattants que Lee rejette avec sa distribution et son histoire, tout en offrant un hommage sincère aussi bien à Apocalypse Now, à Dead Presidents des frères Hugues et (surtout) Trésor de la Sierra Madre du légendaire John Huston, immense western servant de parabole bouillante sur le thème de la cupidité; comme celui-ci, l'intrigue implique une recherche d'or, bien que contrairement à Humphrey Bogart et à Walter Huston, les personnages principaux ici ont une bonne idée de l'endroit où se trouve le trésor - un joli paquet de lingots d'or.
L'or lui-même est tout aussi gros qu'un MacGuffin, sauf qu'ici, c'est aussi une sorte de deus ex machina, tirant du sang et des larmes une note de soulèvement plein d'espoir, qui lie l'histoire et la fiction à un résultat pieusement souhaité, presque trop beau pour être vrai - mais merveilleux à voir.
Dans des mains moins expertes et engagées, la prévisibilité volontaire du scénario pouvait résulter à une oeuvre qui manque cruellement de puissance et d'intérêt, mais Lee a toujours été un maître de l'utilisation des tropes cinématographiques qui ont toujours fonctionné comme un leurre fantastique : la main gauche vous attire avec le familier, avant que la main droite ne vous cloue sur place avec une folie et une puissance de frappe inattendue.
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Si en apparence, Da 5 Bloods est uniquement un film de guerre qui louche gentiment sur le film de casse en pleine jungle, en y regardant de plus près, il est impossible de ne pas admettre que la tapisserie tissée est plus complexe qu'elle n'en a l'air.
À la surface, on nous conte l'histoire de quatre vétérans du Vietnam, mené par le charismatique Paul (l'immense Delroy Lindo, dans son plus beau rôle à ce jour), qui retournent dans le pays qui les ont liés au combat, pour chercher la dépouille de leur chef d'équipe décédé, Stormin 'Norman (Chadwick Boseman, exceptionnel), mais aussi réclamer un trésor qu'ils ont enterré il y a plusieurs décennies.
Entre les lignes et surtout entre deux temporalités, Lee mitraille tout le monde, que ce soit les Français (qui se sont essayés à la guerre sur le continent asiatique, et qui ont gentiment été calmés comme le pays de l'oncle Sam), les Américains (leurs dérives sur place, comme les milliers d'enfants métisses nés de viols et d'unions non-consenties) ou même les fondements d'une guerre inutile, et l'implication des soldats afro-américains mourrant à la pelle pour un pays qui ne les aime pas; mais surtout qui les verra affronter et tuer des personnes opprimées tout comme eux, avec lesquelles ils n'avaient aucune querelle.
Dans un effort profondément didactique, Lee éduque son auditoire (tout comme le leader des Bloods, Norman, a éduqué lrs héros), sur l'histoire des Noirs, de Crispus Attucks en passant par Milton Olive III, qui a plongé sur une grenade pour sauver son peloton, et était le premier afro-américain à recevoir la médaille d'honneur au Vietnam; le tout dans un mélange de rage, de colère et de souffrance exacerbée par la guerre et la culpabilité qu'elle a imprégnée dans chacune des âmes qui y ont participés de force - et qui n'ont jamais vraiment quitté la jungle.
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Pas sans parti pris osés (le fait, qu'à la différence de The Irishman qui jouait la carte su rajeunissement CGI, les flashbacks sont joués par les mêmes comédiens qu'au présent), Da 5 Bloods n'en reste pas moins une immense claque magnifié par la photo endiablée de Newton Thomas Sigel (ou les couleurs chatoyantes s'unissent amoureusement avec des visuels de guerres associés aux souvenirs), un uppercut sur les fantômes et le spectre de la guerre elle-même, un regard foudroyant et intense sur les conséquences de la guerre contre les soldats noirs, qui commente avec acidité le passé pour mieux parler de l'actualité bouillante.
Sans trembler, Lee soulève la question de la véritable mesure du patriotisme et pourquoi il est beaucoup trop souvent enveloppé dans le jingoïsme plutôt que dans le sacrifice (ils avaient combattus, été sacrifiés et devraient en être fiers ?), et conçoit unr oeuvre passionnante et violente qui peut être strictement apprécié pour ce qu'elle est (et pour un public ne cherchant pas plus loin que ce qu'on lui montre), mais qui a tout du must-see dans ce qu'il montre de la perception de la noirceur de l'homme, que ce soit dans des situations héroïques ou tout simplement humaines.
Un pur champ de bataille physique et psychologique incarné à la perfection (l'alchimie/fraternité entre les comédiens est si palpable qu'ils ne donnent plus l'impression de jouer, mais de tout simplement agir dans la réalité), ou Da 5 Bloods et sa détermination écrasante, crée finalement un style qui lui est propre (et beau à en crever); une histoire profondément personnelle et bouleversante (les larmes ne sont jamais loin), couplée à une rhétorique à couper le souffle, qui est elle-même mêlée à une sentimentalité et une action grandioses, dont le fond n'aurait pas pu être plus pertinente qu'aujourd'hui.
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Deux heures et demie très expérimentale, entre autoréflexion, contextualisation politique et idéologique, références cinematographiques marquées et un montage aussi énergique qu'autoriraire, bourrées de moments magnifiquement symboliques qui hantent l'esprit, et qui font de cette oeuvre peu orthodoxe et volontairement chaotique - comme la guerre et la vie -, l'un des meilleurs films de Spike Lee.
Et vu sa put*** de filmographie, c'est dire sa qualité mais aussi et surtout, son importance.
Jonathan Chevrier