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[CRITIQUE/RESSORTIE] : L'Étrange Obsession


Réalisateur : Kon Ichikawa
Acteurs : Machiko Kyō, Tatsuya Nakadai, Ganjirô Nakamura,...
Distributeur : La Filmothèque Distribution (ex Ciné Sorbonne)
Budget : -
Genre : Drame, Érotique, Thriller.
Nationalité : Japonais.
Durée : 1h47min.

Date de sortie : 1er janvier 1994
Date de ressortie : 12 novembre 2025

Synopsis :
D’âge avancé, un professeur respectable ne parvient plus à satisfaire les désirs de sa jeune épouse, Ikuko. Il découvre que la jalousie agit sur lui comme un stimulant. Il décide alors de rapprocher sa femme d’un jeune médecin, Kimura, également fiancé à leur fille. Profitant du sommeil d’Ikuko, il met son plan à exécution...
D’après La Clef ou La Confession impudique de Jun'ichirō Tanizaki.






Passé une année 2024 où elle aura célébré Tsui Hark, Akira Kurosawa où même Takashi Miike, la firme Splendor Films était repartie cette année en s'attachant à une pièce majeure de la prolifique et diversifiée filmographie de Kon Ichikawa, sans l'ombre d'un doute, l'un des faiseurs de rêves japonais les plus mésestimés du cinéma japonais de la première moitié du XXe siècle : Le Pavillon d'or (mise en images de l'une des œuvres les plus acclamées de Yukio Mishima), une plongée subtile dans la noirceur, souvent opaque, de l'âme humaine façon récit à la fois onirique et fragmenté qui pose un regard sans concession sur les contradictions du Japon d'après-guerre au moins autant que sur sa jeunesse tourmentée.

Copyright La Filmothèque Distribution

Dix mois plus tard, La Filmothèque Distribution (ex Ciné Sorbonne) lui emboîte le pas avec la ressortie toute pimpante d'une autre oeuvre puissante du bonhomme, L'Étrange Obsession, adaptation du sulfureux roman La Clef ou la Confession impudique de Jun'ichirō Tanizaki (la première d'une longue série de transpositions, assez cocasse pour un texte pourtant réputé pour être intrinsèquement anti-cinématographique mais qui, au fond, ne pouvait décemment pas faire peur à un fier artisan du bungei-eiga), qu'Ichikawa nourrit d'une crudité sombre - voire presque comique - qui rapproche tendrement son cinéma, de l'ombre inquiétante de celui d'Alfred Hitchcock.

D'une base résolument complexe (le roman est construit autour de deux journaux intimes qui ne le sont pas réellement - puisque manipulés à de vraies fin personnelles par un mari et son épouse -, et qui narrent deux versions des mêmes événements), le cinéaste tire une captivante tragédie plus théâtrale que littéraire (qui brise subtilement le quatrième mur en faisant du spectateur, un témoin à part entière des événements) mais à l'érotisme gentiment pervers, vissée sur les vicissitudes d'un quatuor composé d'un respectable professeur ne parvenant plus à satisfaire les exigences sexuelles de sa femme plus jeune que lui, et qui tente de raviver la flamme de leurs ébats en rapprochant son épouse de son gendre médecin, avant qu'une crise cardiaque ne le terrasse brutalement.

Copyright La Filmothèque Distribution

D'une élégance rare, fruit d'une mise en scène raffinée qui vient sublimer une atmosphère anxiogène, cocktail maudit qui unit jusqu'à l'hérésie, aussi bien la jalousie et le voyeurisme que la mort (pas uniquement celle du professeur cinquantenaire, notamment dans un dernier tiers frappé sous le sceau de la vengeance), L'Étrange Obsession est une charnelle et vénéneuse invitation dans la maison des perversions, où la profonde indignation d'un homme pour sa propre vieillesse (et l'impuissance sexuelle qu'elle lui renvoie) comme l'apathie de son entourage à se laisser instrumentaliser par ses fantasmes, convoque un tsunami tragique face auquel, ironiquement, tout le monde restera impuissant.

Bref, une superbe (re)découverte.


Jonathan Chevrier