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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Nuages flottants


Réalisateur : Mikio Naruse
Acteurs : Hideko Takamine, Masayuki Mori, Mariko Okada, Isao Yamagata,...
Distributeur : Carlotta Films
Budget : -
Genre : Drame, Romance.
Nationalité : Japonais.
Durée : 2h04min.

Date de sortie : 25 janvier 1984
Date de ressortie : 15 octobre 2025

Synopsis :
Après la défaite japonaise, Yukiko, dactylographe sans le sou, retourne à Tokyo dans l’espoir de renouer avec Tomioka, un homme marié avec qui elle a vécu une intense histoire d’amour en Indochine durant la Seconde Guerre mondiale. Mais si leurs retrouvailles ravivent les braises de cette ancienne passion qui les hante, le sombre et indécis Tomioka ne semble pas partager les espoirs de Yukiko. Luttant pour survivre dans une société dévastée, la jeune femme emploiera toutes ses forces à le reconquérir...





Se plonger, instinctivement et sans réserve, dans le merveilleux cinéma de l'éclat et de l'éblouissement de Mikio Naruse, c'est découvrir avec gourmandise ses œuvres, accumulation indécente de toiles réalistes en mouvement continu qui surlignent la beauté nostalgique de l'éphémère, sondent avec acuité la banalité de la vie, auscultent sans artifice les relations humaines, imposent l'union des corps comme un ballet des sens complexe à la fois palpable et inaccessible pour ses personnages.

Un immense et romantique faiseur de rêve (l'un des plus talentueux et influents cinéastes de l'histoire du septième art, aucun débat là-dessus) mais aussi et surtout un grand amoureux des femmes, sans doute le seul cinéaste de son temps, avec le grand Max Ophüls, à avoir su capturer et refléter la psychologie féminine dans toute sa densité et sa complexité, dans tous ses tourments et dans toute sa/ses vérités.

Quel bonheur de pouvoir alors redécouvrir dans une salle obscure, grâce à une Carlotta Films toujours dans les bons coups, l'un de ses plus beaux efforts (di ce n'est le plus beau), Nuages flottants - adapté d'un roman de Fumiko Hayashi -, magnifique et douloureux mélodrame sur une passion fanée par le temps et l'égoïsme abject et la violence sourde de l'homme, vissé sur le malheur dans un Japon post-Seconde Guerre mondiale, d'une femme éperdument amoureuse d'un amant/mari infidèle d'une épouse malade (un mariage cela dit sans sentiments), souffrant de cette amour plus réciproque (chaque scène où ils se retrouvent, dévoile la lassitude comme la fatigue d'une union creuse même si pas dénuée d'espoir) et humiliée par une gentille masculine qui ne voit en elle un objet sexuel, totalement désintéressés qu'ils sont par sa peine, sa sensibilité comme sa profonde détresse intérieure.
Pire, confrontée à une extrême pauvreté dans une nation où elle n'a pas/plus sa place et où, précarité oblige, elle est vulnérable à tout esprit prédateur, elle devra aller jusqu'à se prostituer pour survivre, avant que son chagrin d'amour - et la maladie - ne l'emporte pour de bon...

Peinture aussi déchirante et cruelle que férocement distancée d'un Japon défait économiquement et émotionnellement paralysé, au sein de laquelle Natuse s'amuse à jouer avec les différentes temporalités pour mieux opposer les petites joies éphémères du passé à l'instabilité amère du présent, mais aussi et surtout pour mieux triturer la destinée déséquilibrée d'une âme abandonnée et vouée malgré elle à la tragédie (incarnée avec justesse par la merveilleuse Hideko Takamine) dont le courage est moins le fruit d'une résilience extraordinaire, que d'une vraie lucidité face à sa condition de femme dans une société férocement patriarcale.

Nuages flottants pour des âmes errentes à la passion fluctuante dans un monde dévasté dont la réalité fustige avec cynisme, tout souvenir nostalgique d'un rêve de bonheur perdu.
Une merveille, rien de moins.


Jonathan Chevrier