[CRITIQUE] : La Tour de Glace
Avec : Marion Cotillard, Clara Pacini, August Diehl, Gaspar Noé,...
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Drame, Fantastique.
Nationalité : Français, Allemand.
Durée : 1h58min
Synopsis :
Années 1970. Jeanne fugue de son foyer de haute montagne pour rejoindre la ville. Dans le studio où elle s'est réfugiée, la jeune fille tombe sous le charme de Cristina, l'énigmatique star du film La Reine des Neiges, son conte fétiche. Une troublante relation s'installe entre l'actrice et la jeune fille.
Aussi - malheureusement - rares soient-elles (quatre films en deux decennies, on a connu faiseur de rêves et de cauchemars plus prolifiques), les œuvres de la talentueuse cinéaste Lucile Hadzihalilovic incarne quelque chose de profondément singulier et passionnant, au sein d'un paysage cinématographique hexagonale où il est rare de composer avec de véritables expériences dont les intrigues sont sensiblement moins importantes que le mystère épais qui les embaument.
Des odyssées où les voyages comme les vertiges qu'ils imposent, sont bien plus essentiels que les issues qui les (dé)composent.
À tel point que chacun de ses efforts peuvent être beaucoup de énormément à la fois, et encore plus lorsqu'elle tire leur force d'un matériau d'origine tout aussi nébuleux, où qu'elle laisse plus où moins franchement parler, son penchant vers la fable Andersonienne à forte tendance macabres, toujours au plus près de jeunes héroïnes dont l'apprentissage de la vie comme du monde qui les entoure, est confronté de plein fouet à la dureté comme aux manipulations des figures adultes.
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En ce sens, La Tour de Glace, invitation murmurée du bout de la pellicule à la féerie vénéneuse, ne déroge absolument pas à cette vérité ni ne dénote en comparaison de son excellent Earwig - adapté du roman éponyme de Brian Catling -, songe hallucinatoire et sensoriel à la lisière du body horror, qui pouvait se lire comme une réflexion perturbante autant sur l'angoisse des relations humaines (notamment les relations/conflits de genre), que dans son évocation traumatisante du passé.
D'innocence enfantine sacrifiée sous le joug d'un pouvoir adulte étrange et implacable, il en est de nouveau question au détour de l'histoire, savamment alambiquée, d'une gamine, Jeanne, cherchant à voir plus loin que les murs au papier peint défraîchi de son foyer au cœur des Alpes, en se réfugiant sur le plateau de tournage d'une adaptation de La Reine des Neiges d'Hans Christian Andersen (tout est lié), portée par l'énigmatique Cristina Van Der Berg, qui ne tardera pas à exercer une domination quasi-démoniaque sur la jeune fille (entre fascination et exploitation, même si elle dévoile sa propre vulnérabilité dans ses rapports avec le tyran faussement doux qui sert de réalisateur au projet, Dino) bouffée par la solitude, qui se fera appeler Bianca tout en jouant les assistantes à la ressemblance troublante.
Pensant l'industrie du septième art comme un royaume magique à la noirceur séduisante et rempli de monstres comme de tentations (un art qui peut libérer mais aussi emprisonner et devenir aliénant pour celles et ceux qui le font vivre), dans un jeu de miroirs - où plutôt de film dans le film - où réalité et artifices ont des frontières infiniment poreuses, Lucile Hadzihalilovic tricote une captivante exploration de la notion d'identité aux confins de la féerie pure et de l'innocence, nouée autour de l'ambiguïté psychologique des histoires et autres mensonges/artifices qu'on laisse consciemment nous habiter (parce qu'ils nous stimulent, nous poussent à l'action et, parfois, assouvi notre désir de connexion), pour mieux nous transformer aussi bien dans notre propre regard que dans celui des autres - quitte à nous consumer.
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Récit elliptique et minimaliste invitant continuellement à l'immersion même s'il apparaît in fine un chouïa trop distancé émotionnellement pour son bien, visuellement splendide tant Hadzihalilovic pense chaque plan comme un tableau surréaliste (ou la beauté elle-même est faite pour blesser), tout autant que son rythme se fait furieusement lancinant (le montage tire en longueur et aurait mérité de se voie taillera un petit bout de gras); La Tour de Glace, vissé sur la belle partition d'un tandem Clara Pacinl/Marion Cotillard joliment magnétique, se fait une charmante fable initiatique et onirique qui, à défaut de totalement emballer son auditoire, lui donnera l'envie - comme toujours avec la cinéaste - de s'y replonger pour explorer les nombreux mystères et ambiguïtés qui restent en apparence, sans réponse.
Jonathan Chevrier