[CRITIQUE] : Harvest
Réalisatrice : Athina Rachel Tsangari
Acteurs : Caleb Landry Jones, Harry Melling, Rosy McEwen, Arinzé Kene,...
Budget : -
Distributeur : Shellac
Genre : Drame, Science-fiction, Western.
Nationalité : Britannique, Américain, Allemand, Français, Grec.
Durée : 2h11min
Synopsis :
Walter Thirsk, citadin devenu fermier, Charles Kent, seigneur un peu perdu, et les paysans de son domaine, coulent tous une existence paisible aux confins d’un Eden luxuriant lorsque se profile la menace du monde extérieur. En sept jours hallucinés, les habitants de ce village sans nom vont assister à sa disparition.
Dans une plaine écossaise entourée de montagnes, la forêt, des rochers et la mer, une communauté paysanne vit sous l'autorité d'un maître assez nigaud et plutôt inoffensif. Ils vivent de ce qu'ils trouvent dans la nature et de leurs récoltes, tout en se donnant à du travail manuel. Comme la confection de paniers. Cette communauté est autant émerveillée par ce paysage qu'elle en semble inféodée. Bien plus qu'à leur maître Kent. Ils ont une connaissance accrue de ce que cette terre peut apporter (comme les différences entre les herbes). Ils défendent leur territoire avec fermeté et même violence (le sort réservé aux trois étrangers qui pénètrent au début du film). Ils se nourrissent exclusivement de leurs récoltes. Et ils ont également un rite signant leur appartenance à cette terre (en se cognant la tête contre un rocher spécifique).
Puis il y a Walker (Caleb Landry Jones), ancien domestique du maître Kent ayant choisi lui-même de devenir paysan et d'intégrer la communauté. Le récit prend son point de vue, avec quelques pensées en voix-off. Walker ne semble pourtant ne pas appartenir à ce collectif, ni à cette terre, quand bien même il l'y approuve un grand attachement. Il symbolise en quelque sorte la direction que prend le film. A de nombreuses reprises son corps entre dans un rapport sensuel avec la nature. Mais il est toujours en décalage, détaché des émotions fortes que procure cette terre à la communauté. Comme s'il ne pourra jamais comprendre ou faire la pleine expérience d'une identité.
Et pourtant, ce décalage est le signe de la destruction progressive qui guette ce paysage, si précieux pour la communauté. La vie (et survie) des paysans dépend de ce territoire. Une tradition mise à défaut lorsque le maître Jordan, cousin par alliance du maître Kent, vient réclamer les terres. La bascule a lieu ici, quand le capitalisme – s'installant momentanément dans le manoir – s'octroie de force la possession du paysage sans jamais y avoir une attache organique. Il est dommage que cette violence, d'arracher une vie à des paysans, ne se traduise que par parcimonie. Il y a toute une séquence cruelle sur l'enlèvement de certains paysans. Mais il y a malheureusement beaucoup de bavardages sur l'avenir réservé au territoire, comme si les mots suffisaient à instaurer l'angoisse.
La dépossession se traduit également par l'arrivée de la cartographie. Sa recherche de beauté dans la représentation éloigne les regards du paysage (ce que fait également le film en lui-même, mais on y reviendra), mais elle est aussi un outil d'emprise, de conquête, d'asservissement et d'avidité. Il s'agit de déposséder la terre de sa sensualité pour la transformer en valeur d'exploitation. Comme si tout le paysage pouvait se résumer en une image, tel Walter parlant de "aplatissement du territoire". Et pourtant, le film s'y attèle aussi par lui-même à plusieurs reprises. Dans sa stylisation très réglée, presque folklorique, satisfaite de son simple émerveillement, érigeant l'expérience sensationnaliste du paysage comme valeur absolue par-dessus le sensible.
Cela n'empêche pas d'y trouver à quelques moments une certaine volonté de se laisser porter par un esprit bucolique ou de prendre le temps de regarder le bestiaire environnant (les plans sur les animaux et insectes, la place de la végétation, une certaine idée de la méditation dans des plans qui s'étirent, etc). Il y a, entre autres, une très belle séquence de balade pour faire découvrir les lieux au cartographe, et une autre où des femmes travaillent en battant une herbe spécifique pour en faire ressortir des grains. Sauf que le film en revient toujours à un artifice pseudo onirique et mystique, comme si la poésie de l'endroit se retrouvait coincée dans la conscience que tout est mis en scène, constamment.
Comme si le paysage dans lequel est tourné le film ne pouvait s'exprimer par lui-même, qu'il faut systématiquement l'empreinte d'un symbolisme. Si bien que le film en devient quasiment un exercice de style, où l'étrangeté, la performance, le décalage passent avant tout le reste – avant l'expérience de survie et de traditions qui définissent cette communauté. Evidemment, cette direction empêche tout développement de personnages. Même si ce n'est pas un mal en soi. Mais ça n'aide jamais le film à se défaire de cet aspect exercice de style où tout n'est que performance, sans être trop incarné. Jusqu'à se demander ce que la mise en scène de Athina Rachel Tsangari cherche concrètement dans ce territoire.
Il y a une dissonance flagrante entre une part de "fiction mystique" et de l'autre une inspiration documentaire. Dans le premier, il y a ce grotesque lugubre qui puise dans les contes et légendes ancestraux, très intéressant car il fonctionne comme si tout ne serait qu'une hallucination et/ou un cauchemar. Dans le second, le côté sauvage et bucolique du territoire est une contemplation qui tend à faire paraître une tristesse et une désolation quant à la disparition annoncée. Même avec le corps de Caleb Landry Jones, qui dans son décalage montre que les âmes seraient condamnées à mourir avec leurs traditions. Cette dissonance ne peut que renforcer une impression de jeu de rôles, avec un film misant principalement sur l'allégorie plutôt que sur une expérience sensible.
Teddy Devisme
Acteurs : Caleb Landry Jones, Harry Melling, Rosy McEwen, Arinzé Kene,...
Budget : -
Distributeur : Shellac
Genre : Drame, Science-fiction, Western.
Nationalité : Britannique, Américain, Allemand, Français, Grec.
Durée : 2h11min
Synopsis :
Walter Thirsk, citadin devenu fermier, Charles Kent, seigneur un peu perdu, et les paysans de son domaine, coulent tous une existence paisible aux confins d’un Eden luxuriant lorsque se profile la menace du monde extérieur. En sept jours hallucinés, les habitants de ce village sans nom vont assister à sa disparition.
Dans une plaine écossaise entourée de montagnes, la forêt, des rochers et la mer, une communauté paysanne vit sous l'autorité d'un maître assez nigaud et plutôt inoffensif. Ils vivent de ce qu'ils trouvent dans la nature et de leurs récoltes, tout en se donnant à du travail manuel. Comme la confection de paniers. Cette communauté est autant émerveillée par ce paysage qu'elle en semble inféodée. Bien plus qu'à leur maître Kent. Ils ont une connaissance accrue de ce que cette terre peut apporter (comme les différences entre les herbes). Ils défendent leur territoire avec fermeté et même violence (le sort réservé aux trois étrangers qui pénètrent au début du film). Ils se nourrissent exclusivement de leurs récoltes. Et ils ont également un rite signant leur appartenance à cette terre (en se cognant la tête contre un rocher spécifique).
Puis il y a Walker (Caleb Landry Jones), ancien domestique du maître Kent ayant choisi lui-même de devenir paysan et d'intégrer la communauté. Le récit prend son point de vue, avec quelques pensées en voix-off. Walker ne semble pourtant ne pas appartenir à ce collectif, ni à cette terre, quand bien même il l'y approuve un grand attachement. Il symbolise en quelque sorte la direction que prend le film. A de nombreuses reprises son corps entre dans un rapport sensuel avec la nature. Mais il est toujours en décalage, détaché des émotions fortes que procure cette terre à la communauté. Comme s'il ne pourra jamais comprendre ou faire la pleine expérience d'une identité.
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Copyright Shellac Films |
Et pourtant, ce décalage est le signe de la destruction progressive qui guette ce paysage, si précieux pour la communauté. La vie (et survie) des paysans dépend de ce territoire. Une tradition mise à défaut lorsque le maître Jordan, cousin par alliance du maître Kent, vient réclamer les terres. La bascule a lieu ici, quand le capitalisme – s'installant momentanément dans le manoir – s'octroie de force la possession du paysage sans jamais y avoir une attache organique. Il est dommage que cette violence, d'arracher une vie à des paysans, ne se traduise que par parcimonie. Il y a toute une séquence cruelle sur l'enlèvement de certains paysans. Mais il y a malheureusement beaucoup de bavardages sur l'avenir réservé au territoire, comme si les mots suffisaient à instaurer l'angoisse.
La dépossession se traduit également par l'arrivée de la cartographie. Sa recherche de beauté dans la représentation éloigne les regards du paysage (ce que fait également le film en lui-même, mais on y reviendra), mais elle est aussi un outil d'emprise, de conquête, d'asservissement et d'avidité. Il s'agit de déposséder la terre de sa sensualité pour la transformer en valeur d'exploitation. Comme si tout le paysage pouvait se résumer en une image, tel Walter parlant de "aplatissement du territoire". Et pourtant, le film s'y attèle aussi par lui-même à plusieurs reprises. Dans sa stylisation très réglée, presque folklorique, satisfaite de son simple émerveillement, érigeant l'expérience sensationnaliste du paysage comme valeur absolue par-dessus le sensible.
Cela n'empêche pas d'y trouver à quelques moments une certaine volonté de se laisser porter par un esprit bucolique ou de prendre le temps de regarder le bestiaire environnant (les plans sur les animaux et insectes, la place de la végétation, une certaine idée de la méditation dans des plans qui s'étirent, etc). Il y a, entre autres, une très belle séquence de balade pour faire découvrir les lieux au cartographe, et une autre où des femmes travaillent en battant une herbe spécifique pour en faire ressortir des grains. Sauf que le film en revient toujours à un artifice pseudo onirique et mystique, comme si la poésie de l'endroit se retrouvait coincée dans la conscience que tout est mis en scène, constamment.
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Copyright Shellac Films |
Comme si le paysage dans lequel est tourné le film ne pouvait s'exprimer par lui-même, qu'il faut systématiquement l'empreinte d'un symbolisme. Si bien que le film en devient quasiment un exercice de style, où l'étrangeté, la performance, le décalage passent avant tout le reste – avant l'expérience de survie et de traditions qui définissent cette communauté. Evidemment, cette direction empêche tout développement de personnages. Même si ce n'est pas un mal en soi. Mais ça n'aide jamais le film à se défaire de cet aspect exercice de style où tout n'est que performance, sans être trop incarné. Jusqu'à se demander ce que la mise en scène de Athina Rachel Tsangari cherche concrètement dans ce territoire.
Il y a une dissonance flagrante entre une part de "fiction mystique" et de l'autre une inspiration documentaire. Dans le premier, il y a ce grotesque lugubre qui puise dans les contes et légendes ancestraux, très intéressant car il fonctionne comme si tout ne serait qu'une hallucination et/ou un cauchemar. Dans le second, le côté sauvage et bucolique du territoire est une contemplation qui tend à faire paraître une tristesse et une désolation quant à la disparition annoncée. Même avec le corps de Caleb Landry Jones, qui dans son décalage montre que les âmes seraient condamnées à mourir avec leurs traditions. Cette dissonance ne peut que renforcer une impression de jeu de rôles, avec un film misant principalement sur l'allégorie plutôt que sur une expérience sensible.
Teddy Devisme
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