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[ENTRETIEN] : Entretien avec Aude-Léa Rapin (Planète B)

© Crédit photo : Philippe Greiller / Sud-ouest // Copyright Les Films du bal/Wrong men


C’est une proposition de science-fiction politiquement chargée qui arrive sur les écrans de cinéma français le 25 décembre avec Planète B. Pour son deuxième long-métrage, Aude-Léa Rapin use de la métaphore contemporaine avec une pertinence qui méritait clairement une conversation.


Tout ceux qui m’ont marqué sont toujours venus du même endroit, les États-Unis, à quelques exceptions près des films asiatiques ou d’Amérique Latine comme Bacurau récemment, mais je ne pouvais citer que très peu de choses européennes et françaises. J’avais très envie d’essayer mais je pensais que ce n’était pas possible ici, pour des questions de budget principalement. - Aude-Léa Rapin 

D’où est venue l’envie de tourner Planète B ?

Aude-Léa Rapin : Je crois que c’est une envie de croiser plusieurs choses. La première, c’est que j’ai toujours été une grande fan de science-fiction, de littérature autant que de cinéma, et de ne pas avoir ce partage en Europe de faire des films du genre. Tout ceux qui m’ont marqué sont toujours venus du même endroit, les États-Unis, à quelques exceptions près des films asiatiques ou d’Amérique Latine comme Bacurau récemment, mais je ne pouvais citer que très peu de choses européennes et françaises. J’avais très envie d’essayer mais je pensais que ce n’était pas possible ici, pour des questions de budget principalement. Comment réunir de l’argent pour faire des films plus chers que les autres ? Je n’osais pas aller jusque-là. Puis, ma rencontre avec ma productrice, Eve Robin, qui m’a dit que c’était possible. « Qu’est-ce que ça coûte d’essayer ? » (rires) La deuxième chose s’est peut-être faite pendant ou après le Covid. Le fait d’avoir un enfant durant cette période de l’histoire me faisait penser que c’était difficile de faire autre chose que de la science-fiction. Je n’arrivais plus à trouver quelque chose qui fasse sens pour parler du réel aujourd’hui et faire un film naturaliste. Tout d’un coup, ce pas de côté que me permet la science-fiction m’a paru très évident pour projeter tout un tas de peurs liées à l’époque, tout un tas de choses que j’avais envie d’essayer aussi. Le fait de venir d’un cinéma très pauvre et sans argent ne m’avait pas permis d’expérimenter le son, d’explorer les possibilités des effets spéciaux, de la musique, des effets plateaux, des décors, … J’avais très envie d’explorer, n’ayant pas fait d’école de cinéma. Il y avait aussi une histoire qui est née très fortement de la rencontre avec un décor, celui principal du film. Une fois que je l’ai rencontré, j’étais sûre de me lancer.

À ce sujet, comment interroger un film dans sa mise en scène et son décor avec un futur assez proche tout en conservant un degré de réalisme ? Je ne sais pas si ma question est très française…

Si, si, elle est très française et très juste par ailleurs ! En général, dans la vie, le plus difficile est de prévoir l’avenir. Mais quelque chose qui m’a paru un peu évident quand même étaient les problèmes qui se posent aujourd’hui. Si on ne sait pas résoudre toutes ces crises aujourd’hui, on est à peu près sûrs de les retrouver demain en pire. C’était là la trajectoire. On a juste pris aujourd’hui et maintenant en tirant un peu plus sur ce que pourrait être demain : l’état de la pollution, de la surveillance, le taux de violence dans la société, le face à face entre police et activistes, l’utilisation de la technologie à des fins répressives de contrôle, … C’est ça qui a créé la trame du film et qu’on a ensuite travaillé avec toute l’équipe de la direction artistique, dans le décor surtout et les effets spéciaux qui les ont renforcés. C’était toute la réflexion de trouver du réalisme dans ce monde inventé.

Votre premier film, Les héros ne meurent jamais, avait déjà une porosité entre le documentaire et le fantastique. « Planète B » conserve aussi cette porosité de genres. Quel est pour vous le pouvoir de la fiction pour parler du réel ?

C’est ce que j’essayais de dire tout à l’heure : plus j’avance et plus j’ai envie de m’éloigner de la réalité pour mieux en parler. C’est très dur aujourd’hui de parler du monde de manière frontale. Tout va très vite, les crises s’enchaînent, c’est complexe pour chacun d’entre nous de comprendre quelque chose. J’avais très envie de me protéger et de me réfugier dans la fiction, dans des histoires qui me décalent, me sortent de cette réalité. Finalement, j’en suis revenue très forte car c’est un film avec une proposition politique, comme c’était déjà le cas dans mon premier long, qui parle quand même du monde dans lequel on est mais par un biais détourné. Pour répondre à votre question, je crois très fort au pouvoir de la fiction sinon je ne ferais pas de film. Je pense qu’il faut avoir profondément envie de croire au magique, au fantastique, et que ce sont presque des émotions de l’enfance que j’ai la chance de maîtriser un peu mieux en faisant du cinéma. La fiction s’accompagne de la création, de créer du monde, des décors, des objets, des costumes, du son, de la musique et des images. Je sais qu’on dit souvent qu’il n’y a plus rien à inventer dans le cinéma et que tout a été fait mais on ne s’en lasse pas quand même.

Copyright Les Films du bal/Wrong men

L’un des points qui m’ont beaucoup touché est cette question de comment recréer un lien entre individus dans un état policier qui amène évidemment une certaine paranoïa. Comment appréhendez-vous ce propre sujet dans ce rapport dystopique fortement lié à l’actualité ? J’essaie de ne pas poser de question piège…

Non mais cette question est juste. Il y avait quand même l’envie dans ce film de dépeindre une démocratie qui glisse, mais pas totalement, vers du totalitarisme. Cela va plus pour moi dans les années 70 où on pouvait dépeindre un futur post apocalyptique. Aujourd’hui, on voit bien que ce n’est pas aussi simple, qu’une démocratie peut juste glisser vers une démocratie répressive. Ça reste une démocratie : on peut encore voter, on a des libertés publiques qui se restreignent, ce dont on ne se rend même pas compte parce que ça se joue sur le temps. Il y a quelque chose de cet ordre-là. Il fallait trouver un moyen dans Planète B de montrer ce glissement, que le monde puisse avoir l’air de celui dans lequel on va vivre demain. J’ai l’impression que Vladimir Poutine et la façon de gérer sa société est fortement inspirante sur ce film. Quand on crée un système où on décide qu’il y a des ennemis intérieurs au sein d’une population, on est à peu près sûrs de diviser pour mieux régner. En France, c’est globalement les migrants et les militants écologistes. On parle d’ultra gauche, d’écoterroristes pour parler de gens qui s’accrochent dans des arbres pour éviter la construction d’une autoroute. On est au même niveau que Daech. De l’autre, il y a l’encouragement d’une certaine frange de droite dure à la délation, avec ses systèmes qui nous viennent des États-Unis des voisins vigilants. C’est une façon de dire qu’on protège tout en observant les gens. Ça, c’est en Europe, ça a contaminé la politique de tous les pays européens. On a des extrêmes droites très fortes qui parlent aux gens. Je ne sais pas comment ni pourquoi même si des gens trouvent ça vraiment joyeux d’imaginer une société comme celle-ci. C’est tout ça qui avait besoin d’être raconté dans Planète B et c’est pour ça qu’il y avait ce truc dès le départ d’avoir des héroïnes, qu’une soit une militante écologiste -donc quelqu’un qui n’est pas aimé globalement- et de l’autre une migrante sans papier qui se bat pour avoir le droit d’asile en France. Je voulais faire de ces personnes non pas des victimes mais des héroïnes de film. Je trouvais ça assez génial de proposer comme personnage principal une femme arabe qui va, non pas être dans une galère, mais juste nous sauver, nous européens, et surtout se battre et devenir une héroïne de film d’action.

C’est vrai que ça devient effrayant lorsqu’on entend des gens parler contre « les antifa » comme si le fascisme et l’extrême droite n’étaient pas un problème

Oui, c’est…

Ça peut rester en aparté si jamais.

Non, c’est super important parce que c’est un peu le risque d’un film comme Planète B, ne pas mettre tout le monde d’accord, mais ce n’est pas grave quelque part. Il faut continuer de se battre au cinéma, de proposer des imaginaires qui luttent contre cette extrémisation de la société. C’est un endroit qu’il faut occuper, on doit proposer des récits. C’est un film avec au cœur la solidarité, le vivre ensemble, l’envie de réduire les frontières qui existent entre les uns et les autres. Je serai toujours pour ce genre de films, qu’ils soient bien faits ou non. C’est très important qu’on aille vers là. Après, c’est sûr que je n’ai jamais pu comprendre sur les militants écologistes qu’on ne puisse pas être d’accord avec ces gens qui veulent juste protéger les biens communs, comme l’eau et l’air, comment on peut se moquer de ces gens, comment on peut les ostraciser, … C’est tellement fou de faire ça. C’est comme si on se faisait hara-kiri. Je n’ai pas la réponse à comment c’est né mais ils attirent visiblement beaucoup de haine d’une partie de la société.

Quand on voit les militantes qui avaient jeté de la soupe sur le tableau de Van Gogh se prendre deux ans de prison ferme et que des agresseurs sexuels s’en tirent impunément, cela est effectivement enrageant.

Merci de dire ça ! C’est hyper important de le dire car c’est la réalité. On va répondre qu’il y a des preuves dans un cas…

Copyright Les Films du bal/Wrong men

Dans une interview, vous parliez de votre volonté d’écrire un récit de femmes qui sauvent le monde car ce sont des récits qui vous manquent. Y a-t-il moyen de creuser ce point ?

Je pense qu’au même titre qu’on parlait de la science-fiction qui n’est pas dans la tradition européenne, il y a un truc qui n’est pas dans la tradition de la science-fiction, qu’importe ses origines, c’est d’avoir un personnage principal qui soit une femme. Je me dis cinéphile mais je ne connais pas tout donc le seul exemple que j’ai c’est Alien. En dehors de ça, je n’ai pas vraiment d’exemple de science-fiction vraiment portée profondément par un personnage féminin. Il doit bien y en avoir mais ce n’est pas monnaie courante. Je fais partie de la génération qui a la chance de pouvoir parler de ce qu’elle est. Pendant longtemps, les femmes ne pouvaient parler que comme elles pouvaient, du moins essayer de parler. Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir faire un film comme celui-ci et que des financeurs en France trouvent ça OK que les personnages principaux soient des femmes et qu’elles puissent même être d’origine arabe. Merci MeToo pour ça, merci l’avancée que ça a permis. On regrettait tout à l’heure l’extrémisation de la société à l’extrême droite mais il y a aussi, de l’autre côté du spectre, des progrès, et j’en suis le pur produit. Donc oui, c’est très important pour moi que le film soit porté par des femmes, avoir un casting de diversité, qu’on voie des couleurs de peaux différentes, qu’on entende des langues différentes dans ce film. Il fallait que ce film ressemble au monde dans lequel je vis. Le monde est de toutes façons diversifié et il est grand temps qu’on commence à le présenter comme tel dans absolument tous les films qu’on peut faire.

 

Propos recueillis par Liam Debruel.

Merci à l’équipe du FIFF pour cet entretien.