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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Rétrospective Jacques Rozier



Rétrospective Jacques Rozier : Adieu Philippine (1962), Du côté d'Orouët (1973), Les Naufragés de l'île de la Tortue (1976) et Maine Océan (1986).

Distribution : Potemkine Films.



Qu'on se le dise, à une époque où la cinéphilie se statue, selon une poignée de spectateurs particulièrement bruyants, selon une liste de films vulgairement établie qu'il faut avoir vu (pas compris, vu, n'en demandez pas trop), il n'y a décemment aucun mal à avouer ne pas connaître un/une cinéaste et sa filmographie.

Après tout, le septième art n'est-il pas un champ constant de découverte, un univers dense et passionnant qui ne demande qu'à être arpenté avec enthousiasme et curiosité, quand bien même certains ne se borne qu'à ratisser la même zone usée et infertile.
Pour l'auteur de ces mots, quand bien même il est l'une des figures phares et essentielles de la Nouvelle vague, Jacques Rozier n'était encore qu'un nom lu à l'arrachée au travers de quelques textes, où quelques bouts de cinéma aperçus à l'arrachée, lui qui n'a pas forcément eu non plus, une carrière à la hauteur de son talent, comme boudé face à des figures plus populaires parce que trop farouchement accroché à ses principes, à ses intentions politiques, à son indépendance.

Adieu Philippine © mk2 films

La découverte permise par Potemkine de quatre de ces longs-métrages, Adieu Philippine (1962), Du côté d'Orouët (1973), Les Naufragés de l'île de la Tortue (1976) et Maine Océan (1986), est de ces cadeaux qui ne se refusent pas, qui prolonge fugacement la douceur de l'été face à la dureté d'une rentrée particulièrement morose.
Et il est vite évident que ce fut une hérésie d'avoir autant attendu pour se plonger sans réserve dans son oeuvre tant le cinéaste, définitivement moins prolifique et plus singulier que ses camarades de l'époque, est peut-être celui dont le cinéma synthétise le plus justement et simplement, ce que prônait ce mouvement majeur : un cinéma engagé et politique, bricolé et épuré, spontané et curieux, épris de doute, de désir d'évasion, de liberté et d'amour, produit au forceps et sans la moindre concession.

Un cinéma de l'instant et peu traditionnel qui vit, vibre et rayonne, qui abroge la frontière entre fiction et documentaire, qui n'a pas peur d'improvisé parce que trop conscient que l'existence humaine elle-même n'est faite que d'improvisations, d'imprévus et d'opportunités, parce que trop conscient que tout est possible, pour le meilleur comme pour le pire.
Un cinéma mélancolique, fragile et plein de grâce, qui donne de valeur au temps, aux personnes, à la fougue de la jeunesse et à la vérité des images.
Adieu Philippine en est, assurément, le plus bel étendard, chronique des dernières heures de liberté d'un jeune machiniste à la télévision, appelé à faire son service militaire à Alger (en pleine guerre d'Algérie, sujet tabou à l'époque - et ce n'est pas Godard qui le contredira), et qui s'en va arpenter les terres corses avec deux jeunes femmes rencontrées quelques temps plus tôt.

D'une beauté brute, embaumé dans un noir et blanc d'une élégance folle, tout sonne vrai dans cette manière qu'on les personnages de bouffer la vie à pleine dents (campés par des comédiennes et des comédiens non-professionnels qui, eux-mêmes, profitent pleinement de cette opportunité d'une vie), de profiter de chaque instant parce qu'il n'existera plus demain (et c'est là où le titre trouve sa pleine et tragique signification), dans une errance constante à la fois légère et angoissée qui n'est pas sans rappeler à la fois Les Hantés de Godard, mais surtout Cléo de 5 à 7 de Varda, où Rozier laisse aller librement ses figures animés, sans contrainte cinématographique, pour nous les rendre encore plus vraies, encore plus empathiques.

Que le cinéma de Rozier s'attache autant à l'évasion et à la douceur des vacances n'est pas qu'un simple détail : pour lui, c'est en détachant les hommes et les femmes du carcan oppressant du quotidien, en les laissant vivre des instants privilégiés comme des bouffées d'air frais naturelles hors des contraintes urgentes d'une routine où l'on n'est finalement qu'une fonction interchangeable d'un tout de plus en plus anxiogène (et encore plus aujourd'hui), que nous sommes réellement nous-mêmes et, de facto, les plus fascinants à capturer, encore plus même dans nos rapports à lautre.
Une vérité qui fait, justement, tout le sel du cinéma de Guillaume Brac, son plus bel héritier direct.

Maine Océan © mk2 films

Du côté d'Orouët avec un Bernard Ménez tout jeunot (et produit comme un téléfilm,  un comble tant il est, sans doute, son plus beau et réussi), vissé sur l'échappée belle de trois jeunes femmes s'échappant du brouhaha parisien pour (re)vivre et se nourrir des joies simples sur la côte vendéenne le temps d'un été; le génial Les Naufragés de l'île de la Tortue avec un génial tandem Pierre Richard/feu Jacques Villeret qui voit le premier incarné un employé d'une agence de voyage qui échafaude un voyage touristique cyniquo-délirant (« Robinson, démerde toi – 3 000 F, rien compris », ou chaque client pourra revivre l'expérience de Robinson Crusoé, sur une île déserte dans les Antilles), avant que tout ne parte en sucette dans son exécution; où même Maine Océan, qui conte l'itinéraire de deux contrôleurs SNCF (Ménez et Luis Rego) qui revivent un temps sur l'île d'Yeu avant d'être rattrapé par la dure réalité, sont fait de cette même intention cinématographique et artistique, de cette même intention de célébrer la France périphérique, les messieurs et mesdames tout le monde.

Tous fait de cette même fausse nonchalance drôle et mélancolique, de ses personnages toujours en mouvement qui avancent selon leur gré, au coeur d'étés doux et ensoleillés avant de se heurter d'une manière trop prévisible, à une vérité trop connue de tous : le bonheur, puissant hallucinogène aux relans doux-amers, ne dure pas, alors profitons-en.
Un peu comme cette exceptionnelle rétrospective, dont tout cinéphile se doit de profiter avant qu'il ne soit trop tard.


Jonathan Chevrier




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