[CRITIQUE] : Anora
Réalisateur : Sean Baker
Acteurs : Mikey Madison, Mark Eydelshteyn, Yuriy Borisov, Karren Karagulian,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Comédie Dramatique.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h19min.
Synopsis :
Anora, jeune strip-teaseuse de Brooklyn, se transforme en Cendrillon des temps modernes lorsqu’elle rencontre le fils d’un oligarque russe. Sans réfléchir, elle épouse avec enthousiasme son prince charmant ; mais lorsque la nouvelle parvient en Russie, le conte de fées est vite menacé : les parents du jeune homme partent pour New York avec la ferme intention de faire annuler le mariage...
Critique :
Qui est un tant soit peu amateur du cinéma de Sean Baker, ne pouvait qu'attendre avec une certaine impatience la vision de son dernier effort en date, Anora, au-delà même de son adoubement lors de la dernière Croisette cannoise.
Portraitiste affûté, habitué à s'attacher à ceux dont on refuse les vertus cotonneuses de l'un American Dream qui subsiste à leur dépens, le papa de Tangerine éprouve certes de l'empathie mais jamais vraiment de compassion pour ces personnages, êtres humains résolument solaires dont la lumière est attaquée par des environnements sordides, l'envers du décors, les coulisses sinistres mais bien réelles du symbolisme triomphant de l'American way of life, que le pays de l'Oncle Sam peine de plus en plus à masquer aux yeux du monde.
Des personnages désespérément humains, qui s'accroche à leurs existences au moins autant qu'à leurs chimères, qu'il ne juge ni ne victimise jamais dans une sorte de posture misanthrope et pompeuse proprement abjectes (pas besoin d'exemple, ce type de cinéastes a déjà chopé la Palme d'or dans un passé proche).
Sean Baker n'est pas là pour instruire son auditoire, pour pointer du doigt les plus démunis où même pour illustrer un quelconque discours moralisateur faisant frétiller, valider la moindre étude socio-culturelle financée à coups de millions : il fait du cinéma merveilleusement drôle, tragique et humaniste, et il le fait merveilleusement bien.
Il n'y a donc rien d'étonnant à l'idée de voir sa nouvelle comédie mettre en vedette une jeune travailleuse du sexe qui bosse dans un club de strip-tease new-yorkais bardé de clients crasseux, le rejeton écervelé d'un oligarque russe ou encore ses violents et maladroits tueurs à gages, dans ce qui peut se voir comme une relecture irrévérencieuse de Pretty Woman (toujours, honteusement et incroyablement, considéré par la majorité des spectateurs comme un sommet de romantisme) sauce La Traviata, où les différences de classe ainsi que l’insensibilité profonde des plus aisés, vont prendre une place prépondérante au fil du récit : c'est du pur Bakercore, anti-Hollywoodien as hell, aux personnages qui se trouvant aux antipodes de toute moralité traditionnelle - sans pour autant en être dénué.
Sans trop tergiverser, Anora, vingt-trois ans au compteur, trouve dans l'infantilité et l'égocentrisme exacerbé de Yurij (à peine plus jeune qu'elle, vingt ans), gosse de riche capricieux qui est né avec une cuillère d'argent dans la bouche et ne s'est jamais battu pour obtenir quoique ce soit dans sa vie, qu'elle épouse après une semaine de débauche hystérique et sexuelle (basé sur le même deal " d'exclusivité ", en moins hypocrite, entre Edward Lewis et Vivian Ward dans le film de Garry Marshall), l'opportunité de s'extirper de son existence précaire et de goûter aux joies de la vie qu'elle pense mériter.
C'est une jeune femme effrontée, autonome et déterminée, le symbole d'une génération qui a prise pour acquis l'idée de se vendre pour survivre, que son corps est le seul instrument d'échange, de pouvoir dont elle dispose dans une société contemporaine fracturée et impitoyable.
Il y a une sincérité évidente, une puissance émotionnelle et physique brute dans sa manière d'entrer avec innocence dans un univers pavé d'or et d'argent qu'elle croit fermement plus bon que le sien qui en est dénué, avant d'être durement frappée par sa dure vérité, tant la richesse ne cache à peine ses élans criminels, violents et insensibles.
Baker n'en fait jamais une idiote triste et inconsciente, une Cendrillon des temps modernes qui ne sait pas comment le monde fonctionne, mais bien une anti-héroïne de conte de fées qui s'accroche avec une foi démesurée (tout en cris, en morsures, en coups et en jouissances) à l'espoir d'un avenir meilleur, qui avance même lorsqu'elle se sait brisée, physiquement et intérieurement.
Et c'est là où toute la gymnastique cinématographique de Baker fait solidement son office : jamais Anora n'apparaît autrement que joyeux, puisqu'il ne fait qu'un avec la vitalité et la force de conviction de sa protagoniste principale, dans cette relecture transgressive, sensuelle et politiquement incorrecte du mythe de Cendrillon, le démontage en règle du fantasme de l'introduction dans un monde de luxe et de paillettes qui n'a rien de réconfortant - ni le moindre arc rédempteur à l'arrivée.
Comédie dramatique romantique et burlesque qui flirte amoureusement avec le thriller sans jamais connaître de rupture de ton abrupte, le film n'a pas vocation d'offrir une auscultation pointue des arcanes putrides de l'exploitation sexuelle, une réflexion sociale et politique de l'Amérique d'aujourd'hui (quand bien même il croque, une nouvelle fois, une déconstruction puissante de la fausse promesse de l'American Dream), mais uniquement et simplement d'incarner une magnifique fable, empathique et conflictuelle, sur le courage et la dignité d'une jeune femme qui cherche à survivre et dépasser coûte que coûte, sa miséreuse condition.
Alors certes, si les coutures de sa structure en trois actes manquent un peu d'épaisseur (on pourra aussi arguer qu'il est dénué d'une vraie vision spécifique de la sexualité), d'autant que son montage étire plus que de raison une histoire qui aurait mérité d'être ôtée d'un bon bout de gras (une bonne demie-heure), difficile de nier la force du nouvel effort de Sean Baker, et encore moins la partition absolument extraordinaire d'une Mikey Madison littéralement à tomber.
Jonathan Chevrier
Acteurs : Mikey Madison, Mark Eydelshteyn, Yuriy Borisov, Karren Karagulian,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Comédie Dramatique.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h19min.
Synopsis :
Anora, jeune strip-teaseuse de Brooklyn, se transforme en Cendrillon des temps modernes lorsqu’elle rencontre le fils d’un oligarque russe. Sans réfléchir, elle épouse avec enthousiasme son prince charmant ; mais lorsque la nouvelle parvient en Russie, le conte de fées est vite menacé : les parents du jeune homme partent pour New York avec la ferme intention de faire annuler le mariage...
Critique :
Pas exempt de quelques maladresses mais porté par l'énergie et la prestance folle de Mikey Madison,#Anora se fait une relecture irrévérencieuse de Pretty Woman sauce La Traviata, une dramédie romantique sous fond de différences de classe et d’insensibilité profonde des plus aisés pic.twitter.com/PnlVXSJobJ
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) September 20, 2024
Qui est un tant soit peu amateur du cinéma de Sean Baker, ne pouvait qu'attendre avec une certaine impatience la vision de son dernier effort en date, Anora, au-delà même de son adoubement lors de la dernière Croisette cannoise.
Portraitiste affûté, habitué à s'attacher à ceux dont on refuse les vertus cotonneuses de l'un American Dream qui subsiste à leur dépens, le papa de Tangerine éprouve certes de l'empathie mais jamais vraiment de compassion pour ces personnages, êtres humains résolument solaires dont la lumière est attaquée par des environnements sordides, l'envers du décors, les coulisses sinistres mais bien réelles du symbolisme triomphant de l'American way of life, que le pays de l'Oncle Sam peine de plus en plus à masquer aux yeux du monde.
Copyright 2024 Anora Productions, LLC |
Des personnages désespérément humains, qui s'accroche à leurs existences au moins autant qu'à leurs chimères, qu'il ne juge ni ne victimise jamais dans une sorte de posture misanthrope et pompeuse proprement abjectes (pas besoin d'exemple, ce type de cinéastes a déjà chopé la Palme d'or dans un passé proche).
Sean Baker n'est pas là pour instruire son auditoire, pour pointer du doigt les plus démunis où même pour illustrer un quelconque discours moralisateur faisant frétiller, valider la moindre étude socio-culturelle financée à coups de millions : il fait du cinéma merveilleusement drôle, tragique et humaniste, et il le fait merveilleusement bien.
Il n'y a donc rien d'étonnant à l'idée de voir sa nouvelle comédie mettre en vedette une jeune travailleuse du sexe qui bosse dans un club de strip-tease new-yorkais bardé de clients crasseux, le rejeton écervelé d'un oligarque russe ou encore ses violents et maladroits tueurs à gages, dans ce qui peut se voir comme une relecture irrévérencieuse de Pretty Woman (toujours, honteusement et incroyablement, considéré par la majorité des spectateurs comme un sommet de romantisme) sauce La Traviata, où les différences de classe ainsi que l’insensibilité profonde des plus aisés, vont prendre une place prépondérante au fil du récit : c'est du pur Bakercore, anti-Hollywoodien as hell, aux personnages qui se trouvant aux antipodes de toute moralité traditionnelle - sans pour autant en être dénué.
Copyright 2024 Anora Productions, LLC |
Sans trop tergiverser, Anora, vingt-trois ans au compteur, trouve dans l'infantilité et l'égocentrisme exacerbé de Yurij (à peine plus jeune qu'elle, vingt ans), gosse de riche capricieux qui est né avec une cuillère d'argent dans la bouche et ne s'est jamais battu pour obtenir quoique ce soit dans sa vie, qu'elle épouse après une semaine de débauche hystérique et sexuelle (basé sur le même deal " d'exclusivité ", en moins hypocrite, entre Edward Lewis et Vivian Ward dans le film de Garry Marshall), l'opportunité de s'extirper de son existence précaire et de goûter aux joies de la vie qu'elle pense mériter.
C'est une jeune femme effrontée, autonome et déterminée, le symbole d'une génération qui a prise pour acquis l'idée de se vendre pour survivre, que son corps est le seul instrument d'échange, de pouvoir dont elle dispose dans une société contemporaine fracturée et impitoyable.
Il y a une sincérité évidente, une puissance émotionnelle et physique brute dans sa manière d'entrer avec innocence dans un univers pavé d'or et d'argent qu'elle croit fermement plus bon que le sien qui en est dénué, avant d'être durement frappée par sa dure vérité, tant la richesse ne cache à peine ses élans criminels, violents et insensibles.
Baker n'en fait jamais une idiote triste et inconsciente, une Cendrillon des temps modernes qui ne sait pas comment le monde fonctionne, mais bien une anti-héroïne de conte de fées qui s'accroche avec une foi démesurée (tout en cris, en morsures, en coups et en jouissances) à l'espoir d'un avenir meilleur, qui avance même lorsqu'elle se sait brisée, physiquement et intérieurement.
Copyright FilmNation Entertainment |
Et c'est là où toute la gymnastique cinématographique de Baker fait solidement son office : jamais Anora n'apparaît autrement que joyeux, puisqu'il ne fait qu'un avec la vitalité et la force de conviction de sa protagoniste principale, dans cette relecture transgressive, sensuelle et politiquement incorrecte du mythe de Cendrillon, le démontage en règle du fantasme de l'introduction dans un monde de luxe et de paillettes qui n'a rien de réconfortant - ni le moindre arc rédempteur à l'arrivée.
Comédie dramatique romantique et burlesque qui flirte amoureusement avec le thriller sans jamais connaître de rupture de ton abrupte, le film n'a pas vocation d'offrir une auscultation pointue des arcanes putrides de l'exploitation sexuelle, une réflexion sociale et politique de l'Amérique d'aujourd'hui (quand bien même il croque, une nouvelle fois, une déconstruction puissante de la fausse promesse de l'American Dream), mais uniquement et simplement d'incarner une magnifique fable, empathique et conflictuelle, sur le courage et la dignité d'une jeune femme qui cherche à survivre et dépasser coûte que coûte, sa miséreuse condition.
Alors certes, si les coutures de sa structure en trois actes manquent un peu d'épaisseur (on pourra aussi arguer qu'il est dénué d'une vraie vision spécifique de la sexualité), d'autant que son montage étire plus que de raison une histoire qui aurait mérité d'être ôtée d'un bon bout de gras (une bonne demie-heure), difficile de nier la force du nouvel effort de Sean Baker, et encore moins la partition absolument extraordinaire d'une Mikey Madison littéralement à tomber.
Jonathan Chevrier
Copyright Drew Daniels |
Anora, Ani pour les intimes, stripteaseuse de Brooklyn rencontre un soir le jeune Ivan, fils d’un riche oligarque russe venu aux État-Unis pour étudier. Ce dernier préfère jouer au flambeur avec l’argent de papa que bachoter à la bibliothèque. C’est l’amour fou et flou entre eux. Ils décident de se marier à Vegas entre deux beuveries. Papotchka et Mamotchka ne sont pas ravis à l’annonce de l’union et rappliquent fissa aux États-Unis pour gronder le fiston et par la même occasion annuler le mariage. Mais Ani est bien décidée à se battre pour continuer à vivre dans son conte de fée.
Anora est le huitième long-métrage du réalisateur américain Sean Baker. La palme d’or de ce dernier semble être la consécration d’une carrière cohérente, un ensemble de films qui fait la part belle aux marginaux avec beaucoup d’empathie et un style faussement léger. De Ming Ding, immigrant chinois sans papier dans Take Out à Mikey "Saber" Davies, pornstar sur le retour, dans Red Rocket en passant par Moonee et Halley, duo mère fille houleux vivant dans un motel, dans The Florida Project, Sean Baker se fait l’étendard joyeux de ceux qu’on préfère ne pas regarder de trop près.
Anora est le huitième long-métrage du réalisateur américain Sean Baker. La palme d’or de ce dernier semble être la consécration d’une carrière cohérente, un ensemble de films qui fait la part belle aux marginaux avec beaucoup d’empathie et un style faussement léger. De Ming Ding, immigrant chinois sans papier dans Take Out à Mikey "Saber" Davies, pornstar sur le retour, dans Red Rocket en passant par Moonee et Halley, duo mère fille houleux vivant dans un motel, dans The Florida Project, Sean Baker se fait l’étendard joyeux de ceux qu’on préfère ne pas regarder de trop près.
Copyright 2024 Anora Productions, LLC |
Sobrement appelé Anora, dont l’étymologie peut signifier Lumière ou Honneur. Le titre annonce la couleur et la tonalité. Il sera le portrait de cette jeune-femme lumineuse qui n’a aucune envie qu’on lui vole ni son éclat, ni sa fierté. Le film est l’écrin parfait à la jeune actrice Mikey Madison qui déboule sur Hollywood après une simple poignée de rôles : Scream (2022), Better Things (2016–2022), Lady in the Lake (2023). Sean Baker lui offre le rôle parfait pour jouer dans la cour des grands : un personnage mystérieux, fort, sensible, et surtout particulièrement complexe et nuancé. Une Cendrillon des temps moderne qui n’attend pas sa marraine la bonne fée pour provoquer sa chance.
Sean Baker choisit également avec minutie ses acteurs secondaires sans appréhension quant à la différence de langage ou d’école de jeu. Au contraire, il s’en nourrit. Dans le rôle du gamin pourri gâté, Ivan, le jeune Mark Eydelshteyn qui n’est pas anglophone pour un sou mais a été conseillé par son confrère Yuriy Borisov. Sa vidéo de casting a été si convaincante, si naturelle que Sean Baker n’a pu imaginer personne d’autre dans le rôle du bel épicurien que celui qu’on appelle maintenant le “Timothée Chalamet russe” malgré le barrage de la langue. Autre personnage clef, autre choix parfait. Le taciturne homme de main Igor est interprété par Yuriy Borisov. S’il paraît dans un premier temps anecdotique, Igor se révèle être le point d’ancrage du spectateur avec lequel il partage la position d’observateur (presque) impuissant. Pour jouer ce rôle un peu ingrat, un acteur à l'intériorité forte est indispensable. Le jeune Yuriy a déjà largement fait ses preuves dans des rôles complexes (Le capitaine Volkonogov s'est échappé, Compartiment no 6) et est donc le choix parfait pour interpréter le personnage extérieur au rêve que vit Anora et qui représente le retour à la réalité de cette dernière, loin de l’extravagance mais aussi de la cruauté inhérent à tout conte de fée. Igor est d’une beauté parfaitement banal.
Copyright 2024 Anora Productions, LLC |
Sean Baker dépeint dans Anora des États-Unis paupérisés où l’American Dream a cédé la place à un Russian Dream beaucoup plus rutilant. Le choix des lieux de tournage n’est pas anodin. Ils représentent tous à leur manière des symboles du soft-power américain : Brooklyn est le point de départ de ceux qui rêvent à une vie meilleure (Il était une fois en Amérique, Saturday Night fever…) et Las Vegas le symbole de la réussite à l’américaine (Casino, Viva Las Vegas…). Arrêtons-nous en particulier sur Brighton Beach à Brooklyn. Dans le film, elle sera le terrain d’une chasse à l’homme (bourré) quasi en temps réel. S’il est pertinent d’y situer l’action en raison de la communauté russophone qui y vit, il est surtout malin de montrer cet ancien lieu de villégiature et de divertissement devenu morne et délabré. Sean Baker dépeint un rêve américain en décrépitude par le véhicule même de son soft-power : le cinéma. Un rêve américain qui n’attend plus que le coup final de deux oligarques russes pétés de tune, deux ombres menaçantes pendant les trois quarts du film, pour finir par disparaître. Ne reste qu’une vie terriblement mais joliment banale. Et est-ce un problème ?
Anora est un film à facette multiples : conte de fée moderne où Cendrillon porte des chaussures de strip teaseuse et des paillettes dans les cheveux, portrait de jeune femme fort et complexe mais aussi un constat sur la puissance du soft-power états-uniens et son déclin inévitable.