[CRITIQUE/RESSORTIE] : Rétrospective Le XIXème de Luchino Visconti
Rétrospective Le XIXème de Luchino Visconti, composée de quatre films : Senso (1954), Le Guépard (1963), Ludwig, le crépuscule des Dieux (1973) et L'Innocent (1976) de Luchino Visconti.
Distribution : Les Acacias Distribution
Vous reprendez bien un peu de vin italien venu des 60s/70s, entre deux blockbusters rutillant made in america ?
Les Acacias, toujours dans les bons coups de la restauration qui fait plaisir (au même titre que Splendor Films, Les Films du Camélia, Potemkine ou encore Carlotta Films, on n'oublie jamais de mentionner ceux qui nous gatte), vient mettre un point d'honneur à rendre un peu plus chaud et ensoleillé un été cinéma déjà bien coloré, avec une petite rétrospective bien gratinée de quatre films du maître Luchino Visconti, six mois après la ressortie toute pimpante de Bellissima : Le Guépard, L'Innocent, Ludwig, le crépuscule des Dieux et Senso.
Quatre œuvres (en versions restaurées, pour ne pas gâcher le plaisir) comme autant d'expression d'un cinéma protéiforme, d'un artiste hors norme, l'un des papes d'un néoréalisme qu'il n'aura pas toujours scrupuleusement suivi, dont les personnages furieusement désenchantés et tout en détresse, se voient continuellement rattrapés par la vérité crue des illusions de la passion amoureuse.
Chef-d'œuvre personnel, voire même presque définitif - qui peut intimement se voir comme cousin au magnum opus qu'est Le Guépard, qui lui répondra une décennie plus tard -, Senso, adaptation polémique (production difficile, rejet du couple Brando/Bergman, final initial interdit par la censure italienne,...) du bref récit éponyme de Camillo Boito flanquée en plein Risorgimento (l'unification italienne au milieu du XIXe siècle), se fait un pur mélodrame théâtrale entre bouleversements révolutionnaires, loyauté nationale et dévotion romantique.
Des frontières poreuses et délicates où se fige la comtesse Livia Serpieri (une beauté maudite, Alida Valli), beauté maudite qui tombera amoureuse de " l'ennemi ", l'officier autrichien Franz Mahler, dans un Venise occupé.
C'est cette romance, tiraillée par les émotions - même les plus contradictoires -, plus que la fresque historique d'une periode charnière de l'histoire de sa nation (où se mêle subtile critique historico-sociale, qui est le cœur de cet épanouissement tourmenté et vulnérable des sens, de cet enlisement progressif d'un amour bouffé par les interdits et la croyance en un monde qui se meurt, où le regard glacial et sans concession de Visconti fait des ravages.
Une merveille logée entre mélodrame et existentialisme, romance et décadence, idéalisme et réalité frustrante.
D'histoire et de Risorgimento, il en est un peu plus frontalement question avec le magnifique Le Guépard, adaptation partielle de l'œuvre éponyme et tentaculaire de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, auscultation méticuleuse et profondément existentielle d'une révolution vampirisée par la bourgeoise et de la violente résignation de la bouillante Sicile sous les bouleversements de Garibaldi et de ses Chemises Rouges, embaumée dans la mélancolie absolument déchirante d'un monde qui se sait au crépuscule.
Ce monde, cette aristocratie déclinante, c'est celui du prince Salina qui accepte un compromis, une mésalliance en mariant son neveu Tancrède (un Alain Delon au sommet de son pouvoir de séduction) à la fille du maire de la ville, la sculpturale Angelica (une Claudia Cardinale éléctrisante de beauté), représentant la classe ascendante.
Des frontières poreuses et délicates où se fige la comtesse Livia Serpieri (une beauté maudite, Alida Valli), beauté maudite qui tombera amoureuse de " l'ennemi ", l'officier autrichien Franz Mahler, dans un Venise occupé.
C'est cette romance, tiraillée par les émotions - même les plus contradictoires -, plus que la fresque historique d'une periode charnière de l'histoire de sa nation (où se mêle subtile critique historico-sociale, qui est le cœur de cet épanouissement tourmenté et vulnérable des sens, de cet enlisement progressif d'un amour bouffé par les interdits et la croyance en un monde qui se meurt, où le regard glacial et sans concession de Visconti fait des ravages.
Une merveille logée entre mélodrame et existentialisme, romance et décadence, idéalisme et réalité frustrante.
D'histoire et de Risorgimento, il en est un peu plus frontalement question avec le magnifique Le Guépard, adaptation partielle de l'œuvre éponyme et tentaculaire de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, auscultation méticuleuse et profondément existentielle d'une révolution vampirisée par la bourgeoise et de la violente résignation de la bouillante Sicile sous les bouleversements de Garibaldi et de ses Chemises Rouges, embaumée dans la mélancolie absolument déchirante d'un monde qui se sait au crépuscule.
Ce monde, cette aristocratie déclinante, c'est celui du prince Salina qui accepte un compromis, une mésalliance en mariant son neveu Tancrède (un Alain Delon au sommet de son pouvoir de séduction) à la fille du maire de la ville, la sculpturale Angelica (une Claudia Cardinale éléctrisante de beauté), représentant la classe ascendante.
Le Guépard - ©AFP - Titanus/Société nouvelle Pathé/Collection Christophel - © Les Acacias |
Sensiblement plus inspiré par les principes d'un réalisme baroque et décadent que par ceux du néoréalisme, Visconti visse toute sa mise en scène sur un raffinement grandiose des détails et une scénographie époustouflante, un véritable tableau vivant (et sonore, grâce à la composition éthérée de Nino Rota) où le cinéaste croise souvenir nostalgique et présent cruel, au sein d'un récit incroyablement dense et furieux où l'amour dissout presque une stratification sociale jusqu'ici marquée au fer rouge et engluée dans son statut quo.
Soit celui, réciproque, qui unit un Tancredi qui pleure en silence l'effondrement de sa classe, et la convoitise désespérée d'Angelica, pièce maîtresse du propos dénué de tout didactisme, du cinéaste, sur l'évolution perpétuel de la vie, sur les lois impénétrables du matérialisme dialectique et historique, des contradictions et des luttes entre les classes pour leurs intérêts divergents.
Absolument grandiose et renversant.
Plus fou et dissolue est en revanche Ludwig, le crépuscule des Dieux, mise en images tout en frasques et en mélancolie du règne éphémère de Louis II de Bavière (ultime roi de Bavière justement), dont la quête imprudente et quasi-obsessionnelle du plaisir artistique mais aussi et surtout sensuel, lui a douloureusement coûté un trône dont il dédaignait les fonctions.
Un homme torturé qui s'est détourné des préoccupations politique et impériale, pour mieux s'enfermer dans ses châteaux et sa propre fantaisie passionnelle, un monarque trahi et déshonoré, une énigme pour les autres comme pour lui-même être à qui Visconti, au-delà d'explorer au plus près le psychisme, offre une odyssée lyrique à la fois politiquement complexe, sensiblement empathique et incroyablement décadente, le dernier volet de sa trilogie allemande, avec Les Damnés et Mort à Venise - auquel il emprunte le même rythme encore plus délibérément lancinant.
De la pure folie en majesté, de la pure déchéance tragique et éprise de liberté.
Ludwig, le crépuscule des Dieux - © STUDIOCANAL - Mega Film - Cinétal Dieter - Geissler-Filmproduktion - Divina Film - © Les Acacias |
Le crépuscule aussi est au cœur de L'Innocent (une énième adaptation de roman, L'Intrus de Gabriele D'Annunzio), chant du cygne fringant et distingué - voire même un poil Ivory-esque - d'un cinéaste alors physiquement diminué à la suite d'un accident vasculaire cérébral survenu sur le tournage de Ludwig... (il a dirigé le film en fauteuil roulant et s'en est allé peu de temps avant sa sortie en salles), pointant au microscope la profonde décadence de la bourgeoisie romaine à travers une figure troublée et blasée, Tullio Hermil, enfermée dans le propre culte de lui-même, qui tente en vain de se détacher de sa condition par l'athéisme et un hédonisme (très) affirmé - à la lisière du prédateur sexuel.
Une âme volage qui se re-découvre une passion pour sa femme délaissée lorsque celle-ci le trompe avec un amant plus attentionné, avant qu'une humiliation aux yeux de sa classe (un enfant illégitime, le dit innocent du titre), ne vienne à nouveau rebattre les cartes, lui qui est incapable de se rendre compte, jusqu'à un acte final d'une monstruosité incroyable, que sa misogynie et son propre comportement abject, sont les seules choses à l’origine son malheur.
Plus intime et d'une simplicité d'exécution salutaire, là où sa narration se fait pourtant toujours aussi dense et psychologiquement fouillée, Visconti boucle ici la boucle en renouant avec les prémisses de son cinéma avec une œuvre testamentaire et glaciale sur la dépravation humaine et la violence du patriarcat, un ultime mélodrame embaumé par la mort et la douleur.
Quatre (re)découvertes fantastiques aux restaurations juste extraordinaires.
Jonathan Chevrier