[C’ÉTAIT DANS TA TV] : #37. SKY Castle
© JTBC Studios/Netflix |
Des dessins animés gentiment débiles aux mangas violents (... dixit Ségolène Royal), des teens shows cucul la praline aux dramas passionnants, en passant par les sitcoms hilarants ou encore les mini-séries occasionnelles, la Fucking Team reviendra sur tout ce qui a fait la télé pour elle, puisera dans sa nostalgie et ses souvenirs, et dégainera sa plume aussi vite que sa télécommande.
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#37. SKY Castle (2018 - 2019)
Lors de sa diffusion en Corée du Sud, SKY Castle s'est brillamment imposé comme l'un des k-dramas les plus acclamés de tous les temps. Arrivé chez nous en moins grandes pompes au milieu du catalogue Netflix, il dresse le constat drôle mais surtout cruel de l'extrême compétitivité de l'accès aux études supérieures au pays du matin calme. Si le problème de société n'est pas aussi flagrant en France, la série n'en captive pas moins par sa dramaturgie et sait nous amener à nous prendre d'amitié - ou, plus souvent, d'inimitié - pour sa délicieuse galerie de personnages.
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SKY Castle tient son titre du cossu quartier résidentiel fermé dans laquelle se joue l'intrigue. "Sky's the limit!" songe-t-on en entendant ce nom et en contemplant les luxueuses villas peuplées de médecins et d'avocats de renom. Cependant, SKY, c'est avant tout l'acronyme officieux de Seoul National University, Korea University et Yonsei University, à savoir les trois universités les mieux cotées du pays ; or, pour les habitants du quartier, tout l'enjeu est bel et bien là : faire admettre leurs enfants dans les filières d'excellence des établissements les plus sélectifs. Cet objectif, les mères de famille y ont d'ailleurs sacrifié leur carrière et toute autre forme d'ambition personnelle, leur unique fonction dans ce microcosme étant réduite à la réussite scolaire de leur progéniture. Toutefois, paradoxalement, cette responsabilité écrasante leur confère aussi un pouvoir énorme.
Le premier épisode s'ouvre sur une dispendieuse célébration en l'honneur de Myung-joo, qui a réussi à faire admettre son fils dans la plus prestigieuse fac de médecine - car cet événement marque avant tout sa consécration en tant que mère, donc en tant que femme. Cependant, cette hypocrite comédie humaine dans laquelle le succès des uns ne fait qu'attiser la jalousie des autres va rapidement tourner au cauchemar, pour les adolescents comme pour leurs parents. Ainsi, dans l'environnement élitiste de SKY Castle, tout est minutieusement calculé pour encourager le travail acharné des enfants. Quand les cours du soir, l'environnement d'étude ultra-contrôlé et les programmes de révision millimétrés ne suffisent pas, alors c'est en déboursant des fortunes dans d'intransigeants tuteurs privés que l'on tente d'assurer leur avenir. C'est ainsi que va entrer en scène la tutrice Kim dont les exigences impitoyables vont susciter tout autant d'admiration que d'inquiétude.
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Disons-le tout de suite : il y a quelque chose de brutal dans la manière dont la série dénonce frontalement les dérives de la compétition scolaire. Bien que le traitement s'éloigne du réalisme par la dramatisation à outrance et les touches d'humour grotesque (qui sont avant tout à voir comme des marqueurs du genre), cela n'adoucit qu'à peine la brûlure du propos. Derrière la fascination pour les somptueuses demeures et les garde-robes mirifiques, derrière le comique des futiles combats d'ego qui tournent en déconfitures, derrière le suspense des terribles secrets et des rebondissements tragiques, l'échine de l'œuvre n'en est pas moins à charge d'un système qui broie les adolescents au point de menacer l'équilibre de leur foyer tout entier. Cette compétition irrigue d'ailleurs d'autant mieux la strate familiale qu'on en retrouve les stigmates chez les parents, pressant la nouvelle génération de se soumettre aux mêmes sacrifices auxquels ils ont été jadis contraints.
A mi-chemin de la série, un revirement majeur va néanmoins détourner quelque peu l'attention du portrait sociétal pour la focaliser plutôt sur une enquête policière, ce qui dilue quelque peu la portée du réquisitoire. Pourtant, il faut admettre que cela paraissait nécessaire pour relancer un rythme qui commençait à s'essouffler, et donner ce faisant le temps d'approfondir plus encore la psychologie des personnages et leur trajectoire. Bien sûr, il ne faut rien attendre de révolutionnaire de ce côté : le quota d'arcs de rédemption est de rigueur, tandis que les figures les plus caricaturales s'accrocheront à leurs gimmicks jusqu'au bout. Dans le lot, il y a bien quelques scènes qui font lever les yeux au ciel par leur excès ou leur prévisibilité ; mais d'autres en revanche surprennent par leur finesse ou arrachent des sourires satisfaits. Si la nuance n'est pas partout, elle est ainsi présente en suffisamment d'endroits pour que l'on continue jusqu'au bout à se sentir investi dans le destin de chacun des habitants.
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Derrière le vernis brillant du k-drama, qui peut paraître un brin kitsch quand on n'en a pas l'habitude, SKY Castle sait ainsi servir un divertissement solide, généreux aussi bien dans son gaguesque que dans sa part sombre, et qui sait faire de sa versatilité un atout. Bien que l'on sente quelquefois un peu trop le cahier des charges, celui-ci est souvent rempli avec habileté et, surtout, avec une véhémence dans le propos à laquelle on ne s'attendait pas forcément. S'il peut sembler dissonant de parler de brûlot concernant une œuvre qui par tant d'autres aspects se veut exubérante et récréative, le terme ne serait pourtant pas volé. D'ailleurs, n'est-ce pas justement le meilleur moyen de faire avaler la pilule, enrobée dans une couche de sucre ?
(Si, décidément, vous préférez la version sans sucre ou que vous souhaitez approfondir le thème sous un éclairage plus didactique, vous pouvez alors vous tourner vers l'excellent documentaire Reach for the SKY de Choi Woo-Young et Steven Dhoedt.)
Lila Gleizes