[CRITIQUE] : Les Tortues
Réalisateur : David Lambert
Avec : Olivier Gourmet, Dave Johns, Brigitte Poupart, Vanessa Van Durme,…
Distributeur : Outplay Films
Budget : -
Genre : Comédie dramatique
Nationalité : Belge, Canadien
Durée : 1h23min
Synopsis :
Henri et Thom vivent ensemble à Bruxelles et filent le parfait amour depuis 35 ans, enfin en apparence. Depuis qu’Henri a pris sa retraite de policier, rien ne va plus. Ses journées sont fades et interminables, ses sentiments s'estompent et leur maison est devenue un vrai champ de bataille. Toujours amoureux, Thom est prêt à tout pour raviver la flamme et sauver leur couple, quitte à demander lui-même le divorce…
Critique :
Pas vraiment un film de séparation, ni totalement une comédie de remariage, #LesTortues est un film sur le souvenir et le renouveau vissé sur le rythme effréné des confrontations, ou David Lambert interroge l’amour face à l’épreuve du temps et de la retraite. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/8pc9OVPB2x
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) May 10, 2024
Pour son quatrième long métrage, David Lambert réunit Dave Johns et Olivier Gourmet dans une comédie dramatique au titre énigmatique, Les Tortues. Revisitant la comédie de remariage, d’après les propres dires du réalisateur, le film interroge l’amour à l’épreuve du temps et de la retraite.
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En quatre films, David Lambert a créé une oeuvre queer qui a pour ambition de pousser plus loin les représentations de l’amour au sein des couples LGBTQ+. Avec ce nouveau long métrage, il explore les tensions de couple après trente-cinq ans de relation, entre un flic et une ancienne drag queen. Deux mondes, qui ont pourtant su cohabiter, se déchirent au lendemain du départ à la retraite de Henri (Olivier Gourmet). Leur appartement devient un champ de guerre, délimité par leur territoire / tranchée. Chacun son arme : le silence pour Henri, les coups d’éclats pour Thom (Dave Johns). Tout ce qui leur reste de connivence réside dans les deux tortues présidant leur salon, dans leur aquarium de verre. Un cadeau d’un ami du couple, décédé du sida depuis de longues années comme on l’apprend plus tard.
Le réalisateur fait le choix de ne pas mettre ses deux personnages principaux sur le même pied d’égalité dans sa mise en scène. Henri fuit le cadre comme il fuit son couple et l’ennui. Ils n’ont même plus de plan où ils sont tous les deux ensemble. Le film n’a alors pas d’autre choix que de porter son attention sur Thom qui, contrairement à son mari, est extraverti. Le début du film donnait déjà le ton de leur caractère opposé. Thom chantant à tue-tête leur chanson préféré tandis que Henri le regarde mi-amusé, mi-ennuyé. Difficile de comprendre les intentions de ce dernier tant il se mure dans le silence d’abord, puis dans le ressentiment ensuite. Il se met au sport, il s’inscrit sur des applications de rencontre, sous les yeux ébahis de Thom (et de nous spectateurs, qui ne comprenons pas non plus ce qu’il se passe), par son absence de honte. Ébahi parce que Thom pensait que tout allait bien dans leur couple et que la retraite d’Henri serait synonyme de retrouvailles, non pas de séparation.
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Le ton n’est cependant pas tragique. Les Tortues empruntent aux comédies de remariage américaine les joutes verbales, les petites mesquineries, le rythme effréné des confrontations. On s’amuse des tours que joue Thom à Henri, soucieux d’obtenir au moins une réaction. Une guerre sans merci et surtout inégale, Henri est un Goliath tant par sa carrure impressionnante que par le mépris avec lequel il jette un regard aux tentatives de Thom/David, impuissant à raviver la flamme. Cela va si loin qu’on en vient à se demander pourquoi Thom s’acharne autant, pourquoi le récit ne bifurque pas, pourquoi il reste bloqué. Jusqu’à ce qu’il demande enfin le divorce, comme un dernier recours mais sans forcément vouloir une séparation, juste une réaction. Et avec cette demande se réveille une toute autre réflexion, cachée derrière les vicissitudes d’un couple en crise. Plus les émotions sont à vif et plus se dévoilent les choses sous-jacentes.
Leur couple n’est pas juste un couple, il est comme le symbole d’une époque et leur longévité est comme un hommage à ceux qu’ils ont dû abandonner sur la route et dont ils visitent les tombes, chaque année. Leur maison est un héritage d’un de ces amis, comme les deux tortues. Un héritage peut-être trop lourd à porter pour un couple qui n’a plus rien d’autre à faire que de vivre à deux, maintenant que la carrière d’Henri est finie. S’aimer avec le poids de la culpabilité du survivant devient impossible. L’amour est-il soluble dans le devoir de mémoire, quand la vieillesse fait qu’il n’y a plus qu’à attendre sa propre mort ? David Lambert estime que non. Les Tortues n’est pas un film de séparation, ni totalement une comédie de remariage, il est un film sur le souvenir et le renouveau.
Laura Enjolvy