[CRITIQUE] : Scoop
Réalisateur : Philip Martin
Acteurs : Gillian Anderson, Rufus Sewell, Billie Piper, Keeley Hawes,...
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Britannique.
Durée : 1h41min.
Synopsis :
Cette adaptation inspirée de faits réels raconte comment les collaboratrices de Newsnight ont décroché la célèbre interview du prince Andrew qui allait faire l'effet d'une bombe.
Critique :
Dans quel état est notre milieu journalistique ? À l’heure où les informations circulent parfois bien plus rapidement que les faits et où chaque image se voit analysée en profondeur au vu de la multiplicité des sources, il est de bon ton de se demander à quel point ce domaine reste encore aussi pertinent dans notre société en bouillonnement constant. Alors qu’on est constamment bombardé, le journalisme se doit d’être un rempart face à la désinformation, aux manipulations et aux tentatives de contrôle d’une actualité. C’est sans doute en cela que Scoop fonctionne le mieux.
Inspiré de l’ouvrage de Sam McAllister, Scoop revient sur la désastreuse interview du Prince Andrew en 2019. Cet entretien où le membre de la famille royale britannique raconte ses liens avec le trafiquant sexuel Jeffrey Epstein a su se placer directement dans les moments les plus importants de l’histoire contemporaine de la télévision du pays par ce qu’il s’est exprimé en fond social et en éloignement avec la réalité. Tout cela alimente le fond du long-métrage, interrogeant en filigrane sur la façon dont certaines personnes puissantes peuvent s’exprimer avec si peu de contrôle car biaisées par leur impunité apparente. L’écart qui se dresse entre Andrew et l’équipe journalistique à l’œuvre apporte une certaine densité nécessaire à sa réflexion.
Dommage alors que la forme soit aussi académique tant la mise en scène de Philip Martin n’arrive pas à transcender ce matériau ô combien intéressant d’un point de vue cinématographique. La nature un peu trop sage du long-métrage le renferme dans des contours trop convenus, ne charriant pas assez visuellement la déflagration médiatique ni le propos sous-jacent sur l’impossibilité pour les journalistes d’être complices de pareils faits, d’autant plus dans un monde post #MeToo. Le tout fonctionne bien évidemment mais n’est jamais à la hauteur dans la mise en scène de son potentiel réflexif.
C’est donc par la parole et moins par le geste que Scoop narre cette interview du Prince Andrew, trouvant dans son casting un peu de cœur nécessaire au vu du manque dans la réalisation. La façon dont l’intrigue s’épaissit subtilement d’interrogations morales au sein du secteur journalistique, d’autant plus au vu des enjeux économiques qui s’y développent, rend alors le long-métrage de Philip Martin assez intéressant à découvrir, même si l’on sort frustré que la réalisation n’appuie pas de façon mémorable ce que son histoire s’échine à essayer de développer. Dans un monde où le journalisme reste aussi bien un vecteur important qu’une base morale solide tout autant qu’un secteur fragilisé par la communication vaine, pareil film aurait mérité d’être plus emporté visuellement.
Liam Debruel
Avant même le film de Philip Martin, Scoop était surtout l'un des moments de télévision les plus incroyables de ses vingt dernières années, le segment « Newsnight » de la BBC de novembre 2019, cinquante minutes d'une conversation aussi fascinante que profondément horrible dans ses révélations et sa déconnexion de la réalité - entretien que l'on peut d'ailleurs retrouver sur YouTube.
Une véritable masterclass journalistique, ou l'animatrice/intervieweuse Emily Maitlis a publiquement laminé un prince Andrew sensiblement prompt à publiquement s'auto-détruire, posant calmement ses questions (tout en restant fermement campée sur ses positions) sur la nature de sa relation avec le délinquant sexuel Jeffrey Epstein - retrouvé mort dans sa cellule quelques mois plus tôt -, vérité qu'il tentera de contourner sans dévoiler ses émotions comme pour mieux, vainement, masqué une culpabilité évidente pour laquelle la justice n'a pourtant jamais tranché (il n'est pas le seul, et la véritable issue de cette histoire est encore loin), même s'il a, par la suite, été déchu de ses titres et de ses fonctions royales.
Place donc à la fiction et à Scoop donc, moins opportuniste qu'il n'en a l'air sur le papier (même si l'on peut douter du " doux hasard " de voir la plateforme au Toudoum, le dégainer comme une fin bonus à sa série The Crown, qui a tiré sa révérence il y a une poignée de semaines), qui se veut autant comme une autopsie qu'une origin story de cette bombe télévisuelle qui a bouleversé l'histoire de l'establishment, basé sur les mémoires - Scoops: Behind the Scenes of the BBC's Most Shocking Interviews - de l'une de ses artisantes, la productrice Sam McAllister.
Ou comment une petite élite féminine de la BBC a su faire tomber le duc d'York et le confronter à ses propres crimes sexuels présumés (alors qu'il semblait ne pas prendre du tout au sérieux l'exercice), dans ce qui se voit moins comme une habile punition qu'une affirmation authentique et tout en persévérance, d'un journalisme d'investigation faisant la nique aux tabloïds et autres médias putaclics et accros au trash, à une époque où la moindre nouvelle, vraie comme fausse, est filtrée/lessivée par le tribunal infernal des réseaux sociaux.
Tout l'intérêt, même manichéen, du film résidait donc dans cette mise en images des coulisses, cette hommage aux femmes qui ont obtenu le scoop et la caractérisation un peu plus pointu de ce qui était ses artisans et acteurs, et c'est précisément sur ce point d'ancrage que toute la faiblesse de son édifice se fait ressentir.
Au-delà d'une mise en scène conventionnelle au possible (Martin tourne, littéralement, le long-métrage comme un épisode de The Crown), c'est dans son écriture que Scoop pèche paradoxalement le plus, dans sa volonté étrange de ne jamais donner plus de texture et d'humanité à des personnages, qui ne sont in fine caractérisés que par leur rôle dans l'événement.
Aussi jouissif soit-il de voir une Gillian Anderson charismatique et à la poigne d'enfer, s'opposer à un Rufus Sewell merveilleusement ridicule et s'enfonçant lentement mais sûrement dans les abysses des bêtises qu'il débite, rien ne dépasse vraiment le stade de la reconstitution tout en mimétisme/cosplay appliqué, de moments clés d'un segment définitivement plus puissant dans la réalité.
En attendant de découvrir la seconde dramatisation fictionnelle de l'événement (la série A Very Royal Scandal avec Martin Sheen, prochainement sur Prime Vidéo), Scoop a donc tout du téléfilm de luxe pas forcément utile malgré des performances louables et quelques pistes lancées à la volée (notamment les coupes continues dans le financement du journalisme, ou encore la relation difficile entre la presse britannique et la famille royale, qui aurait mérité un traitement plus poussé), expurgé de tout urgence voire même d'un salvateur esprit d’investigation.
Superficiel donc, là où il avait tout pour être une célébration mémorable.
Jonathan Chevrier
Acteurs : Gillian Anderson, Rufus Sewell, Billie Piper, Keeley Hawes,...
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Britannique.
Durée : 1h41min.
Synopsis :
Cette adaptation inspirée de faits réels raconte comment les collaboratrices de Newsnight ont décroché la célèbre interview du prince Andrew qui allait faire l'effet d'une bombe.
Critique :
Malgré une forme un peu trop sage qui n’appuie pas assez ce que son écriture cherche à développer, #Scoop interroge en filigrane sur la façon dont certaines personnes puissantes peuvent s’exprimer avec si peu de contrôle car biaisées par leur impunité apparente. (@LiamDebruel) pic.twitter.com/YSxt3WskH1
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) April 5, 2024
Dans quel état est notre milieu journalistique ? À l’heure où les informations circulent parfois bien plus rapidement que les faits et où chaque image se voit analysée en profondeur au vu de la multiplicité des sources, il est de bon ton de se demander à quel point ce domaine reste encore aussi pertinent dans notre société en bouillonnement constant. Alors qu’on est constamment bombardé, le journalisme se doit d’être un rempart face à la désinformation, aux manipulations et aux tentatives de contrôle d’une actualité. C’est sans doute en cela que Scoop fonctionne le mieux.
Copyright PETER MOUNTAIN/NETFLIX |
Inspiré de l’ouvrage de Sam McAllister, Scoop revient sur la désastreuse interview du Prince Andrew en 2019. Cet entretien où le membre de la famille royale britannique raconte ses liens avec le trafiquant sexuel Jeffrey Epstein a su se placer directement dans les moments les plus importants de l’histoire contemporaine de la télévision du pays par ce qu’il s’est exprimé en fond social et en éloignement avec la réalité. Tout cela alimente le fond du long-métrage, interrogeant en filigrane sur la façon dont certaines personnes puissantes peuvent s’exprimer avec si peu de contrôle car biaisées par leur impunité apparente. L’écart qui se dresse entre Andrew et l’équipe journalistique à l’œuvre apporte une certaine densité nécessaire à sa réflexion.
Dommage alors que la forme soit aussi académique tant la mise en scène de Philip Martin n’arrive pas à transcender ce matériau ô combien intéressant d’un point de vue cinématographique. La nature un peu trop sage du long-métrage le renferme dans des contours trop convenus, ne charriant pas assez visuellement la déflagration médiatique ni le propos sous-jacent sur l’impossibilité pour les journalistes d’être complices de pareils faits, d’autant plus dans un monde post #MeToo. Le tout fonctionne bien évidemment mais n’est jamais à la hauteur dans la mise en scène de son potentiel réflexif.
Copyright PETER MOUNTAIN/NETFLIX |
C’est donc par la parole et moins par le geste que Scoop narre cette interview du Prince Andrew, trouvant dans son casting un peu de cœur nécessaire au vu du manque dans la réalisation. La façon dont l’intrigue s’épaissit subtilement d’interrogations morales au sein du secteur journalistique, d’autant plus au vu des enjeux économiques qui s’y développent, rend alors le long-métrage de Philip Martin assez intéressant à découvrir, même si l’on sort frustré que la réalisation n’appuie pas de façon mémorable ce que son histoire s’échine à essayer de développer. Dans un monde où le journalisme reste aussi bien un vecteur important qu’une base morale solide tout autant qu’un secteur fragilisé par la communication vaine, pareil film aurait mérité d’être plus emporté visuellement.
Liam Debruel
Copyright PETER MOUNTAIN/NETFLIX |
Une véritable masterclass journalistique, ou l'animatrice/intervieweuse Emily Maitlis a publiquement laminé un prince Andrew sensiblement prompt à publiquement s'auto-détruire, posant calmement ses questions (tout en restant fermement campée sur ses positions) sur la nature de sa relation avec le délinquant sexuel Jeffrey Epstein - retrouvé mort dans sa cellule quelques mois plus tôt -, vérité qu'il tentera de contourner sans dévoiler ses émotions comme pour mieux, vainement, masqué une culpabilité évidente pour laquelle la justice n'a pourtant jamais tranché (il n'est pas le seul, et la véritable issue de cette histoire est encore loin), même s'il a, par la suite, été déchu de ses titres et de ses fonctions royales.
Copyright PETER MOUNTAIN/NETFLIX |
Place donc à la fiction et à Scoop donc, moins opportuniste qu'il n'en a l'air sur le papier (même si l'on peut douter du " doux hasard " de voir la plateforme au Toudoum, le dégainer comme une fin bonus à sa série The Crown, qui a tiré sa révérence il y a une poignée de semaines), qui se veut autant comme une autopsie qu'une origin story de cette bombe télévisuelle qui a bouleversé l'histoire de l'establishment, basé sur les mémoires - Scoops: Behind the Scenes of the BBC's Most Shocking Interviews - de l'une de ses artisantes, la productrice Sam McAllister.
Ou comment une petite élite féminine de la BBC a su faire tomber le duc d'York et le confronter à ses propres crimes sexuels présumés (alors qu'il semblait ne pas prendre du tout au sérieux l'exercice), dans ce qui se voit moins comme une habile punition qu'une affirmation authentique et tout en persévérance, d'un journalisme d'investigation faisant la nique aux tabloïds et autres médias putaclics et accros au trash, à une époque où la moindre nouvelle, vraie comme fausse, est filtrée/lessivée par le tribunal infernal des réseaux sociaux.
Tout l'intérêt, même manichéen, du film résidait donc dans cette mise en images des coulisses, cette hommage aux femmes qui ont obtenu le scoop et la caractérisation un peu plus pointu de ce qui était ses artisans et acteurs, et c'est précisément sur ce point d'ancrage que toute la faiblesse de son édifice se fait ressentir.
Au-delà d'une mise en scène conventionnelle au possible (Martin tourne, littéralement, le long-métrage comme un épisode de The Crown), c'est dans son écriture que Scoop pèche paradoxalement le plus, dans sa volonté étrange de ne jamais donner plus de texture et d'humanité à des personnages, qui ne sont in fine caractérisés que par leur rôle dans l'événement.
Copyright PETER MOUNTAIN/NETFLIX |
Aussi jouissif soit-il de voir une Gillian Anderson charismatique et à la poigne d'enfer, s'opposer à un Rufus Sewell merveilleusement ridicule et s'enfonçant lentement mais sûrement dans les abysses des bêtises qu'il débite, rien ne dépasse vraiment le stade de la reconstitution tout en mimétisme/cosplay appliqué, de moments clés d'un segment définitivement plus puissant dans la réalité.
En attendant de découvrir la seconde dramatisation fictionnelle de l'événement (la série A Very Royal Scandal avec Martin Sheen, prochainement sur Prime Vidéo), Scoop a donc tout du téléfilm de luxe pas forcément utile malgré des performances louables et quelques pistes lancées à la volée (notamment les coupes continues dans le financement du journalisme, ou encore la relation difficile entre la presse britannique et la famille royale, qui aurait mérité un traitement plus poussé), expurgé de tout urgence voire même d'un salvateur esprit d’investigation.
Superficiel donc, là où il avait tout pour être une célébration mémorable.
Jonathan Chevrier