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[CRITIQUE] : Quitter la nuit


Réalisatrice : Delphine Girard
Avec : Selma Alaoui, Veerle Baetens, Guillaume Duhesme, Anne Dorval,...
Distributeur : Haut et Court
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Belge, Français.
Durée : 1h48min

Synopsis :
Une nuit, une femme en danger appelle la police. Anna prend l'appel. Un homme est arrêté. Les semaines passent, la justice cherche des preuves, Aly, Anna et Dary font face aux échos de cette nuit qu'ils ne parviennent pas à quitter.



Critique :



Tout part d'un court-métrage coup de poing et tout en tension, Une Sœur, passé par la case Oscar du meilleur court-métrage en 2020 (et qui n'est pas sans rappeler, un peu de loin certes, le magnifique The Guilty de Gustav Möller), et qui sert d'ossature à la wannabe cinéaste canadienne Delphine Girard pour son premier long-métrage, Quitter la nuit, extension donc de son propre effort qui s'en va peaufiner, bonifier et complexifier une histoire tendue : celle d'une femme tétanisée en voiture qui signale, à demi-mot - parce qu'elle ne peut pas enclencher une conversation directe sur sa situation -, l'agression qu'elle subit à une opératrice du 112, alors que son agresseur se trouve encore à ses côtés.

Simple et déroutant, parce que douloureusement réel.

Copyright Haut et Court

Le film, qui reprend donc cette prémisse essentielle, épouse totalement son suspens presque anxiogène au coeur d'un premier quart d'heure palpitant, pour mieux finalement abandonner assez vite les courbes du thriller une fois la dite nuit dépassée, quand bien même celle-ci ne quitte aucun des personnages.
Car l'important ici n'est pas tant de vivre le cauchemar, qui revient ici par les bribes de quelques souvenirs au fil du récit (qui ne laisse absolument aucun doute sur ce qui s'est réellement passé), mais bien l'exploration et les conséquences/traumatismes de celui-ci, et cette nécessité d'y faire face qui n'a de cesse de hanter chacun des trois personnages pivots : la prétendue victime (Aly), le présumé coupable (Dary) et l'opératrice du 112 (Anna), dont l'arc est résolument le moins complexe - puisque extérieur, par la force des choses.

De supposé polar/thriller, Quitter la nuit se fait avant tout et surtout un drame puzzle ou chaque pièce se dévoile à travers des parcours moins binaires qu'ils n'en ont l'air, que ce soit Dary, qui a une défense qui rabat consciemment les cartes du doute quant à l'évidence des faits (appuyé par la présence glaciale d'une Anne Dorval parfaite en mère adulant son rejeton), ou même Aly, femme brisée et tiraillée entre la nécessité de se reconstruire et un besoin intime de justice, presque impuissante qu'elle est dans sa confrontation directe à une mécanique judiciaire proprement insensible.

Copyright Haut et Court

Dommage que la narration se perde alors dans un troisième acte beaucoup trop prévisible et téléphoné, qui tisse à la fois une voie à la fois proprement magnifique (la guérison par un esprit de sororité, qui rend de facto le rôle miroir de la magnifique Veerle Baetens moins inutile passé l'ouverture) mais aussi incroyablement naïve (la résolution de l'arc de Dary), car Girard ferait jusqu'ici avec une lucidité et une délicatesse rares (aucun mépris facile ni d'excès d'empathie), tous les contours d'un sujet hautement brûlant dont elle ne masquait rien, même le pire.

Quitter la nuit n'en reste pas moins un premier long-métrage puissant et captivant, une étude psychologique intelligente et plurielle sur le traumatisme et les zones grises d'une agression sexuelle, mais aussi sur le déni - social comme institutionnel - qui l'accompagne, ou la cinéaste démontre déjà une sacrée propension à pouvoir communiquer à son auditoire un joli canevas d'émotions aussi brutes que complexes, sans le moindre artifice putassier.


Jonathan Chevrier