[FUCKING SERIES] : Un Jour : A perfect almost-love
(Critique - avec spoilers - de la série limitée)
Quiconque s'est laissé aller à la lecture du magnifique et doux-amer Un Jour de David Nicholls, à très vite su - et à raison - que le septième art n'était pas assez grand pour capturer la vulnérabilité et la densité brute d'une histoire d'amour, de vie et d'amitié pas comme les autres et, paradoxalement, incroyablement empathique et universelle.
Condenser 20 ans et 14 chapitres de l'histoire profondément belle et déchirante de Emma et Dexter, en à peine deux heures de bobine, était une mission que Lone Scherfig ne pouvait mener à bien, même avec la plus merveilleuse des muses (Queen Anne Hathaway, avec un accent un brin charcuté) et la plus sincère des motivations du monde.
Immense - et mérité - carton de Normal People oblige (le roman de Sally Rooney doit d'ailleurs beaucoup à celui de Nicholls), l'idée d'une adaptation sur le petit écran à donc vite fait son nid du côté de la plateforme au Toudoum Netflix et, miracle, justice a (enfin) été rendue tant la structure épisodique conçue par Nicole Taylor se prête à merveille au matériau d'origine, et son histoire etalée sur deux décennies, avec un instantané d'une seule journée par année - le 15 juillet, la Saint-Swithin.
Une structure qui permet à chaque journée/épisode de pouvoir respirer au moins autant qu'à son auditoire de pouvoir pleinement s'ancrer dans la dynamique changeante et enivrante de la relation nébuleuse qui unit ses deux personnages titres, de plonger dans l'intimité profonde de leur union et de leurs aspirations, de leurs desirs de jeunesse comme de leurs frustrations blasées une fois pleinement ancrés dans l'âge adulte.
La relation de Dex et Emma commence par une aventure d'un soir ratée au lendemain de leur diplôme universitaire, et après des débuts sensiblement inconfortables, les deux finissent par établir un lien puissant en basant leur nuit non pas sur le sexe, mais sur des conversations intimes sur leur aspirations et leurs avenirs.
C'est au fil du temps, que la dynamique des sentiments et du pouvoir évoluent entre eux : si dans un premier temps, c'est Emma, dont l'estime de soi est proche du néant, qui se languit d'un Dex qui s'épanouit professionnellement (en tant qu'animateur télé); les rôles vont ensuite s'inverser lorsqu'elle deviendra une écrivaine publiée et que lui enchaînera les tragédies personnelles, et s'enfoncera dans une spirale autodestructrice.
Et c'est ce qui rend cette histoire, littéraire comme télévisuelle (puisque les petites disgressions/modifications sont en totale adéquation avec le roman), profondément captivante, cette capacité à enchaîner les allers-retours entre chacun des personnages sans que l'un ne supplante l'autre, pour mieux les nouer au sein d'une romance à la fois horriblement maladroite et tragiquement mélancolique, parce que toute en nostalgie, en frustration et en romantisme désespéré, parce qu'aucun n'arrive à être pleinement honnête l'un envers l'autre au sujet de leurs sentiments (quitte à humilier l'autre, surtout Dex qui est profondément irritant lorsqu'Emma lui avoue son béguin passé, annihilant/ridiculisant toute possibilité d'exprimer son amour au présent).
Et il n'y a rien de plus déprimant que de les voir se punir, se mentir autant à eux-mêmes qu'à l'autre, et de jamais pouvoir trouver le moment opportun pour avoir le courage de rompre cette malédiction.
C'est ce cocktail furieusement précaire, cette propension à rendre chaque sentiment blessé de ses personnages en une vraie expérience émotionnelle à part entière pour le spectateur, qui fait de Un Jour version télévisé un petit miracle déchirant et doux-amer, qui fait intelligemment perdurer la flamme d'un amour supposément impossible par quelques éclairs de tendresses éphémères, dans l'océan de douleur qu'est la (leur) vie.
Un immense chagrin d'amour sur 14 épisodes en somme, qui profite de chaque seconde de bobine qui lui est alloué, pour mieux nous faire ressentir sa beauté autant que sa tragédie, celle de deux âmes qui ont perdu beaucoup de temps à la fois avec et sans l'autre, jusqu'à ce que l'inéluctabilité du destin ne les (nous) rattrape.
En ce sens, la série corrige habilement quelques manques du roman de Nicholls, notamment dans le deuil insondable et autodestructeur de Dex, qui s'imagine cette fois parler avec le fantôme d'Emma (alors qu'il ressent une profonde culpabilité d'avoir essayé d'avancer ou d'être heureux sans elle), parce qu'il ne peut pas avancer dans son avenir sombre sans elle, même si elle n'est plus là.
Ce n'est pas la seule amélioration salutaire apporté à l'histoire originale, qu'elles soient sans véritable incidence (l'héritage culturel d'Emma, une chronologie légèrement modifiée) ou joliment consistantes, allant de la relation entre Emma et Tilly (mais aussi son propre mariage avec l'hilarant Graham, et non Malcolm), au fait qu'Emma meurt beaucoup plus vite (ajoutant encore un peu plus de cruauté à leur tragédie romantique), sans oublier l'absence de Maddy dans l'équation (permettant ainsi à Dex de se remettre seul, et sans l'artifice facile d'un nouveau rebond amoureux).
Magnifié par l'alchimie et le magnétisme pur du duo Leo Woodall et Ambika Mod, Un Jour se fait une intelligente et crédible adaptation, loin d'être précipité comme son pendant cinéma, un bonbon réconfortant et débordant d'émotion qui met tendrement nos cœurs en pièce.
La première série réellement addictive de 2024 est là.
Jonathan Chevrier
Quiconque s'est laissé aller à la lecture du magnifique et doux-amer Un Jour de David Nicholls, à très vite su - et à raison - que le septième art n'était pas assez grand pour capturer la vulnérabilité et la densité brute d'une histoire d'amour, de vie et d'amitié pas comme les autres et, paradoxalement, incroyablement empathique et universelle.
Condenser 20 ans et 14 chapitres de l'histoire profondément belle et déchirante de Emma et Dexter, en à peine deux heures de bobine, était une mission que Lone Scherfig ne pouvait mener à bien, même avec la plus merveilleuse des muses (Queen Anne Hathaway, avec un accent un brin charcuté) et la plus sincère des motivations du monde.
Copyright Ludovic Robert/Netflix |
Immense - et mérité - carton de Normal People oblige (le roman de Sally Rooney doit d'ailleurs beaucoup à celui de Nicholls), l'idée d'une adaptation sur le petit écran à donc vite fait son nid du côté de la plateforme au Toudoum Netflix et, miracle, justice a (enfin) été rendue tant la structure épisodique conçue par Nicole Taylor se prête à merveille au matériau d'origine, et son histoire etalée sur deux décennies, avec un instantané d'une seule journée par année - le 15 juillet, la Saint-Swithin.
Une structure qui permet à chaque journée/épisode de pouvoir respirer au moins autant qu'à son auditoire de pouvoir pleinement s'ancrer dans la dynamique changeante et enivrante de la relation nébuleuse qui unit ses deux personnages titres, de plonger dans l'intimité profonde de leur union et de leurs aspirations, de leurs desirs de jeunesse comme de leurs frustrations blasées une fois pleinement ancrés dans l'âge adulte.
La relation de Dex et Emma commence par une aventure d'un soir ratée au lendemain de leur diplôme universitaire, et après des débuts sensiblement inconfortables, les deux finissent par établir un lien puissant en basant leur nuit non pas sur le sexe, mais sur des conversations intimes sur leur aspirations et leurs avenirs.
Copyright Matt Towers/Netflix |
C'est au fil du temps, que la dynamique des sentiments et du pouvoir évoluent entre eux : si dans un premier temps, c'est Emma, dont l'estime de soi est proche du néant, qui se languit d'un Dex qui s'épanouit professionnellement (en tant qu'animateur télé); les rôles vont ensuite s'inverser lorsqu'elle deviendra une écrivaine publiée et que lui enchaînera les tragédies personnelles, et s'enfoncera dans une spirale autodestructrice.
Et c'est ce qui rend cette histoire, littéraire comme télévisuelle (puisque les petites disgressions/modifications sont en totale adéquation avec le roman), profondément captivante, cette capacité à enchaîner les allers-retours entre chacun des personnages sans que l'un ne supplante l'autre, pour mieux les nouer au sein d'une romance à la fois horriblement maladroite et tragiquement mélancolique, parce que toute en nostalgie, en frustration et en romantisme désespéré, parce qu'aucun n'arrive à être pleinement honnête l'un envers l'autre au sujet de leurs sentiments (quitte à humilier l'autre, surtout Dex qui est profondément irritant lorsqu'Emma lui avoue son béguin passé, annihilant/ridiculisant toute possibilité d'exprimer son amour au présent).
Et il n'y a rien de plus déprimant que de les voir se punir, se mentir autant à eux-mêmes qu'à l'autre, et de jamais pouvoir trouver le moment opportun pour avoir le courage de rompre cette malédiction.
Copyright Matt Towers/Netflix |
C'est ce cocktail furieusement précaire, cette propension à rendre chaque sentiment blessé de ses personnages en une vraie expérience émotionnelle à part entière pour le spectateur, qui fait de Un Jour version télévisé un petit miracle déchirant et doux-amer, qui fait intelligemment perdurer la flamme d'un amour supposément impossible par quelques éclairs de tendresses éphémères, dans l'océan de douleur qu'est la (leur) vie.
Un immense chagrin d'amour sur 14 épisodes en somme, qui profite de chaque seconde de bobine qui lui est alloué, pour mieux nous faire ressentir sa beauté autant que sa tragédie, celle de deux âmes qui ont perdu beaucoup de temps à la fois avec et sans l'autre, jusqu'à ce que l'inéluctabilité du destin ne les (nous) rattrape.
En ce sens, la série corrige habilement quelques manques du roman de Nicholls, notamment dans le deuil insondable et autodestructeur de Dex, qui s'imagine cette fois parler avec le fantôme d'Emma (alors qu'il ressent une profonde culpabilité d'avoir essayé d'avancer ou d'être heureux sans elle), parce qu'il ne peut pas avancer dans son avenir sombre sans elle, même si elle n'est plus là.
Copyright Ludovic Robert/Netflix |
Ce n'est pas la seule amélioration salutaire apporté à l'histoire originale, qu'elles soient sans véritable incidence (l'héritage culturel d'Emma, une chronologie légèrement modifiée) ou joliment consistantes, allant de la relation entre Emma et Tilly (mais aussi son propre mariage avec l'hilarant Graham, et non Malcolm), au fait qu'Emma meurt beaucoup plus vite (ajoutant encore un peu plus de cruauté à leur tragédie romantique), sans oublier l'absence de Maddy dans l'équation (permettant ainsi à Dex de se remettre seul, et sans l'artifice facile d'un nouveau rebond amoureux).
Magnifié par l'alchimie et le magnétisme pur du duo Leo Woodall et Ambika Mod, Un Jour se fait une intelligente et crédible adaptation, loin d'être précipité comme son pendant cinéma, un bonbon réconfortant et débordant d'émotion qui met tendrement nos cœurs en pièce.
La première série réellement addictive de 2024 est là.
Jonathan Chevrier