[CRITIQUE] : Camila sortira ce soir
Réalisatrice : Inés María Barrionuevo
Avec : Nina Dziembrowski, Adriana Ferrer, Carolina Rojas, Federico Sack, Maite Valero, …
Distributeur : Outplay Films
Budget : -
Genre : Drame, Romance
Nationalité : Argentin
Durée : 1h43min
Synopsis :
Lorsque sa grand-mère tombe gravement malade, Camila doit déménager à Buenos Aires avec sa mère et sa sœur. Elle quitte alors son lycée public pour une institution privée très traditionaliste. Dans ce milieu hostile, elle fait la rencontre de Clara, une camarade de classe qui cache un secret. Une révolution féministe est sur le point de commencer.
Critique :
Au diapason avec son héroïne, qu’on a du mal à cerner, #CamilaSortiraCeSoir s’avère opaque. Peut-être parce qu’il veut joliment se détacher des coming of age convenus pour proposer une vision plus nuancée, mélancolique et grave de la jeunesse. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/LWdIvXK1IV
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) June 6, 2023
Le cinéma sud-américain s’est emparé du thème de l’adolescence ces dernières années. Comment la nouvelle génération révolutionne le corps, la sexualité, la politique dans des cadres souvent religieux et réactionnaires. Peut-être se lasse-t-on un peu de ces films qui, même s’ils portent un sujet important, semblent interchangeables. Il faut pourtant les voir pour ce qu’ils sont : des porte-étendards d’une jeunesse qui combat les injonctions sur leur corps, les discriminations et les idéaux d’une politique d’extrême-droite. Le quatrième long métrage de la réalisatrice argentine, Inés María Barrionuevo, se place dans cette lignée.
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Camila sortira ce soir. Le titre du film, une traduction littérale du titre original, pose le ton. Camila est une adolescente qui observe et juge d’un œil sévère tout ce qui est à l’opposé de ses convictions. Le personnage devient intéressant à mesure que le film lui donne l’espace pour exprimer ses émotions et sa vision politique. Beaucoup plus ambivalente que ne laissait prévoir le récit, Camila porte une certaine cruauté vis-à-vis des adultes, qu’elle laisse échapper par petites touches. Un regard scrutateur, des mots-couteaux qui égratignent, une nonchalance millimétrée. Qu’importe son environnement, fait de devoirs plus que de droits, Camila fait et fera ce qu’elle veut. Cette arrogance, totalement assumée par le personnage et par le film, assure à celui-ci un ton original par rapport à d’autres films du même acabit.
Nous comprenons cependant la colère sous-jacente du personnage. Le début du film nous présente une adolescente politisée et libre de s'en revendiquer. Fuyant une répression policière suite à une manifestation, Camila et son petit groupe d'ami⋅es se réfugient dans un musée. Un lieu symbolique où la parole est libérée parmi les récits de ceux et surtout celles qui n’ont pas eu cette chance. Et d’un coup, tout change. Camila est obligée de partir de La Plata, une ville de province, pour s’installer à Buenos Aires avec sa mère et sa petite sœur. Elles déménagent chez sa riche grand-mère sur le point de mourir. Camila doit troquer son crop top pour l’uniforme austère d’une école catholique. Neutralité totale annonce le directeur à la vue du foulard vert sur le sac de Camila (symbole du combat pour le droit à l’avortement en Argentine). Pas de discours politique revendiqué, pas de militantisme voyant. Il faut garder profil bas. Cette neutralité religieuse se révélera (évidemment) fictive quand l’école sera face à un cas d’agression sexuelle (une neutralité qui, au contraire, protège les agresseurs). Par rapport à sa bande de La Plata, les nouveaux ami⋅es de Camila doivent se créer des lieux pour être eux-mêmes. Des lieux principalement queer, sombre, secret, pour ne pas se faire prendre. C’est dans cette même veine que Camila fait sienne la chambre de sa grand-mère (l’accès lui est pourtant interdit), dont elle se sert pour inviter son amie Clara et coucher avec elle.
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Au diapason avec son héroïne, qu’on a du mal à cerner, Camila sortira ce soir s’avère opaque. Peut-être parce qu’il veut se détacher des coming of age convenus pour proposer une vision plus nuancée de la jeunesse. Le ton est plus grave, la mise en scène plus mélancolique, le ton parfois lugubre. Les personnages errent entre plusieurs univers sans forcément s’accrocher quelque part. Aucun échappatoire ne semble se détacher dans ce film sombre où seule la nuit apporte une lumière diffuse, avec des touches de vert (pour rappeler la couleur du foulard). C'est dans la révolte que les personnages se dévoilent enfin, sortant de l’obscurité pour s’habiller de fumée verte. Dans le regard fier d’une mère se niche peut-être le véritable propos du film : c’est avec cette génération (et celles à venir) que nous sortirons de l’inaction.
Laura Enjolvy