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[CRITIQUE] : Fairytale



Réalisateur : Alexandre Sokourov
Avec : Igor GromovVakhtang Kuchava, Lothar Deeg,...
Distributeur : Les Films de l'Atalante
Budget : -
Genre : Expérimental.
Nationalité : Russe.
Durée : 1h18min.

Synopsis :
Il était une fois 2 vagabonds...non ils étaient trois, heu non quatre...et il y en avait d’autres, nombreux et différents. On les vit pendant longtemps, puis quelque chose se passa et ils disparurent. Et durant des années on n’en entendit plus parler. Mais depuis quelques temps, on entend des voix dans la nuit, des fragments de questions, des gémissements... de millions de voix. Cette nuit les tréfonds du ciel se sont ouverts…

Avec une œuvre picturale colossale, Alexandre Sokourov nous emporte dans les limbes, jusqu’aux portes du paradis.



Critique :


Rarement cité pour son importance tant son cinéma a sensiblement été éclipsé par plus populaire que lui (Kazalotov, Tarkovski, Kontchalovski, Menchov, Panfilov, Cheptiko,...), Alexandre Sokourov n'en est pas moins l'un des plus grands cinéastes russes ayant jamais foulé le sol du Kremlin, père d'un cinéma à part, singulier et sans compromis (quitte à brusquer son auditoire) une véritable épine dans le pied des autorités locales tant plusieurs de ses œuvres ont été interdites en Union soviétique.
Un homme profondément inspiré par la volonté de décortiquer spirituellement et cinématographiquement, les méandres de l'âme humaine au sein d'expériences intenses, déroutantes mais toujours captivantes dans leur manière de montrer combien le mal s'avère in fine, bien que l'on pense le contraire, plus fort que le bien tant il ne cesse continuellement de renaître de ses cendres, sous des formes diverses, pour tout détruire, encore et encore.

D'expérience à part, il en est évidemment question avec son ultime effort en date, Fairytale, un temps pensé pour figurer dans la sélection cannoise cuvée 2022, et qui sort ironiquement dans nos salles obscures au moment même où celle de 2023 est en passe de pointer le bout de son nez.
Sans nul pareil, fait d'animation, d'intégration/recyclage d'images d'archives et de décors tout droit sortis d'un tableau de Bosch, le film bouscule, déroute mais ne laisse jamais indifférent.

S'ouvrant sur une citation du Nouveau Testament aussi énigmatique qu'opaque, symbole de ce qui nous sera donné de voir pour le reste du long-métrage, le film se fait presque une continuité parfaite autant à Moloch, Taurus et Le Soleil d'un point de vue thématique, qu'à Francofonia dans sa dissolution iconographique et sa mise en exergue de la condition insaisissable des formes, formant une sorte de rêve délirant, de cauchemar effrayant où, plus simplement, d'un conte de fées moderne sur la nature tragique d'une humanité qui reproduit sans cesse ses erreurs.

SOKUROV FUND/LES FILMS DE L’ATALANTE

Il s'attaque à nouveau à sonder toutes les figures politiques de la Seconde Guerre mondiale - des personnages animés de Churchill, Hitler, Mussolini et Staline -, dans un purgatoire imaginaire où ils sont tous réduits à la banalité, expurgés de toute grandeur politique, des hommes mesquins et vengeurs qui se plaignent et tentent vainement de corriger ce qu'ils estiment être des " erreurs de jugements ", se complaisant dans une errance où il s'adressent à une foule qui les acclame chaque jour, avant de reprendre leur état léthargique.

En résulte une expérience aussi folle que volubile et formellement impressionnante (même si évidemment imparfaite), presque insaisissable, une hallucination embaumée dans un noir et blanc brumeux qui lui donne une allure profondément fantasmagorique où les personnages apparaissent comme des fantômes réduits à leurs légendes trompeuses, diminués par l'éternité et la nuit des temps.
Un songe où Sokourov théorise sur l'idée que la Seconde Guerre mondiale et ses ravages n'ont pas été la conséquence d'un enchaînement de causes et d'effets mais le fruit complexe et indéfinissable de l'intersections entre plusieurs figures bouffées par leur mythe.

Une farce et une tragédie à la fois (comme La Divine Comédie citée par Mussolini), tant elle pourrait se reproduire (et elle est peut-être déjà en train de le faire), une idée de répétition qui se loge partout, dans notre réalité et celle usée du film, un éternel recommencement contre lequel nous semblons incapable de faire quoi que ce soit, en admettant que nous voulions tous réellement l'endiguer...


Jonathan Chevrier


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