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[CRITIQUE] : Joyland


Réalisateur : Saim Sadiq
Avec : Ali Junejo, Alina Khan, Rasti Farooq, Sarwat Gilani,…
Distributeur : Condor Distribution
Budget : -
Genre : Drame ,Romance
Nationalité : Pakistanais
Durée : 2h06min

Synopsis :
A Lahore, Haider et son épouse cohabitent avec la famille de son frère au grand complet. Dans cette maison où chacun vit sous le regard des autres, Haider est prié de trouver un emploi et de devenir père. Le jour où il déniche un petit boulot dans un cabaret, il tombe sous le charme de Biba, danseuse sensuelle et magnétique. Alors que des sentiments naissent, Haider se retrouve écartelé entre les injonctions qui pèsent sur lui et l’irrésistible appel de la liberté.


Critique :


Dans son premier long métrage, Saim Sadiq s’emploie à peindre le portrait du Pakistan, tout en nuance et contradiction. Joyland explore les désirs enfermés dans la tradition et le patriarcat qui s'immisce dans chaque strate de la société.

© Condor Distribution

Il serait si simple de transformer les personnages du film en stéréotype. Le mari volage, la femme trompée, la maîtresse. S’il était question d’un adultère hétérosexuel, il serait de bon ton de fermer les yeux et de mettre cela sur les épaules des “besoins mâles”. Dans Joyland, cependant, l’adultère se place hors des barrières hétéronormatives. Il s’agit d’un adultère queer, alors que le personnage principal, Haider, découvre un monde nouveau et un désir qui le pousse loin du carcan familial étouffant.

Le cinéaste veut rendre aussi vivant que possible ses personnages. La mise en scène tourne autour du corps et de ses fluides. Le film s’ouvre sur une poche des eaux qui éclabousse le sol de la cuisine. Puis c’est du sang sur une chemise. Le sang d’une chèvre sur le sol. Puis c’est la transpiration, liée à la chaleur, à l’exercice physique ou pour exprimer le désir sexuel. Saim Sadiq met l’accent sur le corps en mouvement quand Haider découvre la danse lorqu’il postule dans un cabaret érotique. C’est aussi par la danse que l’on découvre Biba, femme trans et danseuse du cabaret. Ces corps, enfermés dans des normes restrictives, se libèrent quand ils dansent. Il nous paraît logique que Haider et Biba se rapprochent par ce biais. Leur corps ne mentent pas, ils expriment des choses qui ne peuvent être dites à l’oral. Si Haider ne peut s’affirmer dans sa vie et/ou dans sa sexualité comme il l’entend (surtout dans la sphère familiale), Biba, au contraire, s’affirme au grand jour. Son affiche grandeur nature, que doit trimbaler Haider en pleine nuit, est la parfaite représentation de cette recherche de lumière. Elle choisit l’extravagance car elle sait qu’elle serait invisibilisée sans cela, en tant que femme mais surtout en tant que femme trans.

© Condor Distribution

Si Haider connaît l’épanouissement dans son nouveau travail, sa femme, Mumtaz dépérit à mesure que son mari explore son désir ailleurs. C’est la force de Joyland, son idée majeure, de montrer qu’au sein d’un système patriarcal, l’épanouissement ne peut être collectif, il est individualiste. Avant, c’était Mumtaz qui pouvait s’émanciper (à moindre mesure) hors de la maison, dans un travail qu’elle adorait. Elle doit le laisser tomber le jour où Haider est embauché au cabaret, parce que le couple peut enfin se conformer aux règles : l’homme rapporte l’argent, la femme gère le foyer. En explorant les trois branches de ce triangle amoureux, Saim Sadiq souligne les méfaits d’une société basée sur des normes : personne ne peut en ressortir gagnant, pas même les hommes.

Avec une mise en scène qui épouse autant le mouvement du corps que la parfaite immobilité de la sphère familiale, Joyland s’apparente à une attraction (le film tient son nom du parc d’attraction de la ville de Lahore) : des pures moments d’euphories où se mêlent excitation et peur à la montée, puis la mélancolie, l’amertume voire la dépression à la descente ; la vie comme une montagne russe contrôlée par les mœurs sociétales.


Laura Enjolvy


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