[INSTANT LITTÉRATURE] : #1. J’ai tué Phil Shapiro (Ethan Coen)
Voilà une manière polie de dire " qu'est-ce qu'on est en train de foutre ", mais à une heure ou la littérature n'a jamais autant été liée au septième art (ah, Hollywood et son manque d'originalité...), nous avons trouvé de bon ton, en temps que media, de voir un petit peu plus loin que le bout de notre plume, et d'élargir notre prisme de partage culturel en papotant littérature donc, sans pour autant que cela soit lié au cinéma - même si cela arrivera certainement souvent.
Armez-vous de vos lunettes, d'un marque-page et d'un potentiel chèque-cadeau FNAC pour faire vos emplettes, et lisez un brin nos recommandations littéraires pleines d'amour, au coeur de notre nouvelle section : Instant Littérature !
#1. J'ai Tué Phil Shapiro d'Ethan Coen
On connait les frères Coen pour leur riche filmographie : Fargo, The Big Lebowski ou encore No Country for Old Men pour ne citer que ceux-là. En revanche, leurs projets loin des plateaux de cinéma semblent plus confidentiels aux yeux du grand public. Ethan Coen, le cadet qui semble à l’heure actuelle ne plus vouloir faire des films, a écrit à plusieurs reprises pour le théâtre et s’était également intéressé à la littérature. En effet, en 1998, il a publié son seul livre à ce jour, à savoir un recueil de nouvelles intitulé J’ai tué Phil Shapiro (Gates of Eden, titre faisant probablement référence à une chanson de Bob Dylan).
On retrouve dans ces différentes nouvelles l’univers cinématographique des frères Coen : un mélange entre l’humour et violence, des juifs issus de la classe moyenne habitant dans le Midwest (là où les deux réalisateurs ont passé leur enfance), des losers se retrouvant dans des situations absurdes et des dialogues aux petits oignons. Par ailleurs, en parlant de dialogues, certaines nouvelles sont quasiment présentées comme des scripts. Bref, les fans des Coen y trouveront certainement leur compte le temps de cette lecture qui provoquera indéniablement des souvenirs, une envie même de se plonger de nouveau dans leurs films.
Le recueil de nouvelles, c’est un peu comme les films à sketchs (par ailleurs, pas étonnant que les frangins aient signé La Ballade de Scruggs) : on a souvent droit des histoires meilleures que d’autres. C’est particulièrement le cas dans J’ai tué Phil Shapiro. Certes, ce recueil est globalement assez plaisant. On passe volontiers d’une histoire à l’autre, on se marre même plutôt bien en lisant certains récits (Ils ont ça dans le sang, une histoire de détective privé devenu sourd particulièrement hilarante !). Mais une fois le recueil fermé et terminé, on s’aperçoit qu’il est rapidement oubliable. Un peu dommage, surtout quand on sait à quel point les frères Coen ont signé des films mémorables.
REUTERS/David McNew |
L’écriture de nouvelles n’est évidemment pas similaire à la conception d’un long-métrage même si cela paraît évident. La mise en images joue indéniablement un rôle crucial dans le cinéma des Coen et on ne peut pas limiter leur travail par les différents ingrédients énumérés plus haut. Au fond, c’est peut-être ce qui manque dans les différentes nouvelles du recueil. Certes, Ethan Coen parvient à recréer une ambiance proche de ses propres films, le lecteur – et en particulier le lecteur-cinéphile - peut facilement identifier un certain « parler » et visualiser un minimum des types de personnages. Mais au fond, cette restitution visuelle via le pouvoir des mots reste assez limitée. Ethan Coen se concentre certainement trop sur le parler des personnages (en utilisant un registre familier sur un rythme rapide) au lieu de se concentrer sur tout le reste. Par conséquent, certains textes sont parfois étouffés par ces enchaînements de mots souvent narrés à la première personne. Cela explique pourquoi beaucoup de textes, pourtant sympathiques sur le moment, semblent nous échapper.
On remarquera un choix assez ironique de la part des éditeurs concernant le titre du recueil, différent en fonction du pays de publication. En effet, la nouvelle Gates of Eden (titre du recueil en version originale), qui trouve un juste équilibre entre l’humour et le pathétique, fait partie des textes les plus captivants d’Ethan Coen. Quant au texte J’ai tué Phil Shapiro (titre du recueil en version française), qui apparaît par ailleurs en premier parmi quatorze nouvelles, il n’est pas aussi intéressant qu’on l’aurait espéré malgré un titre pourtant intriguant et surtout assez représentatif concernant la violence traversant la plupart des récits.
J’ai tué Phil Shapiro est un recueil de nouvelles agréable mais il ne marquera pas les esprits. Néanmoins, le premier et unique essai d’Ethan Coen en tant qu’écrivain était réellement prometteur (et cela est même regrettable qu’il n’ait pas renouvelé l’expérience) même si le résultat est assez frustrant.
Tinalakiller