[CRITIQUE] : West Side Story
Réalisateur : Steven Spielberg
Avec : Ansel Elgort, Rachel Zegler, Ariana DeBose, David Alvarez, Rita Moreno,...
Distributeur : The Walt Disney Company France
Budget : -
Genre : Romance, Musical.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h37min
Synopsis :
West Side Story raconte l’histoire légendaire d’un amour naissant sur fond de rixes entre bandes rivales dans le New York de 1957.
Critique :
Si l'on pouvait douter autant de la pertinence que de l'intelligence de la relecture du mythe West Side Story par Steven Spielberg, les premières secondes du film ne laisse aucune place au doute : le cinéaste sait exactement ce qu'il fait, et s'il a convoqué à nouveau à ses côtés (après Munich et Lincoln) la plume du dramaturge Tony Kushner, c'est autant pour offrir un hommage émouvant à la comédie musicale de Leonard Bernstein et Stephen Sondheim, qu'une réimagination grandiose du film de Robert Wise.
Ici, dès le premier plan, le sempiternel affrontement entre les Jets et Sharks semble terminé avant même d'avoir commencé : un quartier en ruine, semblant tout droit sortie d'un décor d'une Seconde Guerre mondiale si chère à la filmographie du papa d'E.T.
C'est un changement cataclysmique en comparaison de l'exubérance juvénile et emblématique qui ouvrait le film de Wise, une étreinte douloureuse et dénué de pirouettes gracieuses tant il fait instinctivement de son cadre désolé et dévasté, le miroir de notre présent, avec une image moralement plus grise et inquietante de Riff (Mike Faist, LA révélation du métrage en figure tragique s'accrochant à la seule chose qu'il a : son gang) et des Jets (pensez " Make America Great Again ").
Commence alors une rivalité plus viscérale et même parfois violente entre les Sharks et les Jets de cette version 2021, dont les événements qui en découlent dévoilent la véritable intention de Spielberg, tant il reprend ici son costume de conscience cinématographique de l'Amérique (abandonné depuis Lincoln), se tournant vers l'iconographie de son passé trouble pour mieux commenter son présent plein d'amertume entre lutte des classes, peur de l'autre (racisme, repli sur soi, communautarisme, violence décomplexée, virilisme,...) et injustices sociales.
Totalement conscient que le processus de revisiter les paramètres historiques - ou même la propriété intellectuelle - d'une oeuvre populaire pour lui donner une certaine modernité dans le propos, est aussi vieux que le cinéma lui-même (après tout, West Side Story est lui-même une relecture moderne de Roméo et Juliette), Spielberg transcende le procédé en engageant constamment sa vision au profit d'un dialogue constant avec l'Amérique d'aujourd'hui, comme il l'avait déjà fait au cours de la dernière décennie.
À la veille du deuxième mandat d'Obama, il exprimait avec Lincoln sa croyance intime en la démocratie et la nécessité des présidences contemporaines à oublier leur politique tribalisme pour voguer vers quelques choses de plus égalitaires; avec Pentagon Papers, il pointait l'importance d'une presse libre à un moment où la présidence américaine usait de méthodes subreptices et répressives pour la faire taire.
Cette fois, c'est vers un quotidien douloureusement familier qu'il renvoie son spectateur, tant le crime de haine perpétré par les Jets renvoie au sectarisme, au racisme anti-immigré (puisqu'ici il n'est question que de la communauté portoricaine), à la xénophobie et aux préjugés qui ont flambés pendant les années Trump, et qui continuent de perdurer même si sa présidence singulière est désormais du passé.
Utilisant autant ses dons de cinéaste populiste et commercial (sublimés aussi bien par la photographie onirique de Janusz Kaminski, que le travail titanesque sur les décors et les costumes d'Adam Stockhausen et Paul Tazewell), que la plume affûtée d'un Kushner qui donne résolument plus de nuances et de subtilité au scénario d'Ernest Lehman (mais aussi plus d'authenticité dans ses émotions brutes et follement empathiques), Spielberg donne une énergie encore plus viscérale aux thèmes chers de West Side Story, réorganise de manière bénéfique l'ordre des chansons (en fonction des arcs de ses personnages) tout en donnant plus de colère à son cadre mais aussi plus de profondeur et de perspicacité à ses deux côtés opposés (sans même se limiter par le dictat des sous-titres, pour être encore plus cohérent avec son parti-pris historique et réaliste), là où les Sharks étaient clairement moins bien servis dans le film de 1961.
Dès lors, le personnage d'Anita en sort résolument grandit (d'autant qu'Ariana DeBose crève littéralement l'écran), plus complexe et désireuse de bouffer l'American Dream par la racine, idem pour celui de Bernardo qui n'est plus uniquement qu'un simple grand frère protecteur (excellent David Alvarez), mais surtout Anybodys, à l'approche plus réfléchie et à la transidentité affirmée et assumée (notamment via une scène d'acceptation émouvante).
Deux camps d'un même versant de l'Amérique : celle des oubliés/laissés-pour-compte, des " enfants perdus " si chers à Spielby, victimes de la gentrification (qui les a contrainte à s'affronter et à se détester) et d'une éducation a la dérive (familiale comme institutionnelle), dont la haine - raciale et tout simplement contre le système - et même la masculinité toxique (le cinéma du cinéaste a toujours été parcouru par la critique du virilisme), n'est le fruit d'une misère sociale qui les suit depuis toujours.
Et pourtant même avec ce récit incroyablement dense, Spielberg ne perd jamais le fil de sa romance, embouteillant avec douceur l'ivresse éphémère de la passion condamnée qui unit Maria et Tony (Ansel Egort, convaincant même s'il est le maillon le plus faible de l'histoire), petite bulle de légèreté et de nostalgie dans un océan de violence, ou deux âmes pures deviennent involontairement les victimes de leur attraction sincère mais interdite.
Déroulant sa bosse sans véritable tant mort avec une direction merveilleusement saisissante et dynamique (qu'il s'agisse d'échanges de dialogues passionnés ou de numéros musicaux réinventés et brillamment orchestrés, Spielberg en fait un véritable régal visuel autant qu'un récital de mise en scène et de gestion des espaces), jusqu'à son inévitable dénouement, West Side Story sauce 2021 est aussi somptueusement entraînant et enthousiasmant que douloureusement amer.
Si le papa de Jurassic Park s'échine comme un beau diable à nous faire ressentir la joie immense qu'il a de croquer une pièce complémentaire éblouissante à l'oeuvre original, il sait pertinemment que son talent édifiant pour retranscrire ses perceptions socio-politiques, à un revers de la médaille cuisant : s'il fait entrer la magie dans une salle obscure, la haine, la colère et la peur qui ont poussé ces personnages au pire à l'écran, existe toujours autant à l'extérieur.
" L'America " d'Anita, n'est malheureusement qu'un fantasme...
Jonathan Chevrier
Avec : Ansel Elgort, Rachel Zegler, Ariana DeBose, David Alvarez, Rita Moreno,...
Distributeur : The Walt Disney Company France
Budget : -
Genre : Romance, Musical.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h37min
Synopsis :
West Side Story raconte l’histoire légendaire d’un amour naissant sur fond de rixes entre bandes rivales dans le New York de 1957.
Critique :
Avec #WestSideStory, Spielberg (re)devient la conscience cinématographique de l'Amérique et se tourne à nouveau vers l'iconographie de son passé pour mieux commenter l'amertume de son présent, entre lutte des classes, peurs et injustices sociales, dans un superbe spectacle total. pic.twitter.com/sfPcsSMJIx
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) December 2, 2021
Si l'on pouvait douter autant de la pertinence que de l'intelligence de la relecture du mythe West Side Story par Steven Spielberg, les premières secondes du film ne laisse aucune place au doute : le cinéaste sait exactement ce qu'il fait, et s'il a convoqué à nouveau à ses côtés (après Munich et Lincoln) la plume du dramaturge Tony Kushner, c'est autant pour offrir un hommage émouvant à la comédie musicale de Leonard Bernstein et Stephen Sondheim, qu'une réimagination grandiose du film de Robert Wise.
Ici, dès le premier plan, le sempiternel affrontement entre les Jets et Sharks semble terminé avant même d'avoir commencé : un quartier en ruine, semblant tout droit sortie d'un décor d'une Seconde Guerre mondiale si chère à la filmographie du papa d'E.T.
C'est un changement cataclysmique en comparaison de l'exubérance juvénile et emblématique qui ouvrait le film de Wise, une étreinte douloureuse et dénué de pirouettes gracieuses tant il fait instinctivement de son cadre désolé et dévasté, le miroir de notre présent, avec une image moralement plus grise et inquietante de Riff (Mike Faist, LA révélation du métrage en figure tragique s'accrochant à la seule chose qu'il a : son gang) et des Jets (pensez " Make America Great Again ").
Copyright Twentieth Century Fox |
Commence alors une rivalité plus viscérale et même parfois violente entre les Sharks et les Jets de cette version 2021, dont les événements qui en découlent dévoilent la véritable intention de Spielberg, tant il reprend ici son costume de conscience cinématographique de l'Amérique (abandonné depuis Lincoln), se tournant vers l'iconographie de son passé trouble pour mieux commenter son présent plein d'amertume entre lutte des classes, peur de l'autre (racisme, repli sur soi, communautarisme, violence décomplexée, virilisme,...) et injustices sociales.
Totalement conscient que le processus de revisiter les paramètres historiques - ou même la propriété intellectuelle - d'une oeuvre populaire pour lui donner une certaine modernité dans le propos, est aussi vieux que le cinéma lui-même (après tout, West Side Story est lui-même une relecture moderne de Roméo et Juliette), Spielberg transcende le procédé en engageant constamment sa vision au profit d'un dialogue constant avec l'Amérique d'aujourd'hui, comme il l'avait déjà fait au cours de la dernière décennie.
À la veille du deuxième mandat d'Obama, il exprimait avec Lincoln sa croyance intime en la démocratie et la nécessité des présidences contemporaines à oublier leur politique tribalisme pour voguer vers quelques choses de plus égalitaires; avec Pentagon Papers, il pointait l'importance d'une presse libre à un moment où la présidence américaine usait de méthodes subreptices et répressives pour la faire taire.
Cette fois, c'est vers un quotidien douloureusement familier qu'il renvoie son spectateur, tant le crime de haine perpétré par les Jets renvoie au sectarisme, au racisme anti-immigré (puisqu'ici il n'est question que de la communauté portoricaine), à la xénophobie et aux préjugés qui ont flambés pendant les années Trump, et qui continuent de perdurer même si sa présidence singulière est désormais du passé.
Copyright Twentieth Century Fox |
Utilisant autant ses dons de cinéaste populiste et commercial (sublimés aussi bien par la photographie onirique de Janusz Kaminski, que le travail titanesque sur les décors et les costumes d'Adam Stockhausen et Paul Tazewell), que la plume affûtée d'un Kushner qui donne résolument plus de nuances et de subtilité au scénario d'Ernest Lehman (mais aussi plus d'authenticité dans ses émotions brutes et follement empathiques), Spielberg donne une énergie encore plus viscérale aux thèmes chers de West Side Story, réorganise de manière bénéfique l'ordre des chansons (en fonction des arcs de ses personnages) tout en donnant plus de colère à son cadre mais aussi plus de profondeur et de perspicacité à ses deux côtés opposés (sans même se limiter par le dictat des sous-titres, pour être encore plus cohérent avec son parti-pris historique et réaliste), là où les Sharks étaient clairement moins bien servis dans le film de 1961.
Dès lors, le personnage d'Anita en sort résolument grandit (d'autant qu'Ariana DeBose crève littéralement l'écran), plus complexe et désireuse de bouffer l'American Dream par la racine, idem pour celui de Bernardo qui n'est plus uniquement qu'un simple grand frère protecteur (excellent David Alvarez), mais surtout Anybodys, à l'approche plus réfléchie et à la transidentité affirmée et assumée (notamment via une scène d'acceptation émouvante).
Deux camps d'un même versant de l'Amérique : celle des oubliés/laissés-pour-compte, des " enfants perdus " si chers à Spielby, victimes de la gentrification (qui les a contrainte à s'affronter et à se détester) et d'une éducation a la dérive (familiale comme institutionnelle), dont la haine - raciale et tout simplement contre le système - et même la masculinité toxique (le cinéma du cinéaste a toujours été parcouru par la critique du virilisme), n'est le fruit d'une misère sociale qui les suit depuis toujours.
Copyright Twentieth Century Fox |
Et pourtant même avec ce récit incroyablement dense, Spielberg ne perd jamais le fil de sa romance, embouteillant avec douceur l'ivresse éphémère de la passion condamnée qui unit Maria et Tony (Ansel Egort, convaincant même s'il est le maillon le plus faible de l'histoire), petite bulle de légèreté et de nostalgie dans un océan de violence, ou deux âmes pures deviennent involontairement les victimes de leur attraction sincère mais interdite.
Déroulant sa bosse sans véritable tant mort avec une direction merveilleusement saisissante et dynamique (qu'il s'agisse d'échanges de dialogues passionnés ou de numéros musicaux réinventés et brillamment orchestrés, Spielberg en fait un véritable régal visuel autant qu'un récital de mise en scène et de gestion des espaces), jusqu'à son inévitable dénouement, West Side Story sauce 2021 est aussi somptueusement entraînant et enthousiasmant que douloureusement amer.
Si le papa de Jurassic Park s'échine comme un beau diable à nous faire ressentir la joie immense qu'il a de croquer une pièce complémentaire éblouissante à l'oeuvre original, il sait pertinemment que son talent édifiant pour retranscrire ses perceptions socio-politiques, à un revers de la médaille cuisant : s'il fait entrer la magie dans une salle obscure, la haine, la colère et la peur qui ont poussé ces personnages au pire à l'écran, existe toujours autant à l'extérieur.
" L'America " d'Anita, n'est malheureusement qu'un fantasme...
Jonathan Chevrier