[CRITIQUE] : The Substance
Réalisatrice : Coralie Fargeat
Acteurs : Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid, Hugo Diego Garcia,...
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget :
Genre : Comédie Dramatique, Épouvante-horreur.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h20min.
Synopsis :
Ce film est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2024.
AVEZ-VOUS DÉJÀ RÊVÉ D’UNE MEILLEURE VERSION DE VOUS-MÊME ?
Vous devriez essayer ce nouveau produit: The Substance
CA A CHANGÉ MA VIE.
Avec The Substance, vous pouvez générer une autre version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite…
Il suffit de partager le temps.
Une semaine pour l’une, une semaine pour l’autre.
Un équilibre parfait de sept jours.
Facile n’est-ce pas ?
Si vous respectez les instructions, qu’est ce qui pourrait mal tourner ?
Critique :
Il est de ses films si parfaitement en phase avec mes maux intérieurs qu’il est difficile de ne pas employer la première personne du singulier pour en parler. Et pourtant, si je n’ai rien contre ce pronom, je n’aime pas tant que ça utiliser ce “je” si controversé. Une pensée personnelle bien agencée peut se comprendre et s’énoncer sans ce pronom si simple. Seulement parfois, mon rapport à un film est si complexe, si personnel et si désarmant qu’il est nécessaire de recourir au mot interdit. The Substance fait partie de ses films.
Elizabeth Sparkle (Demi Moore) est une actrice populaire vieillissante qui vient de se faire virer de son émission d'aérobic. Elle découvre l'existence d’une substance qui donne vie à une meilleure version d’elle-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite : Sue (Margaret Qualley). Coralie Fargeat invoque tout autant Dorian Gray que David Cronenberg dans cette fable des temps modernes.
Derrière une histoire d’une grande simplicité, se trouve une grenade prête à exploser. Un mélange détonnant d’humour noir, de grotesque et de body-horror, d’une terrible cruauté que je me suis prise en pleine face dans la salle presse à Cannes. The Substance était ma plus grande attente du festival. Après la palme de Julia Ducournau (Titane), voir à nouveau une française réalisant des films d’horreur sur la croisette et qui plus est en compétition officielle semblait inespéré. Et pourtant “les monstres” sont bien arrivés à Cannes et ne sont pas prêts d’en partir, surtout si l’on prend en compte l’expérience de salle que fut The Substance. Le public de journaleux à frémit et rit de concert. J’en suis sortie retournée et je n’étais pas seule. Le temps d’un film, l’audience a fait corps. Pas surprenant que le corps soit donc le sujet principal de ce dernier.
The Substance nous balance sans ménagement notre peur de vieillir, notre crainte d’être moche, ridée, grosse, ballotante, pataude, vergeturée… Et donc dans un monde où le regard masculin prime, d’être un corps obsolète, un être-humain de seconde zone tout juste bon à être jeté aux oubliettes. Sur ce plan, The Substance se fait une petite place parmi ses aînés de la hagsploitation (ou grande dame guignol), un genre de Sunset Boulevard mouliné à la sauce Z-movie, un All About Eve pumpé à bloc. La peur de vieillir, presque un marronnier hollywoodien, revient inlassablement décennie après décennie. Coralie Fargeat tire son épingle du jeu en plaçant la haine de soi systémique au centre de son récit. Comme dans tout bon film de monstre, le mal est ailleurs. Une belle mélancolie se dégage de son histoire derrière le vernis clinquant de l’esthétique globale de The Substance.
Coralie Fargeat joue avec le grand méchant “male gaze”. C’était déjà le cas dans Revenge, ce rape & revenge façon comics où la figure de la lolita devient une grande prêtresse du désert, un être supérieur prêt à en découdre avec le boy’s club qui a abusé d’elle. Le personnage de Sue est également filmé comme un objet du plaisir masculin. Les gros plans sur ces attributs féminins s’accumulent, elle se dandine et minaude comme une midinette. C’est une vérité mais… incomplète. Si l’on observe plus finement les choix de mise en scène, cette dernière est surtout filmée comme un monstre et ce bien avant sa transformation en monstre littéral. Entre les contreplongées extremes lors de ses marches sur Hollywood Boulevard, le gigantesque panneau publicitaire qui surplombe la ville et nargue l’appartement d’Elisabeth, elle est en réalité filmée comme une créature gigantesque à la manière d’un kaiju ou de la femme de 50 pieds. Une menace pour elle et les autres.
The Substance se présente avant tout comme un conte moral qui résonne profondément auprès d'un large public, plus particulièrement féminin. Une multitude d’interprétations s’offrent à nous. On ne peut ignorer les références aux troubles du comportement alimentaire, notamment à travers la séquence terrifiante et gargantuesque de la cuisine. Le film peut également être perçu comme une métaphore de la maternité, soulignant d’abord la déshumanisation du corps féminin durant la grossesse, puis explorant la relation complexe de jalousie et de possessivité entre mère et fille. Plus largement, The Substance aborde les thèmes de l’angoisse et de la peur de l’obsolescence. L’une des scènes les plus marquantes met en scène une Demi Moore éblouissante, prête à aller en rendez-vous galant, se gâchant le visage car elle ne peut se voir que par la lentille d’une société oppressante et patriarcale.
Acteurs : Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid, Hugo Diego Garcia,...
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget :
Genre : Comédie Dramatique, Épouvante-horreur.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h20min.
Synopsis :
Ce film est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2024.
AVEZ-VOUS DÉJÀ RÊVÉ D’UNE MEILLEURE VERSION DE VOUS-MÊME ?
Vous devriez essayer ce nouveau produit: The Substance
CA A CHANGÉ MA VIE.
Avec The Substance, vous pouvez générer une autre version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite…
Il suffit de partager le temps.
Une semaine pour l’une, une semaine pour l’autre.
Un équilibre parfait de sept jours.
Facile n’est-ce pas ?
Si vous respectez les instructions, qu’est ce qui pourrait mal tourner ?
Critique :
Via #TheSubstance, Fargeat règle ses comptes dans le sang, le bruit et la fureur avec les injonctions brutales d'une société patriarcale qui objectivise, use et abuse du corps de la femme, avant de les piétiner sur le bitume des rêves déchus et des étoiles oubliées. Féroce pépite pic.twitter.com/0tYcMXNmDK
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) October 21, 2024
Passer d'un puissant et féministe rape and revenge, genre glorifié par feu Wes Craven, à un body horror satirique entre Society, Vertigo, La Mouche et La Mort vous va si bien, n'est pas forcément un type de grand écart que peut oser - et réussir - n'importe quel•le cinéaste, et encore moins quand ils incarnent les deux premiers efforts d'une filmographie naissante.
Ce qui place donc d'emblée Coralie Fargeat à une strate sensiblement plus haute que le commun de tous les faiseurs de cauchemars actuels, au même titre que Julia Ducournau, quand bien même on ne lui reconnaît pas les quelques maladresses que pouvait avoir son film dit de la " confirmation " - Titane.
C'est dire donc l'impression à la fois forte et durable, que suscite la vision - et l'encaissement de celle-ci - de The Substance, dont l'apparente simplicité n'a d'égale que la méticulosité de son exécution et de son expression : transposer la cultissime fable Le Portrait de Dorian Gray à une époque contemporaine où son propos n'a jamais été aussi pertinent, société où le culte de la beauté - majoritairement féminine - est façonné, modelé, supplicié par le regard masculin; une société où le culte de l'image et de la célébrité, même fugace, de la recherche extrême de la perfection du corps et de la chimérique jeunesse éternelle, est devenu un mal léthargique qui gangrène tout autant qu'il alimente, le monde du divertissement friqué.
Et quoi de plus pertinent, au fond, que de faire de Demi Moore, icône populaire des 80s/90s qu'Hollywood a aussi vite propulsé au rang de stars que recracher sans remords (et qu'elle ressuscite véritablement à l'écran, tant on ne l'avait pas vu aussi lumineuse depuis longtemps), le corps et l'âme, le Dorian Gray au féminin de son film, Elizabeth Sparkle, une actrice sur le déclin confrontée à la dure réalité que sa jeunesse n'est pas éternelle, que ses heures dans l'industrie sont comptées parce qu'elle ne " brille plus autant qu'avant ".
De reine de beauté à reine du fitness, elle ne supporte plus de voir son image se refléter dans le miroir, un fait d'autant plus exacerbé par son renvoi - le jour de son anniversaire - de l'animation de l'émission de fitness qu'elle animait, par son odieux producteur (un Dennis Quaid à peine bigger than life, ici nommé... Harvey), qui souhaite un rafraîchissement global pour le programme : une jeune fille énergique et excitante et non une belle femme d'âge moyen.
L'élément déclencheur de trop pour qu'elle bascule totalement du côté obscur : à la suite d'un accident de voiture, elle se voit offrir une " seconde chance " inespérée, un pacte Faustien qu'elle n'hésitera pas une seule seconde à signer : seule et désespérée, elle s'injectera la " Substance " du titre, conçue par une mystérieuse société de biotechnologie.
Une substance étrange qui générera à partir d'elle un double, une nouvelle version d'elle-même, plus sexy mais surtout définitivement plus jeune, Sue, qui émergera - littéralement - de son dos.
Mais cette matière hors du commun nécessite le strict respect de règles qui, sur le papier, n'en reste pas moins exigeantes : la substance ne doit être injectée qu'une seule fois, et on se doit d'alterner la vie une semaine sur deux, au sein du corps originelle, matricielle, puis de son double plus jeune, le corps non-utilisé restant inerte et devant être nourrit pendant ce laps de temps.
Car Elizabeth et Sue ne sont pas deux entités distinctes mais bien, en réalité, une seule et même personne, totalement dépendantes l'une de l'autre.
Mais le succès de plus en plus marquée de Sue, qui a supplantée Elizabeth à la présentation de son propre show, fait qu'elle ne respecte absolument pas cette loi essentielle et, peu à peu, le corps de son aînée en subit de plein fouet l'effet boomerang, elle qui ne réalise pas encore que si sa matrice est gravement atteinte, elle sera tout autant sujet à sa déchéance physique...
Et toute la maestria de ce rise and fall est dévoilé dans son brillant incipit : la lente création de l'étoile dédiée à Elizabeth sur le sol sanctifié du Walk of Fame, de son inauguration sous une horde de fans en délire avant que cette scarification sculpté sur le sol ne se perde parmi les autres, que le temps ne corrode le bitume sous le poids négligeant des pas d'une humanité se demandant presque, qui est Elizabeth Sparkle.
Les étoiles n'ont qu'un temps de vie limitée, et encore plus dans la jungle Hollywoodienne.
À la psychologie profonde et clinique de ses modèles (Lynch, Cronenberg, Hitchcock), Fargeat préfère une physicalité frontale, brutale, indélébile (et aussi Cronenbergienne) qui n'a jamais peur de flirter avec un grotesque aussi assumé que subtil, pour mieux embrasser d'une manière sarcastique la grossièreté du regard voyeuriste et pervers - voire masturbatoire - de l'homme, uniquement motivé par le désir dans son rapport à la femme.
D'un côté une masculinité toxique, caricaturale et méprisable, qui est au pouvoir et qui n'accepte pas la vieillesse féminine parce qu'elle n'est pas attractive (sexuellement comme commercialement parlant, au point même d'être à la lisière d'un dégoût assumé); de l'autre une féminité qui, par ce rejet institutionnalisé et normalisé, n'accepte pas de vieillir.
À tel point qu'Elizabeth elle-même, même dans le mal le plus absolu, elle qui se déteste pour ce qu'elle est (âgée, mais d'une vieillesse qui est considéré comme une atrocité et rien d'autre), trouve une certaine satisfaction dans cette jeunesse miraculeusement réapparue et, paradoxalement, indirectement vécue, qui la renvoie encore plus fort à sa haine d'elle-même, faisant d'elle in fine une complice du système autant qu'une victime - elle vit uniquement où presque, pour être regardée.
Une figure dont l'hédonisme, le culte passionné, deraisonné de la beauté et de la jeunesse est autant une motivation, un mantra qu'une certaine forme de survivalisme exacerbé, obligatoire dans un monde où il ne faut exister qu'à travers le regard désireux de l'autre, ne jamais trahir l'image - avant tout sexuellement - attractive avec laquelle on s'est construite en tant que star.
Mais point de manichéisme pourtant, tant Fargeat avance tout du long d'un pas assuré, démarrant son film comme une fable hyperbolique et minimaliste sensiblement glaciale avant de virer vers le délire merveilleusement pulp, puis de conclure sur un cauchemar macabre et gore, où les corps féminins parfaitement élancés se transforment en monstres tout droit sortis d'un délire de Shinya Tsukamoto.
Tout s'assemble, s'emboîte parfaitement pour former un formidable et organique film de genre au discours follement méta, à travers la présence même d'une Demi Moore dont le corps est marqué par tout un traumatisme Hollywoodien (du gentil fantasme adolescent des 80s, elle est devenue un sex-symbol aux courbes démesurées, façonnée par la chirurgie esthétique), ici littéralement transformée en une sorte de William Birkin sous virus G - les fans de Resident Evil comprendront.
Les corps se déchirent, les chairs sont purulentes et les âmes sont désespérées face à leur solitude, tous unit dans le ballet des sens et des sévices non pas d'un simple body horror sinistre et éprouvant (peut-être la plus belle incursion dans le genre depuis... La Mouche ?), ni d'un drame engagé qui alerte sur les dérives du star-système (et, plus directement, sur les dangers de l'uniformisation médiatique et sociétale de l'image corporelle de la femme), mais aussi et surtout d'une satire féministe, rauque et glauque, embaumée dans la folie sous aérobic des années Reagan, et qui vient questionner son auditoire d'une manière féroce et nécessaire (le choix de ne pas vieillir pour une femme est-il, réellement, l'expression de sa liberté où le poison qui se tapit derrière elle, puisque souvent conditionné par le regard des autres ?)
Avec 2h20 au compteur, qui en paraisse trente de moins par la force d'un rythme soutenu (on lui aurait donné volontiers, plus le Prix de la mise en scène a Cannes, qu'un étrange Prix du scénario), Coralie Fargeat règle ses comptes dans le sang, le bruit et la fureur, avec les injonctions brutales d'une société patriarcale qui objectivise, use et abuse du corps de la femme, avant de les piétiner sur le bitume des rêves déchus et des étoiles oubliées.
Qu'on laisse à cette merveilleuse cinéaste, sa mitraillette bien chargée et que l'on finance son troisième film, et vite.
Jonathan Chevrier
Ce qui place donc d'emblée Coralie Fargeat à une strate sensiblement plus haute que le commun de tous les faiseurs de cauchemars actuels, au même titre que Julia Ducournau, quand bien même on ne lui reconnaît pas les quelques maladresses que pouvait avoir son film dit de la " confirmation " - Titane.
Copyright Mubi Deutschland |
C'est dire donc l'impression à la fois forte et durable, que suscite la vision - et l'encaissement de celle-ci - de The Substance, dont l'apparente simplicité n'a d'égale que la méticulosité de son exécution et de son expression : transposer la cultissime fable Le Portrait de Dorian Gray à une époque contemporaine où son propos n'a jamais été aussi pertinent, société où le culte de la beauté - majoritairement féminine - est façonné, modelé, supplicié par le regard masculin; une société où le culte de l'image et de la célébrité, même fugace, de la recherche extrême de la perfection du corps et de la chimérique jeunesse éternelle, est devenu un mal léthargique qui gangrène tout autant qu'il alimente, le monde du divertissement friqué.
Et quoi de plus pertinent, au fond, que de faire de Demi Moore, icône populaire des 80s/90s qu'Hollywood a aussi vite propulsé au rang de stars que recracher sans remords (et qu'elle ressuscite véritablement à l'écran, tant on ne l'avait pas vu aussi lumineuse depuis longtemps), le corps et l'âme, le Dorian Gray au féminin de son film, Elizabeth Sparkle, une actrice sur le déclin confrontée à la dure réalité que sa jeunesse n'est pas éternelle, que ses heures dans l'industrie sont comptées parce qu'elle ne " brille plus autant qu'avant ".
De reine de beauté à reine du fitness, elle ne supporte plus de voir son image se refléter dans le miroir, un fait d'autant plus exacerbé par son renvoi - le jour de son anniversaire - de l'animation de l'émission de fitness qu'elle animait, par son odieux producteur (un Dennis Quaid à peine bigger than life, ici nommé... Harvey), qui souhaite un rafraîchissement global pour le programme : une jeune fille énergique et excitante et non une belle femme d'âge moyen.
Copyright Working Title |
L'élément déclencheur de trop pour qu'elle bascule totalement du côté obscur : à la suite d'un accident de voiture, elle se voit offrir une " seconde chance " inespérée, un pacte Faustien qu'elle n'hésitera pas une seule seconde à signer : seule et désespérée, elle s'injectera la " Substance " du titre, conçue par une mystérieuse société de biotechnologie.
Une substance étrange qui générera à partir d'elle un double, une nouvelle version d'elle-même, plus sexy mais surtout définitivement plus jeune, Sue, qui émergera - littéralement - de son dos.
Mais cette matière hors du commun nécessite le strict respect de règles qui, sur le papier, n'en reste pas moins exigeantes : la substance ne doit être injectée qu'une seule fois, et on se doit d'alterner la vie une semaine sur deux, au sein du corps originelle, matricielle, puis de son double plus jeune, le corps non-utilisé restant inerte et devant être nourrit pendant ce laps de temps.
Car Elizabeth et Sue ne sont pas deux entités distinctes mais bien, en réalité, une seule et même personne, totalement dépendantes l'une de l'autre.
Mais le succès de plus en plus marquée de Sue, qui a supplantée Elizabeth à la présentation de son propre show, fait qu'elle ne respecte absolument pas cette loi essentielle et, peu à peu, le corps de son aînée en subit de plein fouet l'effet boomerang, elle qui ne réalise pas encore que si sa matrice est gravement atteinte, elle sera tout autant sujet à sa déchéance physique...
Et toute la maestria de ce rise and fall est dévoilé dans son brillant incipit : la lente création de l'étoile dédiée à Elizabeth sur le sol sanctifié du Walk of Fame, de son inauguration sous une horde de fans en délire avant que cette scarification sculpté sur le sol ne se perde parmi les autres, que le temps ne corrode le bitume sous le poids négligeant des pas d'une humanité se demandant presque, qui est Elizabeth Sparkle.
Les étoiles n'ont qu'un temps de vie limitée, et encore plus dans la jungle Hollywoodienne.
Copyright Mubi Deutschland |
À la psychologie profonde et clinique de ses modèles (Lynch, Cronenberg, Hitchcock), Fargeat préfère une physicalité frontale, brutale, indélébile (et aussi Cronenbergienne) qui n'a jamais peur de flirter avec un grotesque aussi assumé que subtil, pour mieux embrasser d'une manière sarcastique la grossièreté du regard voyeuriste et pervers - voire masturbatoire - de l'homme, uniquement motivé par le désir dans son rapport à la femme.
D'un côté une masculinité toxique, caricaturale et méprisable, qui est au pouvoir et qui n'accepte pas la vieillesse féminine parce qu'elle n'est pas attractive (sexuellement comme commercialement parlant, au point même d'être à la lisière d'un dégoût assumé); de l'autre une féminité qui, par ce rejet institutionnalisé et normalisé, n'accepte pas de vieillir.
À tel point qu'Elizabeth elle-même, même dans le mal le plus absolu, elle qui se déteste pour ce qu'elle est (âgée, mais d'une vieillesse qui est considéré comme une atrocité et rien d'autre), trouve une certaine satisfaction dans cette jeunesse miraculeusement réapparue et, paradoxalement, indirectement vécue, qui la renvoie encore plus fort à sa haine d'elle-même, faisant d'elle in fine une complice du système autant qu'une victime - elle vit uniquement où presque, pour être regardée.
Une figure dont l'hédonisme, le culte passionné, deraisonné de la beauté et de la jeunesse est autant une motivation, un mantra qu'une certaine forme de survivalisme exacerbé, obligatoire dans un monde où il ne faut exister qu'à travers le regard désireux de l'autre, ne jamais trahir l'image - avant tout sexuellement - attractive avec laquelle on s'est construite en tant que star.
Mais point de manichéisme pourtant, tant Fargeat avance tout du long d'un pas assuré, démarrant son film comme une fable hyperbolique et minimaliste sensiblement glaciale avant de virer vers le délire merveilleusement pulp, puis de conclure sur un cauchemar macabre et gore, où les corps féminins parfaitement élancés se transforment en monstres tout droit sortis d'un délire de Shinya Tsukamoto.
Copyright Mubi Deutschland |
Tout s'assemble, s'emboîte parfaitement pour former un formidable et organique film de genre au discours follement méta, à travers la présence même d'une Demi Moore dont le corps est marqué par tout un traumatisme Hollywoodien (du gentil fantasme adolescent des 80s, elle est devenue un sex-symbol aux courbes démesurées, façonnée par la chirurgie esthétique), ici littéralement transformée en une sorte de William Birkin sous virus G - les fans de Resident Evil comprendront.
Les corps se déchirent, les chairs sont purulentes et les âmes sont désespérées face à leur solitude, tous unit dans le ballet des sens et des sévices non pas d'un simple body horror sinistre et éprouvant (peut-être la plus belle incursion dans le genre depuis... La Mouche ?), ni d'un drame engagé qui alerte sur les dérives du star-système (et, plus directement, sur les dangers de l'uniformisation médiatique et sociétale de l'image corporelle de la femme), mais aussi et surtout d'une satire féministe, rauque et glauque, embaumée dans la folie sous aérobic des années Reagan, et qui vient questionner son auditoire d'une manière féroce et nécessaire (le choix de ne pas vieillir pour une femme est-il, réellement, l'expression de sa liberté où le poison qui se tapit derrière elle, puisque souvent conditionné par le regard des autres ?)
Avec 2h20 au compteur, qui en paraisse trente de moins par la force d'un rythme soutenu (on lui aurait donné volontiers, plus le Prix de la mise en scène a Cannes, qu'un étrange Prix du scénario), Coralie Fargeat règle ses comptes dans le sang, le bruit et la fureur, avec les injonctions brutales d'une société patriarcale qui objectivise, use et abuse du corps de la femme, avant de les piétiner sur le bitume des rêves déchus et des étoiles oubliées.
Qu'on laisse à cette merveilleuse cinéaste, sa mitraillette bien chargée et que l'on finance son troisième film, et vite.
Jonathan Chevrier
Il est de ses films si parfaitement en phase avec mes maux intérieurs qu’il est difficile de ne pas employer la première personne du singulier pour en parler. Et pourtant, si je n’ai rien contre ce pronom, je n’aime pas tant que ça utiliser ce “je” si controversé. Une pensée personnelle bien agencée peut se comprendre et s’énoncer sans ce pronom si simple. Seulement parfois, mon rapport à un film est si complexe, si personnel et si désarmant qu’il est nécessaire de recourir au mot interdit. The Substance fait partie de ses films.
Elizabeth Sparkle (Demi Moore) est une actrice populaire vieillissante qui vient de se faire virer de son émission d'aérobic. Elle découvre l'existence d’une substance qui donne vie à une meilleure version d’elle-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite : Sue (Margaret Qualley). Coralie Fargeat invoque tout autant Dorian Gray que David Cronenberg dans cette fable des temps modernes.
Copyright Mubi Deutschland |
Derrière une histoire d’une grande simplicité, se trouve une grenade prête à exploser. Un mélange détonnant d’humour noir, de grotesque et de body-horror, d’une terrible cruauté que je me suis prise en pleine face dans la salle presse à Cannes. The Substance était ma plus grande attente du festival. Après la palme de Julia Ducournau (Titane), voir à nouveau une française réalisant des films d’horreur sur la croisette et qui plus est en compétition officielle semblait inespéré. Et pourtant “les monstres” sont bien arrivés à Cannes et ne sont pas prêts d’en partir, surtout si l’on prend en compte l’expérience de salle que fut The Substance. Le public de journaleux à frémit et rit de concert. J’en suis sortie retournée et je n’étais pas seule. Le temps d’un film, l’audience a fait corps. Pas surprenant que le corps soit donc le sujet principal de ce dernier.
The Substance nous balance sans ménagement notre peur de vieillir, notre crainte d’être moche, ridée, grosse, ballotante, pataude, vergeturée… Et donc dans un monde où le regard masculin prime, d’être un corps obsolète, un être-humain de seconde zone tout juste bon à être jeté aux oubliettes. Sur ce plan, The Substance se fait une petite place parmi ses aînés de la hagsploitation (ou grande dame guignol), un genre de Sunset Boulevard mouliné à la sauce Z-movie, un All About Eve pumpé à bloc. La peur de vieillir, presque un marronnier hollywoodien, revient inlassablement décennie après décennie. Coralie Fargeat tire son épingle du jeu en plaçant la haine de soi systémique au centre de son récit. Comme dans tout bon film de monstre, le mal est ailleurs. Une belle mélancolie se dégage de son histoire derrière le vernis clinquant de l’esthétique globale de The Substance.
Coralie Fargeat joue avec le grand méchant “male gaze”. C’était déjà le cas dans Revenge, ce rape & revenge façon comics où la figure de la lolita devient une grande prêtresse du désert, un être supérieur prêt à en découdre avec le boy’s club qui a abusé d’elle. Le personnage de Sue est également filmé comme un objet du plaisir masculin. Les gros plans sur ces attributs féminins s’accumulent, elle se dandine et minaude comme une midinette. C’est une vérité mais… incomplète. Si l’on observe plus finement les choix de mise en scène, cette dernière est surtout filmée comme un monstre et ce bien avant sa transformation en monstre littéral. Entre les contreplongées extremes lors de ses marches sur Hollywood Boulevard, le gigantesque panneau publicitaire qui surplombe la ville et nargue l’appartement d’Elisabeth, elle est en réalité filmée comme une créature gigantesque à la manière d’un kaiju ou de la femme de 50 pieds. Une menace pour elle et les autres.
Copyright Working Title |
The Substance se présente avant tout comme un conte moral qui résonne profondément auprès d'un large public, plus particulièrement féminin. Une multitude d’interprétations s’offrent à nous. On ne peut ignorer les références aux troubles du comportement alimentaire, notamment à travers la séquence terrifiante et gargantuesque de la cuisine. Le film peut également être perçu comme une métaphore de la maternité, soulignant d’abord la déshumanisation du corps féminin durant la grossesse, puis explorant la relation complexe de jalousie et de possessivité entre mère et fille. Plus largement, The Substance aborde les thèmes de l’angoisse et de la peur de l’obsolescence. L’une des scènes les plus marquantes met en scène une Demi Moore éblouissante, prête à aller en rendez-vous galant, se gâchant le visage car elle ne peut se voir que par la lentille d’une société oppressante et patriarcale.
The Substance s’affirme comme une œuvre audacieuse et troublante qui interroge notre rapport au corps et à la beauté à travers le prisme du grotesque et de l'horreur. En transformant le récit classique du monstre en une réflexion poignante sur la peur de vieillir et la quête de perfection, le film invite à une introspection nécessaire sur les attentes sociétales qui pèsent sur les femmes. La dualité entre l'objet de désir et la créature monstrueuse s'incarne avec une telle force que chaque spectateur, au-delà du simple divertissement, est confronté à ses propres angoisses et à une critique acerbe de notre époque. Coralie Fargeat réussit à transcender les conventions du genre, faisant de The Substance un miroir déformant mais révélateur de nos obsessions contemporaines, où le rire se mêle à la terreur, et où l'étrangeté devient un puissant vecteur de vérité.
Éléonore Tain